Fyctia
#5 - Poésidon
… mayday mayday mayday…
Quatre semaines s’étaient écoulées sans nouvelle du Poséidon. L’absence de l’équipe de football irlandaise avait pesé sur toute la compétition. L’Argentine avait remporté la coupe, mais la victoire était amère et les pensées dirigées autour des joueurs et de leur entourage.
… navire BL143 Poséidon en situation d’urgence…
Je passais la plupart de mes journées à errer dans New York. J’avais usé mes semelles sur le chemin du port et semé mon désespoir chaque fois plus encore.
Déjà, le bateau avait quitté les gros titres. Des entrefilets évoquaient les recherches entreprises pour retrouver une trace, une planche de bois, un vêtement à la dérive ; les nouvelles nous parvenaient par télégramme des villes de la côte Atlantique. Rien succédait à rien, et moi je pensais à Isabella.
… latitude 60 point 24 nord, 41 point 45 ouest…
Je relisais sans cesse les lettres que nous avions échangées. Dans la dernière, elle me disait embarquer dans le Poséidon à Foynes à midi, le vingt-quatre mars. Elle avait prévu de fuir pendant la nuit, puis de se cacher chez une faiseuse d’ange en attendant de rejoindre le port.
Son billet était enregistré sous le nom de famille de sa grand-mère. Elle avait peur que lorsque son mari constaterait sa disparition, il n’envoie les troupes à sa recherche, et que les registres la trahissent. C’est donc sous le pseudonyme d’Elena Dufay qu’elle figura dans les journaux, en compagnie des noms des vingt-quatre footballeurs irlandais et des malheureux voyageurs connus désormais sous l’appellation des « Disparus du Poséidon ».
… navire pris dans les glaces, besoin d’aide immédiat.
Durant ces quatre semaines, je pleurai toutes les larmes que cet amour avait mises en moi. Je pleurai les miennes, puis les siennes, de ces promesses que nous nous étions faites, ce soir où nos mains s’étaient serrées l’une contre l’autre, où nous avions embrassé les interdits. Sans les glaces du Pôle, sans les bigots de Cork, sans sa bague maudite, elle m’aurait rejointe ici et nous aurions goûté une vie nouvelle à deux.
Je reçus ce jour-là, une lettre provenant d’Irlande.
Madame,
Je me nomme Katie Healey. Le vingt-cinq du mois de mars, une femme a été conduite dans la cellule que j’occupais à Cork et que j’étais amenée à quitter dans les jours à venir car ce n’était pas ma place en premier lieu. Comprenez, madame, que je n’ai commis aucun crime ou délit qui pourrait vous inciter à croire que je ne suis de bonne foi ou d’excellente composition. Un filou m’aura pris pour une fille de mauvaises mœurs, moi qui n’ai pas à me reprocher le moindre écart et qui mourrai blanche.
Cette femme n’a rien voulu me dire ni sur elle ni sur la raison pour laquelle elle se trouve sous les barreaux. Je la pense de votre famille, aussi je peux vous dire qu’elle me parut fort sympathique et que nous eûmes beaucoup de plaisir à converser ensemble pendant la durée de notre séjour commun et malgré la dureté des cellules irlandaises.
Elle me fit promettre à ma sortie, et vous tenez entre les mains ce qui m’en délivre. Elle m’a dicté votre adresse ainsi qu’un message à votre attention, qu’elle m’a fait apprendre par cœur pour m’en rappeler jusqu’à ce que je puisse mettre la main sur du papier et une plume à la sortie du bagne. Voici ce message :
Arrêtée par la police.
Traversée avortée.
Tout rentrera dans l’ordre.
Edgar viendra me chercher et me ramènera.
Ne tente pas à me retrouver.
Dans un an ou deux, tu ne penseras plus à moi.
Souviens-toi seulement de nos premières lettres.
Maintenant, tout est fini.
Oublie-moi à jamais.
Isabella.
Cette pauvre femme semblait plus affectée par vous transmettre ces mots que par son propre sort face à la justice. J’espère donc que cette lettre vous trouvera.
Katie Healey,
Le trois avril 1906.
6 commentaires
clecle
-
Il y a 9 mois
Marie Andree
-
Il y a 9 mois
Emma J. Clark
-
Il y a 9 mois