Dacia Gargouilles. La porte des ténèbres. Chapitre 5: Les Démons

Chapitre 5: Les Démons

—J… je ne connais pas de You Lo, vous devez faire erreur.

Je songeai un instant que l’homme devait-être sénile —il devait être âgé de plus de quatre-vingts ans à en juger par son physique—. Et même si je n’avais jamais fumé de toute ma vie, je sus, dès l’instant où il avait allumé sa pipe, que cette dernière ne contenait pas que du simple tabac. Une odeur, forte et désagréable, avait envahi la pièce depuis de longues minutes.

Ma tête se mit à tourner lorsque le vieil homme me fit un signe du menton, et m’invita à lever les yeux vers le plafond.

—C’est ?

Devant-moi se tenait une vieille toile toute en longueur, comme un parchemin dont les coins jaunis par le temps laissaient deviner qu’il ne s’agissait pas d’une œuvre récente. Elle représentait une bâtisse en tout point identique à la maison —dites— hantée. Sur sa devanture, trois étranges statues que je n’avais jamais vues auparavant semblaient me fixer de leur yeux noirs. Elles représentaient d’effrayants démons, mi humains, mi diables. Le vertige s’empara de tout mon être tandis que ma vue se brouilla. L’encre de Chine dont était fait le dessin se mit à vibrer et à onduler avant de se mélanger pour ne former qu’une seule et unique nappe de fumé, pareille à une nappe de pétrole.

L’instant suivant je me retrouvais propulsée dans le jardin de la maison hantée. La pleine lune pour seule compagnie, tout autour n’était que ténèbres. Je faisais face à la triste demeure, les pieds dans la terre humide et sous les regards menaçants des démons de pierre. Un courant d’air glacé parcourut mon corps et je fus comme téléportée à quelques centimètres de la porte. Au-dessus de ma tête, le bruit sourd de pierres que l‘on frotte l’une contre l’autre donna l’impression que les statues prenaient vie. Je fus incapable de réfléchir, et mon corps était devenu incontrôlable alors que sur le toit, le bruit se faisait plus fort. Ce furent des bruits de pas que j’entendis ensuite. Je déposais ma main droite sur le bouton de la porte, mais elle refusa de s’ouvrir. Un dernier bruit, comme une énorme masse qui venait de tomber sur la terre derrière moi me glaça le sang.

La porte s’ouvrit enfin, et c’est sur son regard qu’elle déboucha: Un regard emplit de colère, de résiliation, mais aussi d’un espoir ténu.

—Yǔ lòu, reprit le vieillard. Yǔ lòu n’est pas une personne. Il est un des protecteurs du Royaume Terrestre. Tu as déjà vu Yǔ lòu n’est-ce pas ?

J'étais de retour à l’intérieur de la boutique d’art. L’esprit confus et le souffle court, mes yeux restèrent rivés sur le parchemin. Il avait repris son apparence originale. Avais je rêvé ce qui venait de se passer ? Sans aucun doute. La fumée de la pipe s’était dissipée, et les illusions s’étaient évaporées avec elle.

—Ce n’est qu’un dessin, marmonnais-je en retrouvant mes esprits.

—Les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être. Les arts possèdent la vertu de nous faire rêver. De nous transporter dans de nouveaux lieux, et d’éclairer les âmes. Si tu regardes le monde seulement avec les yeux et que tu oublies de regarder avec ton cœur, alors oui, un dessin ne sera jamais rien d’autre qu’un dessin.

—Vous semblez dire qu’il est magique.

—Non, il ne l’est pas. Néanmoins, il contient de la Magich’i. Tout comme toi, moi, et le reste du monde qui nous entoure. La Magich’i relie les âmes et les cœurs. Si tu t’ouvres à elle, alors tu sauras voir au-delà des apparences.

—Je suis désolée. Je sais bien que ce sont vos croyances, et je les respecte… mais, je ne comprends pas grand-chose à tout ça.

Je fus gênée face à une telle situation. Depuis que j’étais petite, mes parents n’avaient eu de cesse de me répéter que les gens n’ont pas tous les mêmes croyances, religions et opinions. J’avais grandi dans cet esprit de tolérance. Mais, à cet instant précis je ne sus comment réagir.

—Bientôt, tu comprendras, affirma l’homme. En attendant peut-être devrais-tu choisir un cadeau pour ton amie, et je pense avoir exactement ce qu’il te faut. Ses yeux fatigués se dirigèrent vers le vieil appareil photo.

J’hésitais un instant.

—Je n’ai pas assez d’argent, dis-je en pensant aux cent malheureux billets qui trainaient dans la poche de mon jean.

Le vieil homme répondit par un sourire aussi fatigué que ses yeux, qui élargissait les rides de son visage :

—Cet objet n’a pas de prix, reprit-il. Regarde attentivement autour de toi. Vois-tu la moindre étiquette dans cette boutique ?

En effet, il n'y en avait aucune.

—Je ne peux pas partir sans vous payer, marmonnais-je.

—Qu’elle drôle d’idée que de vouloir échanger une boite en bois contre du papier. L’amitié n’a de valeur que celle que l’on veut bien lui accorder. Ce ne sont pas de jolis morceaux de papiers imprimés qui lui en confère davantage.

—Mais… tentais-je de protester.

—Tchu ! Fit l’homme en levant une main. Un cadeau provient avant tout du cœur. Tu es venue de loin pour ton amie, il n’y a qu’en t’offrant cet appareil que la transaction sera équitable.

Je restai muette devant l’insistance du vieillard. Peut-être fût-il sénile, ou bien, ce que je pris alors pour de la philosophie Chinoise m’échappait. Je sentis au plus profond de mon être qu’il eut été vain de vouloir insister. Je blotti l’appareil entre ma hanche et mon bras, puis me dirigeai vers la sortie. Au moment où j’allai franchir le seuil, je me retournai en direction du parchemin.

— Yǔ lòu. Ecoute ton cœur et tu sauras.


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3 commentaires

cedemro

-

Il y a 2 ans

Double coup d'index ! 😁

Dacia

-

Il y a 2 ans

Merci beaucoup !! Kiss, kiss.
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