Fyctia
Le foyer et le pique-nique 5
Le voilà avec son adjoint devant le portail métallique d’accès, qu’il ouvre dans un crissement fort désagréable pour les tympans. Sur la gauche, à côté de l’escalier en béton qui monte à l’étage supérieur, un passage donne accès à une bande de terre, où sont plantés deux poteaux en forme de té, reliés par des fils de nylon, faisant office d’étendage. En face, un portillon profondément attaqué par la rouille donne accès à un jardinet en friche et à l’appartement du rez-de-chaussée. Maloire actionne la tirette qui fait tinter une clochette suspendue en haut d’un pilier, sur lequel on peut déchiffrer, sur une minuscule plaque, Mr et Mme Borel. Un homme, d’un âge avancé, mal rasé et à l’apparence quelque peu négligée, présente son embonpoint sur la terrasse couverte par le balcon du dessus.
Il descend les trois marches qui le séparent du petit chemin de pierres plates et s’avance vers eux en demandant :
– C’est pourquoi ?
– Police ! répond Maloire en présentant sa carte.
– Police ? reprend sur un ton étonné, l’homme, maintenant à sa hauteur.
– Nous enquêtons sur un fait divers qui a eu lieu il y a dix-sept ans. Je crois savoir que vous habitiez ici à l’époque ?
– Ah oui ! Vous voulez parler de l’accident de monsieur Valmer, mon voisin du dessus ?
– Exact, étiez-vous présent ce jour-là ? Avez-vous assisté à la scène ?
– Oui, j’étais là, mais je n’ai pas vu le déroulement de la scène, entrez donc, nous serons mieux pour parler à l’intérieur.
L’homme les invite à s’asseoir sur des fauteuils en rotin bancals qui entourent une table en teck tout auréolée de taches peu appétissantes. Maloire, soucieux pour le fond de son pantalon, qui a déjà souffert des affres de la voiture, refuse aimablement, prétextant qu’il préfère rester debout pour dé-tendre ses muscles engourdis par le voyage.
– Que pouvez-vous nous dire sur ce qui s’est passé ce jour-là ? poursuit-il.
– Nous étions sur la terrasse ma femme et moi et avons entendu une dispute éclater sur le palier en haut de l’escalier, entre Marcel Savin, le voisin d’en face à l’époque, et Paul Valmer.
– Que disaient-ils ?
– D’ici on ne pouvait pas distinguer le sens des paroles, simplement le fait que le ton était un peu plus élevé qu’une conversation normale.
– Et ensuite ?
– Ensuite, nous avons entendu un bruit sourd, suivi de cris, et nous nous sommes levés pour aller voir ce qui se passait.
– Poursuivez, ajoute Maloire.
– Monsieur Valmer était recroquevillé au bas de l’escalier, baignant dans une mare de sang, avec sa femme et son fils agenouillés à ses côtés. J’ai aussitôt demandé à ma femme d’appeler des secours et quelques instants plus tard, j’ai constaté qu’il était mort.
– Comment cela ?
– J’ai palpé sa carotide et il n’avait plus de pouls.
– Que s’est-il passé alors ?
– Rien de particulier, nous avons attendu les secours en essayant de calmer madame Valmer qui insultait et menaçait violemment monsieur Savin.
– Quel genre de menaces ?
– Elle le traitait d’assassin, en jurant qu’elle le tuerait à son tour. Elle était dans un état second, elle ne se contrôlait plus.
– Et les jours suivants ?
– La vie a repris le dessus, mais rien n’allait plus comme avant. Madame Valmer ne sortait presque plus et ses enfants non plus. En dirigeant son doigt vers le haut, il ajoute, on ne les entendait plus jouer sur le balcon au-dessus.
– Quelle a été l’attitude de Mireille Valmer vis-à-vis de ses voisins par la suite ? ajoute Edgar.
– Elle était très remontée contre monsieur Savin. Elle n’a jamais accepté la décision de l’enquête, concluant à un accident. Pour elle, c’était un meurtre et elle ne cessait pas de répéter que justice se-rait faite un jour ou l’autre, de sa main ou de celles de ses enfants. Mais elle n’est pas passée à l’acte, car elle a rapidement dépéri et est décédée six mois plus tard.
– Et ses enfants, croyez-vous qu’ils seraient capables de se faire justice eux-mêmes ?
– Pourquoi me demandez-vous ça ?
– Parce que les époux Savin ont récemment été assassinés, ajoute Maloire, vous n’étiez pas au courant ?
– Non, pas du tout. Quelle horreur !
– Vous n’avez pas donné votre avis concernant les enfants, reprend Edgar.
– De ce côté-là, je peux être affirmatif. Ni l’un ni l’autre ne sont, à mon avis, capables d’un tel acte. C’étaient des enfants bien élevés, très polis et très calmes. À moins d’un changement radical chez eux, ce qui m’étonnerait beaucoup, mais je n’y crois pas du tout.
– Les avez-vous revus depuis ?
– Non, jamais, ils sont partis pour un foyer de l’enfance à la suite du décès de leur mère et n’ont jamais remis les pieds dans le quartier, d’autant que les Savin, eux, avaient déménagé.
– L’appartement du dessus est-il habité aujourd’hui ? demande Maloire.
– Oui, mais dans la journée, il n’y a personne, les parents travaillent et les enfants sont à l’école.
– Bien, monsieur Borel, nous vous remercions pour toutes vos précisions, laissez votre numéro de téléphone à mon adjoint, je vais jeter un coup d’œil du haut de l’escalier.
Maloire gravit lentement l’escalier en se sécurisant d’une main à la rampe maçonnée pour constater une fois sur le palier que l’escalier est vraiment raide. Pas surprenante la conséquence de la chute. De là-haut, il peut apercevoir de l’autre côté de la rue l’ancienne maison des Savin, qui n’a rien de comparable avec leur nouvelle de Grandbourg. Ils ont vraiment perdu au change, pense-t-il. Quelle sale histoire !
Quelques minutes plus tard, ils récupèrent leur Renault Mégane et prennent la route du retour, au grand dam du pantalon de Maloire qui va encore souffrir.
– Edgar, que penses-tu des déclarations de Borel ? interroge Maloire.
– À quel point de vue, Inspecteur ?
– Celui des menaces de Mireille Valmer ?
– Elles sont presque normales dans une situation aussi désespérée.
– Oui, mais quand elle dit qu’elle le tuera « de sa main ou de celles de ses enfants » ?
– Je crois qu’elle ne pensait pas ce qu’elle disait, ses mots dépassaient sa pensée.
– Oui, c’est fort possible, mais fort inquiétant aussi, car, après tout, ils ont un mobile en béton. Marion pourrait très bien être la pseudo-prostituée du parking et Stéphane le jeune homme, sorti de dessous le porche. On a tout sous la main, le mobile et deux parfaits suspects. Néanmoins, il existe une grosse, voire une très grosse interrogation.
– Laquelle ? demande Edgar.
– Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour mettre leur vengeance à exécution ? Dix-sept ans, c’est très long. Quel est le motif qui a déclenché cet acte aussi tardivement ? Pourquoi ne pas avoir mis à exécution leur projet plus tôt ?
– Peut-être ne s’en sentaient-ils pas capables, ou bien se trouvaient-ils trop jeunes.
– Oui peut-être, mais quand une idée te taraude l’esprit et t’empêche de dormir, comme cela a pu être le cas pour eux, on n’attend pas d’avoir la trentaine pour agir. Dès vingt ans, on peut passer à l’action, si l’on a vraiment l’intention de le faire.
Maloire reste songeur quelques instants, une ride verticale vient de creuser son front juste au-dessus de son
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