Robcar Funeste engrenage La mort d’un conducteur routier 6

La mort d’un conducteur routier 6

La voiture roule sur la route luisante d’une pluie fine. Ses occupants, songeurs, ne profitent pas du paysage de plaine jalonnée par les troncs sombres des peupliers. Elle emprunte l’autoroute A95, et deux heures plus tard, alors que la pluie a cessé de tomber, elle la quitte pour s’engager sur la bretelle qui mène à la station-service où se trouve l’aire de repos en question. Au loin, on peut apercevoir un petit groupe de curieux et quelques gendarmes auprès d’un poids lourd bleu, vraisemblable-ment la scène du crime. Maloire et son adjoint s’en approchent, garent la voiture à distance et se dirigent tous deux vers le camion dont la portière côté conducteur est entrouverte.

– Police ! Écartez-vous, vous n’avez rien à faire ici. Edgar, fais-moi dégager tous les curieux.

Maloire salue et écoute le rapport succinct de ses collègues locaux. Il s’équipe ensuite de gants en plastique souple et très fin, du style médical, et de couvre-chaussures identiques. Il pose son pied sur la marche, attrape la poignée montoir et se hisse au niveau de la cabine. Là, il voit sur la couchette arrière un homme allongé, les mains rabattues derrière le dos et fixant d’un regard vitreux le plafonnier. Son pantalon est dégrafé et son ceinturon entouré et solidement bouclé autour de ses chevilles en guise de lien. Ses vêtements sont en ordre et ne présentent aucune trace de lutte. Effectivement, cette mort ne semble pas du tout naturelle. Il descend de la cabine et, s’adressant au petit comité qui l’entoure, demande :

– Qui a découvert le corps ?

– C’est moi ! dit un homme d’une cinquantaine d’années.

– Qui êtes-vous ?

– Je suis le gérant de la station-service.

– Comment cela s’est-il passé ?

– De mon bureau, je peux voir toutes les allées et venues des véhicules, y compris les poids lourds qui stationnent ici pour la nuit. Celui-ci est venu hier en début de soirée. Il pleuvait fortement, il s’est garé et peu de temps après il a éteint ses lumières. Je le vois assez régulièrement ce camion, on a nos habitués et l’on finit par les reconnaître à force de les voir sur le parking. D’autant que tous ces camions sont personnalisés et ils se différencient plus facilement que les voitures.

– Venez-en au fait ! Dites-moi ce qui vous a poussé à venir jusqu’ici et faire cette découverte.

– En général le lendemain matin, les routiers viennent faire un brin de toilette et boire un café avant de reprendre la route. Ce matin, je les ai tous vus venir, puis repartir, sauf lui. Je n’y ai pas trop prêté attention sur le moment, mais quand j’ai vu qu’il était encore là au milieu de l’après-midi, j’ai trouvé ça bizarre. Je me suis approché du camion et j’ai vu que la portière n’était pas complètement fermée. J’ai appelé le conducteur de l’extérieur, mais il ne m’a pas répondu, alors j’ai entrouvert la portière et aperçu ses pieds qui dépassaient derrière le siège avant. En règle générale, quand ils se reposent, ils quittent leurs chaussures, mais pas lui. J’ai voulu secouer ses pieds pour le réveiller, et c’est à ce moment-là que j’ai constaté qu’ils étaient sanglés. J’ai repoussé la portière et vous ai appelé aussitôt.

– Quelqu’un d’autre était sur le parking à ce moment-là ?

– Non, à part un ou deux camions venus se garer un peu plus loin.

– Qu’avez-vous touché exactement ? Réfléchissez et soyez précis si possible.

– Le bas de la portière, la poignée, ses chaussures, et je crois que c’est tout.

– OK, laissez vos coordonnées à mon partenaire, moi je vous attends demain matin dans mon bureau à neuf heures précises pour signer votre déposition et prendre vos empreintes digitales. Soyez à l’heure, je n’aime pas attendre.

S’adressant à son stagiaire, qui suivait la conversation, il dit :

– Appelle une ambulance pour faire enlever le corps et le service scientifique pour passer les lieux au peigne fin, je retourne examiner l’intérieur de la cabine.


Cette fois-ci, il fait le tour du tracteur par le devant et monte de l’autre côté. D’ici, il peut mieux examiner le visage de l’homme étendu sur la banquette. Ces yeux sont exorbités et retournés vers l’arrière, sa bouche est grande ouverte et son teint violacé. Sa position allongée et mains croisées dans le dos est curieuse, d’autant qu’après vérification, ses mains ne sont pas attachées. Il ne pré-sente apparemment aucun coup ni aucune trace de lutte. Ses vêtements sont bien en place, sauf son ceinturon que l’agresseur a utilisé pour lui ligoter les pieds. Seul son pantalon présente une petite particularité, apparemment anodine, avec ses deux premiers boutons dégrafés, mais pas arrachés.


Assis sur le siège passager, Maloire se baisse et examine attentivement tous les coins et recoins du sol de la cabine, en quête d’un indice prometteur. Opération vaine. Il aperçoit alors sur le tableau de bord, bien en vue, un portefeuille de cuir noir, il le saisit avec ses gants et en examine le contenu. La carte d’identité est au nom d’un certain Marcel Savin, âgé de cinquante-sept ans. D’après les trois photos qu’il contient, il doit être marié et avoir deux enfants. Sur l’une d’elles, on le voit, une femme au bras, et sur une autre, en train de fêter l’anniversaire de ses enfants. Les photos ne sont pas ré-centes, mais montrent tout de même avec évidence que ses enfants sont deux garçons jumeaux. La troisième photo le présente au volant d’une voiture de sport, fier comme Artaban . C’est un modèle de collection, une superbe décapotable rouge bardée de chrome, comme on n’en fabrique plus de nos jours. Il y trouve aussi une carte bancaire et trois cent cinquante euros en billets. Il range consciencieusement les documents sortis à leur place, et repose délicatement le portefeuille à son emplacement initial. À ses pieds, au sol, est posé un sac de sport affublé d’une marque publicitaire. Il en fait un rapide inventaire et n’y trouve rien d’intéressant, hormis du linge de corps, un nécessaire de toilette, un dîner froid et quelques boissons.

Je vais laisser la main à mes collègues spécialistes, j’en saurai plus après les conclusions de leurs analyses, pense Maloire en redescendant du camion.

Une fois pieds à terre, il retourne vers son partenaire.

– C’est fait ? lui demande-t-il. Tout le monde est averti ?

– Oui, ils seront là dans un quart d’heure au plus tard.

– OK, monte dans la cabine et regarde sans rien toucher, nous en reparlerons plus tard.

– Tout de suite, Inspecteur.

– Non ! Attends, mets des gants avant de toucher le véhicule, sinon tu vas laisser tes empreintes partout. Et si tu entres dans la cabine, mets des couvre-chaussures. C’est élémentaire enfin.


L’inspecteur stagiaire s’exécute sans mot dire, pendant que Maloire, pensif, commence sa longue réflexion, qu’il continuera dans la soirée en sirotant un vieux Whisky, confortablement installé dans son Chesterfiel et bercé par les langoureuses variations d’une grande musique classique.

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