Fyctia
#6
La défaite...
Je n'y avais jamais pensé.
J'étais certain d'y échapper pour toujours, de ne pas être destiné à la rencontrer.
J'étais puissant, talentueux et imbattable. J'étais la fierté de mon entraîneur. J'étais un lutteur suivi avec attention par des millions de personnes qui s'attendaient à ce que je touche les sommets avec le temps. J'étais une fusée lancée à pleine vitesse vers la lune, son objectif.
Et maintenant me voilà, seul face à mon adversaire.
Un adversaire qui ne semble même pas essoufflé après tous les coups échangés, alors que je peine à tenir debout, la sueur dégoulinant le long de mon dos et de mon front.
Un adversaire qui va sûrement gagner le combat.
Un adversaire qui va me faire connaître ma première défaite.
J'ai l'impression que mon corps me lâche petit à petit, que les larmes sont sur le point de déborder. Mais je ne dois rien laisser paraître : les spectateurs me regardent. Certains m'encouragent avec l'énergie du désespoir, ayant sans doute compris comme moi qu'il ne servait à rien d'espérer une victoire à présent. D'autres me regardent avec résignation et déception : ils ont pariés sur moi et pensent à l'argent qu'ils vont perdre. Et le reste acclament mon adversaire.
Je ne sais pas quels regards font le plus mal, mais leur poids ne fait que m'enfoncer davantage dans ma détresse. Et plus je m'y enfonce, moins je parviens à me reprendre.
La motivation est partie, la peur et la honte ont pris le dessus.
- On fait moins le malin, hein ?
La voix de mon adversaire est claire, rieuse. Comme le souffle d'une brise printanière virevoltant au milieu des enfants courant et s'amusant dans les champs de fleurs après un long hiver. C'est une voix qui attire la sympathie, une voix que tout le monde ne peut s'empêcher d'écouter avec fascination depuis que cette lutteuse est arrivée dans le métier.
Parce que, oui, il s'agit d'une femme. Mon adversaire est une femme, jeune qui plus est ! Une jeune femme qui parvient à se mettre entre moi et la victoire.
Comment ose-t-elle ? Comment peut-elle ?
Derrière le masque de lionne qu'elle porte pour dissimuler son identité, ses yeux brillent d'une lueur narquoise. Elle sait qu'elle a gagné, elle sait que j'ai perdu. Elle sait que j'ai été trop prétentieux de lui dire avec suffisance, il y a à peine une heure, que je ferais attention à ne pas la blesser lors de notre affrontement.
Cette pensée me fait bouillir de rage. Ce n'est pas la honte qui m'accable, mais l'humiliation ! Ce n'est pas possible, ça ne peut pas se passer comme ça !
- Tu ne perds rien pour attendre !
Sur ces mots, je chasse mes larmes d'un geste rageur de la main et m'élance vers elle. Elle me regarde approcher à tout vitesse en esquissant un vague salut nargueur de la main, comme pour me dire au revoir. Cela me déstabilise aussitôt, la revoyant faire ce geste avant chaque fin de combat, et ma volonté s'affaiblit : elle esquive facilement mon poings.
Elle passe ensuite son bras sous le mien comme pour m'entraîner dans une danse virevoltante, et se sert de mon élan pour faucher ma jambe. Je tombe en retenant un cri surpris, tourbillonnant à terre alors qu'elle tient toujours mon bras. Je n'ai pas le temps de me relever, encore moins de reprendre mes esprits, qu'elle m'immobilise déjà avec une clé de bras.
Cette fois, je ne parviens pas à contenir ma frustration : les larmes coulent et mon coeur se serre de désespoir. Malgré tout, je continue de lutter : je tente de me dégager, mais impossible sans me déboiter l'épaule. Mon adversaire accentue sa prise et la douleur m'aveugle, prenant instinctivement le contrôle de mon corps : ma main tape sur le sol avec frénésie sans même que je m'en rende compte, déclarant mon abandon.
C'est en la sentant me relâcher pour se redresser que je prends conscience de mon geste. Le désarroi me comprime aussitôt la poitrine et je reste étendu à terre, le visage caché pour ne pas montrer l'état déplorable dans lequel je me mets à cause de cette jeune peste.
Comment ?
Pourquoi ?
C'est absurde !
Je ne peux pas avoir perdu ! Surtout pas face à une petite maline comme elle ! Comment pourrai-je me regarder dans le miroir après ça ? Comment affronter le jugement de la presse, de mes proches, de mon entraîneur et des spectateurs ?
Je ne suis pas le premier à me faire avoir par cette lutteuse, mais l'humiliation n'en est pas affaiblie.
Aurais-je été trop prétentieux ? Trop sûr de moi face à sa mince silhouette ? Aurais-je fait des erreurs de débutants en ne la prenant pas assez au sérieux ? Sûrement, et à présent, me voilà puni pour ma suffisance. Puni d'avoir pris à la légère une lutteuse plus jeune et moins imposante.
- Besoin d'aide ?
Sa voix est aimable et douce, comme pour ne pas me brusquer. Je préférerais presque qu'elle se moque de moi et qu'elle fanfaronne ! Perdre contre elle, et en plus la voir agir avec bienveillance, c'est tout simplement insupportable.
J'essuie une dernière fois mes yeux, priant pour que l'effort ait rendu mon visage assez rouge pour que les spectateurs ne remarquent pas les traces laissées par mes larmes de frustration, et me relève en ignorant sa main tendue. Mes jambes sont tremblantes de fatigue, j'ai l'impression qu'un étau m'enserre la tête après avoir pleuré et je ne parviens pas à lever le regard vers le public qui acclame la gagnante.
Je ne peux que fixer avec colère et rancoeur l'arbitre qui donne la victoire à mon adversaire.
- Eh ben, Will, comment t'as pu te laisser mener en bourrique comme ça par elle ? s'exclame Kevin, mon ami et accompagnateur, à peine je pose un pied hors de l'arène.
- On a tous des mauvais jours... marmonné-je.
- C'est sûr... Allez, c'est pas grave : ce n'est qu'un combat parmi d'autres. La prochaine fois que tu te retrouveras face à elle, tu l'exploseras !
Je lui lance un regard quelque peu reconnaissant de sa vaine tentative de me consoler, mais perds aussitôt le sourire qui allait étirer mes lèvres : ses yeux sont emplis de pitié.
De pitié ! Il a pitié de moi. Je fais pitié...
Je sens les larmes de rage menacer de déborder de nouveau et je trace, le dépassant et filant sans l'attendre dans ma loge.
Je n'ai jamais été aussi décidé de ma vie : il est hors de question que je génère de nouveau un sentiment de pitié. Hors de question de subir une nouvelle humiliation ! Je vais m'entraîner plus intensément, je vais briller plus fortement que jamais, et je retrouverai ma fierté.
Bientôt, plus personne ne pensera à cette défaite car tous la trouveront aussi absurde que moi.
Je m'en fais la promesse.
5 commentaires
Griffesdehors
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Il y a 7 mois