Fyctia
Chapitre 11.1
KAYLEE
— Alors Nolan a dit à Clay que la télé était réservée pour lui le mercredi soir. Mais Clay n'était pas du même avis. C'était la seule soirée où le film qu'il voulait tellement voir allait être diffusé. Il a donc expliqué à Nolan qu'il pouvait faire une exception et regarder l'épisode de sa série en rediffusion. Malheureusement pour Clay, mon meilleur ami serait capable de tuer pour pouvoir regarder sa série tous les mercredis soir. Ils se sont donc disputés et Clay est venu regarder son film à la maison, expliqué-je alors qu'un sourire se dessine sur mon visage en repensant à cette nuit-là.
Nolan n'avait pas cédé, mais avait culpabilisé quelques heures plus tard. Il a terminé l'épisode de sa série (il ne faut quand même pas abuser) et il s'est empressé de venir à l'appartement pour s'excuser auprès de son copain. J'avoue avoir été surprise de trouver Clay sur le pas de ma porte, complètement remonté. Il est le genre de personne qui ne s'énerve que rarement, alors le voir dans cet état était à la fois surprenant et amusant. Hayden ne s'est d'ailleurs pas gêné pour se foutre de la gueule de son meilleur ami. Ce qui lui a valu, évidement, un énième regard noir de ma part. Même si pour une fois, j'avais aussi envie de rire.
— Et qu'as-tu fait pour les aider ? demande le docteur Wilson en esquissant un léger sourire.
— J'ai discuté avec Clay, lui ai offert quelque chose à boire et je l'ai laissé avec Hayden devant la télé. J'ai ensuite appelé Nolan pour lui hurler dessus et lui remettre un peu de bon sens dans la tête. Deux heures après, mon meilleur ami débarquait et les tourtereaux repartaient main dans la main. Vous voyez, c'est exactement pour ça que je ne tomberai plus jamais amoureuse. L'amour, c'est trop de complication.
Ma psychologue m'écoute attentivement, sans laisser transparaître la moindre émotion. Bien qu'elle doive avoir des opinions sur le sujet, elle les garde pour elle et hoche simplement la tête à chaque fois que j'achève mes propos
— Concernant Hayden, comment vont vos relations depuis que vous vivez ensemble ?
Je grimace à la mention de cet imbécile. Docteur Wilson sait très bien que je le déteste et que rien ne changera cela. Nous avons consacré toute une séance à discuter de mon aversion envers mon colocataire, et, bornée comme je suis, elle sait qu'il me faudra beaucoup plus que deux semaines pour changer d'avis
— Peut-on changer de sujet ? Vous savez que rien n'a changé, réponds-je sans grand enthousiasme.
Un nouveau sourire prend forme sur son visage alors qu'elle me sonde en silence. J'ai beau étudier la psychologie et être suivie par le docteur Wilson depuis plus de deux ans, je reste incapable de percer à jour cette femme. Je me demande combien d'années il lui a fallu pour développer cette absence d'émotions faciales. Et je me demande même si je serai un jour capable d'être aussi imperturbable. Bien sûr, je suis douée pour cacher mes émotions lorsque cela me concerne, mais mon visage trahit toujours mes sentiments quand il s'agit des autres. Lorsque des idiots comme Hayden racontent des sottises, je suis incapable de garder mon impassibilité.
— Hayden est insupportable. Il n'est pas méchant, bien au contraire, mais il est tout ce que je méprise chez un être humain. Arrogant, égocentrique, vaniteux...
— Et heureux.
Je fronce les sourcils, ne comprenant pas où elle veut en venir.
— Je ne suis pas certaine de vous suivre, docteur.
— Si, tu me suis très bien. Tu ne veux simplement pas l'accepter. Souhaites-tu connaître mon avis ?
Je secoue la tête, plus très sûre de vouloir poursuivre cette discussion. Je crois savoir où elle veut en venir et je sais très bien que je ne vais pas aimer sa réponse.
— Tu ne détestes pas Hayden. Tu détestes simplement le fait qu'il ressemble à la fille que tu as un jour été. Souriant, expressif, heureux de vivre, entouré. Tu te revois en lui et ça t'effraie.
— C'est faux, hurlé-je soudainement.
Le docteur Wilson ne cille pas une seconde, sûrement l'habitude. Pourtant, malgré mes années d'entraînement, certains sujets parviennent toujours à me faire perdre le contrôle. Si je n'arrête pas ma psychologue maintenant, nous allons inévitablement aborder un sujet qui me déplaît fortement Je sais qu'elle le fait exprès, mais je ne lui laisse jamais l'occasion de parvenir à ses fins. Même si c'est littéralement le but de cette thérapie.
— Je ne veux plus parler d'Hayden.
— Alors on n'en parle plus. Je pense que tu serais plus à l'aise si on abordait le cas de tes parents ou de Marco.
Cette fois, c'en est trop. Je me lève brusquement de ma chaise et fonce jusqu'à la porte de sortie.
— Kaylee, je comprends que parler de cette période de ta vie soit difficile pour toi, mais éviter le sujet ne fera que prolonger ta souffrance. Je suis là pour t'écouter et t'aider à traverser cela. En revanche, nos séances seraient bien plus efficaces si tu parvenait à ouvrir cette porte verrouillée dans ton esprit.
Je reste un instant devant la porte, prenant de profondes inspirations et expirations pour me calmer. J'essaie de repousser les flashbacks qui tentent de s'emparer de mon esprit. Je refuse de les laisser revenir, je refuse de perdre le contrôle. Je ne l'ai déjà pas le peu de fois où je ferme les yeux. Alors je ne permettrai pas à ces souvenirs de me torturer lorsque je suis pleinement consciente
— Merci pour tout, docteur. On se voit la semaine prochaine, dis-je en m'empressant de fuir ce cabinet de malheur.
Consulter était la suite logique après ce que j'avais vécu trois ans plus tôt. Une suite logique oui, un choix, certainement pas. Le cerveau est un organe complexe qui exerce une influence considérable sur l'être humain. Il régit la mémoire, les émotions, la réflexion, les mouvements, et peut également être à l'origine de diverses pathologies telles que l'Alzheimer, la dépression, ou encore Parkinson.
Ce que l'être humain vit, le cerveau en est témoin et agit en conséquence. Il peut choisir de te préserver de certains souvenirs s'il estime que tu ne peux pas les supporter. Ou il peut te torturer perpétuellement avec ceux-ci.
En ce qui me concerne, je me souviens de tout : chaque larme versée, chaque douleur ressentie, chaque hurlement... Mais je préfère me voiler la face, me renfermer et ne plus en parler. Pour moi, si le sujet n'est pas évoqué, la douleur n'est pas présente. Même si je sais que c'est totalement faux. Que j'en parle ou non, la douleur ne s'en ira jamais, les cauchemars referont toujours surface et mes souvenirs resteront intacts. Alors en parler ne ferait que remuer le couteau dans une plaie loin d'avoir cicatrisé.
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