Fyctia
Chapitre 2 bis
Ragaillardie par cette pensée et par la vision de Gahel marmonnant au loin en regardant sa pêche, je prenais plus de bougies dans le tiroir du meuble à côté de ma fenêtre. J’en rajoutais un peu partout, les allumant une à une après être sûre qu’elles ne bougeraient pas. Un frisson me parcourut en repensant à la fois où le feu avait empli le seul endroit que je connaissais. Je plaçais mon coussin fétiche devant l’ouverture du mur. De mes deux mains je plaçais ma chevelure derrière mes épaules et repris mon napperon du jour à l’effigie de Jak.
Presque au lever du jour, je déposais enfin mon ouvrage et le contemplais assez fière de moi. Jak se tenait derrière un buisson de houx et inspectait les traces d’un animal, au loin, dans une clairière, on pouvait voir un cerf aux ramures majestueuses. Il ressemblait vraiment cette fois au cervidé et non à une tâche avec des pointes en guise de cornes. Je ne pus cependant pas le contempler très longtemps, mes yeux se fermèrent sans que je m’en aperçoive. Et comme chaque jour, ce que j’avais créé n’était plus ici à mon réveil. A la place, un plateau bien garni et une lettre m’attendaient. Je me levais et même si je n’avais pas dormi dedans, prenais mon futon et l'étendais sur le bord de ma fenêtre. Je frappais de toutes mes forces dessus afin que le peu de poussière qui avait pu y résider s’envole au loin. Au soleil les paillettes qu’elles formaient faisaient briller mes yeux.
Mais aujourd’hui, le temps semblait changer rapidement. Nieba devait se préparer au combat. Cela le mettait toujours dans une humeur maussade qui se traduisait souvent par un ciel couvert et beaucoup de pluie. Je sentis l’excitation monter. La porte devrait bientôt s’ouvrir et Gahel m’emmènerait à la salle du conseil. Je sortirais un peu de ma chambre. Cela faisait si longtemps ! Cinq ou six heures ? Trop pour que je me rappelle du moment exact. Je me sentis soudainement coupable de mon enthousiasme, après tout, si un combat se préparait c’était que le Mal s’emparait des êtres vivants et les torturait. Ou bien qu’il souillait un havre de paix, quelque part dans le monde il agissait pour notre perte à tous afin de régner de nouveau sur nous.
Mais les secondes passèrent, la pluie tomba et personne ne vint me chercher. Je contemplais le futon que j’avais précipitamment enlevé de la fenêtre et mon ouvrage du jour : une poupée de laine représentant Wodi, Dieu de la terre. J’étais assise contre le mur qui était orné d’une fenêtre, de la seule fenêtre. En appuyant ma tête contre, elle bascula vers le ciel et mes cheveux glissèrent sur le chemin de ronde à l’extérieur. La pluie cogna douloureusement sur ma peau et coula aussi bien sur mes cheveux que sur mon cou et mes habits. Je restais un moment ainsi. Lorsque je décidais de me remettre à la couture, on frappa à la porte. D’un bond je me levais et ouvrit la porte coulissante.
– Kuria, vous…
Gahel s’arrêta brusquement alors que sa tête venait de se relever et que son regard croisa le mien. Il se racla la gorge.
– Kuria, vous êtes conviée à la salle du conseil. Mais… vous devriez peut-être vous changer avant… fit-il d’une voix hésitante.
Je pris soudainement conscience de mon accoutrement. Oui, j’étais déjà habillée de mes plus beaux atouts mais je venais de passer un certain temps sous la pluie et le vent qui s’était levé avait dû emmêler ma chevelure.
– Je vais demander à Héra de venir vous voir une fois de plus aujourd’hui, je viendrais vous chercher ensuite. Je vais prévenir les Divinités.
Héra était une vieille dame qui s’occupait essentiellement de mes cheveux et de mes habits. J’étais assez contente de la voir une seconde fois car j’aimais beaucoup nos conversations. Mais honnêtement, j’étais un peu honteuse d’avoir gâché son travail au point d’être obligée de recommencer à zéro.
Sachant la situation, l’adepte ne s’attarda pas et mit seulement quelques secondes pour me transformer en quelqu’un de décent. Elle ajouta une épingle de rubis, en forme de lys doubles, assortie à mon kimono dédié aux prières. Mes cheveux étaient attachés seulement en bas de la masse en une tresse très lâche afin qu’ils ne traînent pas sur le sol. Fin prête, j’attendis que Gahel ouvrit la porte. Très concentrée, je me rappelais ce que l’on m’avait appris. Les épaules légèrement en arrière, le dos bien droit, le menton à peine relevé, le regard comme si mon objectif se trouvait bien au-delà de mon champ de vision. Vongua, Dieu de l’agilité, regarderait sûrement aussi ma démarche et écouterait le son de mes pas qui se devait le plus silencieux possible. Je ne pus m’empêcher toutefois de regarder un peu à droite et à gauche curieuse de tout ce qu’il y avait autour de moi, attentive aux changements qu’il y avait eu depuis mon dernier passage. Ici, les pierres du bassin avaient discrètement verdies. Là, un fūrin, un carillon en verre, représentant les poissons rouges et blanc à proximité, avait été ajouté. Et encore là-bas, le vernis du bois avait été refait récemment. Enfin nous arrivâmes en bas des marches. Gahel ne pouvait plus m’accompagner désormais.
La salve de marches était entourée de toriis vermillons et d’arbres immenses et si denses que l’on ne pouvait rien y voir de plus. L’escalier en pierre avait été poli par les passages autrefois fréquents. Petite j’avais du mal à ne pas être essoufflée ou même à ne pas faire de pauses tant il fallait monter. Maintenant je ne faisais même plus d’efforts et le faisait aisément.
Enfin arrivée devant le temple, je me prosternais à dix-sept reprises. Une fois pour chaque Dieu en ces lieux. Puis j’ouvris la double porte si lourde. Je sentis l’air déplacer mes cheveux et un sourire se ficha sur mon visage. Chaque alcôve avait son rideau de bambou descendu. Tout le monde était là, je pouvais voir leurs ombres à travers. Je me plaçais au centre, m’agenouillais sur le coussin de soie rouge et attrapais les hayamas, flèches tueuse de démons et engeance du Mal. Tout en les gardant en mains, je me prosternais de nouveau, une vingtaine de fois. Puis, toujours silencieusement, je plaçais une flèche devant chaque emplacement des Dieux. Pareillement aux heures précédentes, il m’en resta trois que je plaçais devant moi sur un couffin aussi doux qu’un pétale de fleur. Je m'installais de nouveau sur mes genoux et posais mon front à même le sol. Je commençais à prier et sans que je ne vérifie, je sus que les Dieux étaient partis avec leurs armes. Peu de temps après, je sentis à peine la terre trembler. Le combat avait commencé. J’espérais être assez endurante cette fois-ci. Je priais donc encore plus fort.
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