Dacia Gargouilles. La porte des ténèbres. Chapitre 6.2

Chapitre 6.2

Ce fut vrai, d’une certaine façon. Jess était un véritable mystère ambulant pour mes yeux d’écrivaine en herbe. J’apprenais à la connaître un peu plus chaque jour, et chaque jour elle me surprenait davantage. Tantôt rebelle, puis douce comme un agneau. Elle pouvait avoir le comportement d’un petit caïd au sein du lycée, alors que l’instant d’après, elle aidait un petit garçon à se relever.

Ses efforts farouches pour éviter les sujets qui traitaient de sa famille, son père, son frère et encore plus de sa mère, attisaient d'autant plus ma curiosité.

Ce dîner, en plus de me permettre de passer du temps avec mon unique amie, avait aussi pour objectif d’en apprendre davantage sur cette dernière. Son frère Willy, de cinq ans son cadet, était encore plus mystérieux que sa sœur. Jusque-là, je n’eus l’occasion de l’apercevoir qu’au travers des vitres de la Mercedes noire qui attendait Jess à la sortie des cours. Elle m’avais toujours dit qu’il était d’une santé fragile. Les rares moments où il mettait le nez à l’extérieur de leur maison, c’était pour se retrouver coincé à l’intérieur du véhicule. Chez eux, j’aurais l’occasion de le croiser au détour d’un couloir, et, certainement durant le dîner.

Peut-être que je pourrais même entendre la voix de ce garçon au visage livide et aux cheveux pétardés.

Je quittais mes parents, prétextant devoir emballer le cadeau. Je me réfugiais dans ma chambre et coupais court aux allusions de Marie.

Le reste de l’après-midi se déroula à la fois rapidement et au ralenti. Rapidement, car je réussi à m’occuper. Entre l’emballement de l’appareil photo — qui me pris une éternité à cause de mon côté maniaque—, et une dernière douche avant l’arrivée de Jess et son père, je n’eu que peu de temps mort. Ce qui m'allait fort bien.

Au ralenti, car les rares moments durant lesquels je fus inactive, le silence pesant qui régnait au rez-de-chaussée me ramenais — bien malgré-moi— à la relation bancale qui s’était installée depuis plusieurs jour entre mes parents. Je m’efforçais de relativiser en me murmurant que ce n’était rien de grave et qu’il n’est pas rare qu’un couple ait des hauts et des bas. Tout allait s’arranger, soufflais-je. Il suffirait qu’Antoine en termine avec la démonstration de son logiciel pour que Marie et lui retrouvent leur complicité d’antan.

La sonnerie de la porte retentit bientôt.

—Bonsoir, entrez je vous en prie, fit Antoine.

Je terminais de boutonner le chemisier blanc que j’avais décidé de porter ce soir là, avant de me rendre dans le salon.

—Je vous remercie d’autoriser Angelina à passer une soirée chez nous.

Le ton poli et la voix presque mielleuse, Jess arborait l’inévitable gilet qu’elle portait toujours en présence de son père.

—Angelina a beaucoup travaillé pour rattraper son retard. Elle mérite bien de passer du temps avec sa meilleure amie, affirma Marie.

Diplomate — malgré ce qu’elle éprouvait vis-à-vis de Jess— Marie étouffa ses réticences, si bien que même Jess fut surprise.

— Je suis heureux de vous rencontrer, fit Charles Auvono en brandissant une main en direction de Marie.

— Plaisir partagé, affirma cette dernière.

Les échanges de banalité et de politesse durèrent le temps que je descende les huit marches de l’escalier. Les grands yeux ronds de Jess se rivèrent à l’imposant paquet que je calais entre mon bras et ma hanche.

— Une tasse de café, ou un verre de vin ? demanda Marie.

Antoine et Charles optèrent pour le vin. Elle se rendit dans la cuisine, tandis qu’ils entamèrent une discussion fortement axée sur le travail. Je rejoignis Jess après avoir déposé le cadeau sur le canapé du salon.

— Tu as sorti le grand jeu, me taquina Jess en reluquant mon chemisier.

Je m’empourprais et failli revenir sur mon choix lorsqu’elle rajouta :

—Il te va à merveille.

Je fus soulagée que Marie se trouva dans la cuisine. L’attitude mielleuse et les compliments de Jess auraient terminé de confirmer ses craintes quant à mon orientation sexuelle.

Lorsqu’elle revint, les verres de vin rouge en mains, deux clans s’étaient formés. Entre le canapé et la porte d’entrée, Antoine et Charles semblaient parler une langue étrangère. Leur discussion portait sur le logiciel et ses évolutions à venir. Chaque phrase fut ponctuée de termes aussi techniques qu’imprononçables. Jess et moi nous tenions presque exactement à mi-distance entre le canapé et l’écran plat accroché au mur du salon. Nos discussions étaient plus terre-à-terre, —quoique principalement accès sur Marie et son attitude soudainement aimable envers Jess—. Son retour au salon changea la donne. Charles Auvono s’intéressa au parcours professionnel de Marie et sa rencontre avec Antoine. De notre côté, nous entreprîmes de parler des cours: Le nom de Monsieur Mac Grégorre revint sans cesse dans la bouche de Jess.

Marie peut être rassurée, me dis-je alors que la voix de Jess se mettait à défaillir, comme si son cœur s’apprêtait à lui sortir par la bouche, à chaque fois qu’elle prononçait le nom du professeur de mathématique. —Jess n’était pas plus attirée par les filles que moi. Si c’était le cas, l’adolescente cachait bien son jeu—.

Les minutes passèrent au rythme des discussions. Charles Auvono congratulait Marie sur le choix du vin alors qu’elle leur servait un nouveau verre. Intérieurement je ne pus m’empêcher de songer que nous n’allions pas tarder à prendre la route, et qu’il ne fallait pas trop abuser de l’alcool, cependant, lorsque j’attardais mon regard sur la femme souriante et épanouie qui racontais sa vie sous le regard intéressé de cet homme d’affaire aux cheveux gris, coiffé en un brushing parfait, je due me rendre à l’évidence. —Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas vu Marie aussi heureuse.

Nos regards se croisèrent. Nous échangeâmes un sourire. Et j’en revins à Jess.

—Dis-moi, il est énorme ce paquet, fit Jess.

Elle déballait virtuellement le cadeau du regard, et sa voix trahissait une forme d’impatience. —Je m’amusais de la voir aussi fébrile.

—Énorme et lourd, dis-je en dévoilant une légère marque brune que le transport et la manipulation de l’appareil durant plusieurs heures avaient laissés sur mon avant-bras. Sa curiosité s’accentua.

Le regard de Jess se riva à mon avant-bras. Elle se mordit brièvement la lèvre inférieure comme pour se retenir de me gronder. Ça ne l’empêcha pas de me reprendre.

—Pourquoi est-ce que tu t’es donnée autant de mal ? c’est juste une soirée entre amie.

Cette fois-ci Jess ne feignait pas l’offusquassions.

—Tu viens de le dire, nous sommes amies.

Jess eut un moment de silence, —aujourd’hui encore, je ne sais pas si elle se retint de m’engueuler, ou bien si elle se contenta de réfléchir à la notion d’amitié—.

—J’espère au moins que tu ne t’es pas ruinée, marmonna-t-elle sous sa tignasse blonde.




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1 commentaire

Emma Berthet

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Il y a 2 ans

Coup de pouce :)
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