Fyctia
LE MAIRE ET LE VIN CHAUD
— Oui, peut-être demain, si j'ai le temps.
Il hoche la tête, toujours fixé sur ma poitrine. Je lui mets une gifle ou je le castre cet âne ? Je le dis, mais je sais pertinemment que je ne le ferais pas. Il risquerait de se rendre et ma tête tournerait trois fois autour de mon buste. Tout à coup, il me fait peur. Je recule et rentre dans ma cabane, bien à l'abri derrière mon comptoir.
— Bon, Albert tu la laisses tranquille, la petite ? Elle a du travail, va promener ta mère, elle t'attend près du sapin.
La voix tonitruante de Mauricette nous fait sursauter tous les deux, et a le mérite de détourner le regard d'Albert.
— Heu, oui, j'y vais. Bon et bien à demain Francine. Au revoir, Mauricette, content de t'avoir revue.
Je hoche la tête, terrorisée à l'idée de passer une minute seule avec le fétichiste de seins.
Mauricette le suit des yeux, le regard sombre et les lèvres pincées.
— Je ne la supporte pas cette bigote. Et pourquoi as-tu dit oui à ce type ?
— J'ai eu peur qu'il le prenne mal si je lui disais non.
Elle lève les yeux au ciel et souffle bruyamment tout en secouant la tête de désespoir.
— Francine, Francine, Francine.
Je souris doucement, et ne peux m'empêcher de me moquer d'elle.
— Mauricette, Mauricette, Mauricette.
— Ne te fiche pas de moi, ma petite. Si tu ne veux pas aller avec un type tu as le droit de dire non. Point à la ligne.
Je grimace.
— Facile à dire pour toi, tu en imposes. Moi, j'ai l'impression qu'ils vont tous m'écraser sous leurs chaussures, si je dis non.
Elle souffle comme un bœuf.
— N'importe quoi. Le prochain qui vient, tu lui dis non. Tu verras il ne va rien se passer.
Je vais pour lui répondre, mais des cloches et des HO ! HO ! HO ! M'interromps. Une troupe bigarrée et joyeuse arrive, avec le maire en tête. J'ai comme l'impression qu'ils ont tous fait le stand d'alcool avant tous les autres. Je les vois approcher, en titubant légèrement. Puis le maire s'arrête pile devant l'arbre géant, il lève la tête pour fixer la cime. On lui tend un micro, et voilà que la rock star se met en marche.
— Mes cherrrs concitoyens. Cette année encorrrre, nous voici rrréunis pour fêter cette fête extrrrraorrdinaire qu'est Noël. Je ne vais pas rrrevenir sur sa belle et longue histoirrre qu'est la naissance du père Noël, le curé le fait mieux que moi.
Hou là, je crois que notre petit fonctionnaire est cuit à point. Son accent catalan est revenu au grand galop. Il roule les r sur tous les mots. Je le vois tanguer d'un côté, puis de l'autre.
— Bon, il faut que je vous dise, les enfants. J'ai bu un coup avec le pèrrre Noël et il est d'accorrrd pour venir ici, allumer notre beau sapin.
Le silence se fait. Tout le monde écoute religieusement les paroles de ce type en costume, bourré comme un coin. Les enfants se mettent à murmurer entre eux et les parents ont un air inquiet sur le visage. Parce que si le père Noël est dans le même état que le maire, cela risque d'être super drôle.
Le micro se met à grésiller encore une fois, puis la voix forte du maire nous crève les tympans.
— Vous voulez voirrr le bonhomme rrrrouge les enfants ?
Des oui enthousiastes lui répondent.
— Alorrrs, il faut crrier plus fort les enfants.
Des hurlements retentissent et je ne peux m'empêcher de sourire face aux petits visages pleins d'espoirs qui fixent avec adoration Monsieur le maire.
— Il faut l'appeler les enfants, sinon le loup va le manger ! Hou ! Hou !
Qu'est-ce qu'il raconte ? Il va finir par terroriser les petits. Puis soudain, on entend des Ho hoho un peu flou. Le père Noël arrive, il tient un sac sur son épaule et surtout il ne marche pas du tout droit, sa barbe et son bonnet sont de travers. Il me semble reconnaitre le boulanger. D'ailleurs, je vois Madame la boulangère se précipiter sur son homme et lui remettre la barbe et le bonnet en place, avant de lui souffler dans l'oreille quelques menaces. Le père Noël éclate de rire, puis claque les fesses de sa femme sous les regards outrés de la population. Puis, il reprend son périple jusqu'à nous, tout en émettant des ho ! ho ! ho ! ou bien des hi ! hi ! hi ! je n'ai pas pu le déterminer.
Mauricette juste à côté de moi me pince le bras.
— Ce n’est pas vrai, ils sont cuits comme des homards, c'est deux fous !
— Je crois qu'il n'y a pas qu'eux. Regarde tout le conseil municipal est dans le même état.
Et effectivement, tout le monde tangue et ris à gorge déployée. Quand enfin le père Noël arrive devant le maire, il le serre dans ses bras, puis se tourne vers les enfants.
— Salut, tout le monde. Je suis le père Noël et je suis là pour vous apporter des cadeaux par milliers.
Puis, il fait passer son sac par-dessus son épaule d'un geste brusque et le laisse tomber par terre dans un bruit sourd.
Il se penche en avant, ouvre le sac et l'inspecte.
— Eh, merrrde ! Je crrrois que j'a tout cassé.
Le maire se rapproche en titubant et fixe le fond du sac.
— Merrrde, tu aurais pu faire attention, ta "grosse" ne va pas être contente.
Je me penche vers Mauricette et lui murmure.
— C'est comme ça tous les ans ?
Elle se penche vers moi, elle aussi.
— Non, mais l'année dernière ils ont fait brûler le sapin en l'allumant. Il y a eu un court-circuit.
— Mince, si j'avais su, je serais venu plus tôt. C'est super intéressant en fait.
Je vois le père noël, plonger sa main dans le sac puis en sortir une poche transparente pleine de miettes de gourmandise. Il la fixe en titubant avant de la tendre à un enfant face à lui.
— Tiens petite. Du chocolat. Il est tout cassé, mais ce n’est pas grave. Tu verras, les biscuits c'est ma femme qui les a faits. Ils sont super bons, avec un verre de muscat. Tu vas adorer.
J'éclate de rire et Mauricette à côté de moi se met à ricaner.
— Pauvre gosse ! Une future traumatisée de Noël.
Mais malgré les chocolats en miettes, la petite regarde son héros, les yeux brillant de reconnaissance. Ce cirque a duré une bonne demi-heure avant que le maire ne recommence son discours chaotique.
— Je vous rrrapelle les enfants, que le pèrrre Noël sera ici tous les soirrrrs de vingt heures à vint-deux ou bien vingt trrrrois, je sais plus,pourrr les photos et vous pourrrrez lui donner la liste des cadeaux que vos parrrents vous acheterrrons. Puis, le vingt quatre il sera à l'église pour fêter sa naissance avec marie et joseph, et le curé aussi, j'allais l'oublier celui-là. Parrr contttre cette année, il n'y aurra pas l'âne, la derrrnière fois il a tout pété dans l'église, alorrrs monsieur le curé il le veut plus.
Plus la soirée avance et plus c'est le délire. Et personne ne l'arrête, tout le monde autour de moi est mort de rire.
— Bon maintenant, on va allumer le machin.
Il regarde vers le fond du marché, puis se met à brailler.
— Pierrrre, tu le branches ? On commence à se les geler ! Les petits y s'en ont marrre, ils veulent aller boire un coup.
Et là sous les acclamations, le sapin s'illumine. Des Ho admiratifs se répercutent dans la nuit froide.
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