Fyctia
Conduire (Stella)
I lived de One republic
Toute à ma joie et à la sensation euphorisante de liberté que j’ai ressentie lors de cette baignade, je me suis emballée. Je n’aurais pas dû. C’est une bêtise. Est-ce que c’en est une ? Je voulais faire une surprise à Finn.
Est-ce qu'il va m’en vouloir ? Va-t-il se mettre en colère contre moi ? En prenant la voiture, je n’ai même pas envisagé cette possibilité, tant il parait d’humeur égale en permanence. Et s’il ne trouvait pas mon mot ? S’il croyait que j’étais partie sans lui ?
Mais la baignade était tellement magique… excitante, aussi. Le regard de Finn plongé dans le mien, sa galanterie, sa pudeur concernant ma cicatrice. Si j’avais été capable d'initier un rapprochement, je me plais à croire qu'il ne serait pas sorti de l'eau aussi précipitamment.
Je ne nous imaginais pas nous coucher sans avoir avalé un vrai repas. Cette soirée méritait mieux que ça. En ville, je me suis assurée que Crâne rasé n’était pas dans les parages, tournant plusieurs fois autour de la petite place avant de me garer. Et à l’épicerie, j’ai jeté pain, tomates et fromage dans le panier à une vitesse digne d'un record.
Absorbée par mes doutes, j’aperçois au dernier moment le garde-forestier qui surgit dans la trouée des phares. Je freine.
— Bonsoir, j’espère que vous savez que vous n’avez pas le droit de camper là…
— Oh, oui, non, ne vous inquiétez pas, on va grignoter un bout et après, on décolle.
Je m’apprête à remonter ma vitre quand il pose sa main dessus.
— Oh et, au fait, c’est bon ? Le gars qui vous cherchait tout à l’heure, il vous a trouvés ?
Un doigt glacé me parcourt la nuque.
— Le gars ?
— Oui, il a dit que vous l’attendiez, je lui ai indiqué le chemin que vous aviez pris…
Mon visage a dû se décomposer, car il lève les sourcils.
— C’est pas votre ami ?
— Si… oui, bien sûr, fais-je précipitamment en bricolant un sourire. C’est juste que je ne pensais pas qu’il serait déjà là.
Il tape sur le toit de la voiture.
— Parfait. Pour le feu de camp, par contre, je blague pas. Un incendie est vite arrivé.
Je le sais, croyez-moi, je le sais. Je roule au pas sur une dizaine de mètres, mais dès que je suis hors de sa vue, j’accélère. Mes mains tremblent horriblement et mon cerveau surchauffe. Le seul « ami » susceptible de nous chercher, c’est Crâne rasé.
Je pense à Finn possiblement endormi, vulnérable, isolé, sans moyen de s’enfuir. J’ai l’estomac retourné par la peur. Pourquoi Crâne rasé en a après lui ? Que va-t-il lui faire s’il le trouve ? Je ne doute pas que Finn sache se défendre, mais l’autre pourrait être armé…
Malgré la pénombre qui s’installe, je me souviens de la direction à prendre et roule tous phares éteints. Je ne vais évidemment pas me jeter dans la gueule du loup et je suis une voie qui, me semble-t-il, longe celle que nous avons empruntée plus tôt. Quand je pense avoir parcouru une distance suffisante, je m’arrête pour ne pas être trahie par le bruit du moteur.
En courant, je coupe à travers une clairière d’herbes hautes et de ronces que je remarque à peine. Arrivée près de tables de pique-nique que j’avais repérées tout à l’heure, je tends l’oreille. Je ne suis plus très loin de là où nous étions garés.
L’odeur de la fumée me parvient avant que n’apparaisse le rougeoiement d’une cigarette. Baissée dans les fougères, je repère Crâne rasé près de sa Ford blanche. Aucune trace de Finn.
L’angoisse se transforme en terreur pure. Et s'il était dans le coffre de la voiture ? Non, je chasse cette pensée et m’évertue à rester positive. L’homme n’a aucun moyen de savoir la direction que nous avons pris à pied. Finn est peut-être encore au bord du lac ou même caché dans les bois.
Sans bruit, je m’éloigne, puis prends le chemin de l'anse en trottinant. J'évolue en ligne droite au milieu des arbres. Du moins, je l’espère. Garder le cap relève de l’impossible, mais je ne baisse pas les bras. Je guette la trouée de clarté me signalant l’étendue d’eau et lorsque je la vois, je ralentis. Sur le point d’émerger des frondaisons, j’entends la voix autoritaire d’une femme. J’entends aussi des gémissements et je perçois les coups.
Et ce son me glace le sang.
Je le connais bien ce son mat des phalanges qui percutent la peau. Cet horrible bruit synonyme de douleur, d’humiliation, de haine de soi, de haine de l’autre. Mes yeux se ferment et des images crépitent dans mon esprit. Le visage cramoisi et déformé de mon beau-père, ses cris, ses mots poignards, ses poings qui s’abattent sur moi, parce que je n’ai pas fait la vaisselle, parce que je lui tiens tête, parce que j’existe.
Je chancèle contre un arbre. Une branche craque sous mon pied. Je me fige. Silence. Je n’entends plus que le sang qui pulse à mes oreilles. J’ai l’impression que ma respiration s’entend à des kilomètres. Après ce qui semble durer des heures, une faible lueur apparait et la femme reprend ses questions. Non, sa question. Elle n’en a qu’une :
— Où est-il ?
Finn crache, tousse.
— I did it all, I owned every second that this world could give… I saw so many places.
J’ai un temps de sidération avant de comprendre qu’il chante. Il se fait rouer de coups et il chante.
La femme ricane, avant de le frapper à nouveau.
— Où est-il ?
— The things that I did, Yeah, with every broken bone.
— Depuis le début, je ne te fais pas confiance. Je savais que tu finirais par trahir Solomon. Tu ne t’es pas intégré à la famille.
— Vous n’avez jamais été ma famille.
— Après tout ce que Sol a fait pour toi ?
— Il n’a rien fait pour moi qui ne servait ses propres intérêts. Une famille te protège. Une famille ne te demande pas d’agir contre tes convictions profondes.
— Tu cherches à justifier tes actions. Tu es un traitre. Il n’y a d’autre mot.
— I swear I lived, chante-t-il encore.
— La nuit est jeune, Finnigan, tu as beaucoup de doigts et de dents dont tu n’as pas besoin pour rester en vie.
Je ne comprends rien à ce qu’il se passe, mais je dois intervenir. Arrêter le massacre. Il me faut une arme. Je me décale pour tenter de voir la femme et Finn. Et s'il y avait d’autres bourreaux silencieux ? Un portable posé au sol éclaire la scène : Finn, assis par terre, est attaché à une souche. Petite, de longs cheveux raides noirs, vêtue d’un costume sombre, la femme semble inoffensive… jusqu’au moment où elle abat le tranchant de sa main sur la mâchoire de Finn.
Je retiens un cri en plaquant mes mains sur ma bouche. Ne pas flancher. Ne pas fuir.
Personne d’autre en vue. À tâtons, je vérifie la solidité de plusieurs branches. Finalement, j’en trouve une de la bonne taille. Les doigts crispés sur le bois, je m’approche avec une prudence décuplée. Je suis persuadée que je n’aurais qu’une chance.
La femme est si focalisée sur la douleur qu’elle veut infliger à Finn qu’elle ne devine ma présence qu’au dernier moment. Elle fait volte-face. Avant que j’abaisse la branche de toutes mes forces, ses yeux ont le temps de me faire passer un message.
Elle n’oubliera pas mon visage.
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CoralieHossen
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Eva Boh
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Laureline Maumelat
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clecle
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Emeline Guezel
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