Fyctia
Ménilmontant – Paris-20e –
FIN MARS 2011
Une pluie fine tombait sur les trottoirs qui reflétaient les lumières de la ville. À la sortie du métro Père Lachaise, le flot quotidien des travailleurs était passé depuis une bonne heure. Julien Touret qui revenait de son Club de gym pressa le pas. En pénétrant dans le couloir vétuste et mal éclairé de son immeuble, le jeune homme sentit une présence. Il allait attaquer les marches pour se rendre au premier étage, quand il perçut un mouvement dans le renfoncement qui conduisait au local des poubelles.
– Julien, c’est moi. Viens un peu voir par ici.
– Robert ? Tu n’es pas monté chez Maman ?
– Non, j’y allais ; mais, viens voir.
Le jeune homme s’approcha pratiquement à l’aveuglette de cette partie sombre du bâtiment.
– Qu’est-ce qu’il y a ?
– Viens, je te dis.
Un bras puissant tomba sur les épaules du garçon qui se sentit plaqué au mur. Il tenta de se dégager et de crier. Une main se posa fermement sur sa bouche. Son agresseur, collé à lui, semblait vouloir lui faire traverser la cloison. Julien se tenait immobile, tétanisé. Le corps de l’homme dégageait une intense odeur de transpiration.
– Pourquoi tu m’ignores, quand je reste le soir à dîner avec vous deux ? Pourquoi tu me fais la gueule ?
Il retira sa main et colla ses lèvres sur celles de Julien. Un sentiment de peur et de honte mêlée de bonheur, envahit celui-ci. Contre toute attente, il passa les bras autour du cou de son agresseur et se laissa aller au baiser, une fraction de seconde. Soudain conscient de la réalité, il chercha à se dégager et n’y parvint que difficilement. Puis, se ressaisissant :
– Qu’est-ce qui te prend, Robert, tu es devenu fou ?
Il avait grimpé les deux premières marches quand l’homme chuchota :
– Attends Julien… je… je voulais qu’on parle. Pas un mot à ta mère surtout, sinon…
Le garçon était déconcerté. Il ne comprenait pas l’attitude de l’homme, pas plus que la sienne. Son cœur battait à tout rompre, ses jambes menaçaient de le lâcher. Arrivé devant la porte de l’appartement, paniqué, il mit un moment avant de trouver la bonne clé. Ses mains tremblaient en l’introduisant dans la serrure. Il inspira profondément et poussa la porte. Sa mère installait le couvert. Elle leva la tête.
– Ah, mon chéri, ne referme pas. J’attends Monsieur Noguès d’un moment à l’autre, il reste dîner avec n... Julien, qu’est-ce que tu as, tu es tout blanc, tu te sens mal ?
– Non, je…, je crois que j’ai forcé un peu à la gym, ce soir ; j’aurais pas dû. C’est rien, ça va aller, m’man.
Sous prétexte de renouer son lacet défait, il se laissa tomber sur une chaise. Ils entendirent frapper à la porte.
– C’est lui, dit Rose. Entre, Robert, c’est ouvert.
L’homme poussa la porte, un sac de victuailles à la main. Le visage rouge et luisant de sueur, il crut bon d’expliquer :
– Une livraison à domicile, au cinquième étage d’un immeuble sans ascenseur et je n’ai plus l’âge. - il décida de jouer son va-tout - À ce propos, je vais recruter un magasinier livreur. Je commence à me faire vieux. Il me semble que tu ferais l’affaire, Julien. Qu’est-ce que tu en dis ?
La tirade avait été lâchée assez nerveusement, en haletant.
– Je... je sais pas, faut voir, j’ai ce stage, bredouilla le jeune homme.
Il n’osait pas regarder Robert en face. Tête baissée, jambe repliée et talon posé sur la chaise, il faisait semblant de renouer ses lacets.
Sa mère intervint.
– Tu sais, mon grand, c’est une bonne proposition que te fait Monsieur Noguès. Tu serais près de la maison. En plus, pas de métro à prendre et…
– Et surtout mieux payé, l’interrompit l’épicier. Réfléchis, mais pas trop longtemps. Je suis décidé à embaucher, de toute façon.
Julien, troublé par la proposition de l’homme après ce qui venait de se produire, ne répondit pas. Celui-ci, inquiet malgré tout, regardait furtivement le jeune homme, craignant une mauvaise réaction de sa part.
Rose n’insista pas davantage, mais elle se promit de faire accepter à son fils, dans les jours suivants, l’offre du patron de la supérette.
– Bien, si nous passions à table ? dit-elle.
– C’est une bonne idée, enchaîna Robert, j’ai une faim de loup ; toi aussi Julien ?
– Je préfère aller m’allonger, je suis un peu fatigué, le sport m’a crevé. Excusez-moi, bonne soirée à vous deux.
– Va, mon fils, dit Rose, au cas où, tu connais le chemin de la cuisine.
Julien ne se le fit pas dire deux fois. Arrivé dans sa chambre, il se jeta sur son lit, dos collé, immobile, les yeux grands ouverts. Une sorte de nausée l’envahit. Il avait l’estomac noué. Comment avait-il pu céder à son agresseur et surtout, pourquoi y avait-il trouvé du plaisir ? Il se sentait sale. Il avait honte et ne comprenait pas ce qui s’était passé, sinon qu’il avait accepté ce baiser furtif et qu’il y avait répondu. Et l’autre qui lui demandait le silence. Comme si on racontait ce genre de choses à sa mère. Ah, si son père était là, il saurait et lui dirait ce qu’il fallait faire.
« Papa, pourquoi t’es pas là ? Pourquoi tu m’as abandonné ? Tu me réponds pas ? Papa, j’ai tellement besoin de toi. Et cet homme, comment réagir par rapport à lui ? Pourquoi ai-je éprouvé du plaisir à cette étreinte, pourquoi, pourquoi j’ai fait ça ? Et Robert, on se connaît depuis des années, qu’est-ce qui lui a pris ? »
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