Fyctia
C'est aujourd'hui ! - 2
Le souci, c’est que tout ça appartient au passé. Enfin, c’est ce que je m’étais imaginé après qu’il soit parti. 8h de route nous séparaient ! Pour moi, la Bretagne, c’était le bout du monde. Un monde vaste devenu bien petit avec Internet et les réseaux. Passé cette constatation, je reporte mon attention sur Gaëtan. Il sourit, il rit même et je suis brusquement prise d’un malaise. Est-ce qu’il peut me voir, lui aussi ? L’image de moi en pyjama Disney avec un bandeau pilou pour tenter de discipliner mes cheveux se matérialise rapidement dans mon esprit. Il y a la définition du glam et du non-glam, j’illustre la seconde option.
Paniquée, je regarde donc les options du live avant de prendre conscience que je ne suis même pas encore entrée dans la salle virtuelle. Gaëtan ou plutôt G-lœil s’esclaffe, car il évoque une anecdote. En me concentrant sur ses propos, je comprends mieux son pseudo et réalise qu’il a donné vie à son rêve : devenir photographe. Cela me rend heureuse. Il explique, avec une joie communicative, son dernier shooting. Sa voix est chaude et grave, masculine, elle me caresse, je me sens étrange. Malgré l’heure tardive, l’adrénaline coule dans mes veines, mon cœur bat fort et j’ai un peu la nausée. Une grande inspiration me permet de retrouver totalement mon calme et mes esprits. J’hésite à rejoindre la discussion. À dire vrai, j’en meurs d’envie, mais j’ai peur, aussi. Une multitude de « Et si… ? » pop dans mon esprit comme du pop-corn. Je parviens, tout de même, à rapidement chasser cette cascade de scénarios catastrophes, en rationalisant.
En effet, je peux très bien entrer dans la salle sans participer. Seul mon avatar sera visible et il ne se doutera jamais que c’est moi qui me cache derrière BBB69. Non, ce n’est pas l’acronyme de « Big Bisous Baveux » véritable sceau venant ponctuer chaque petit mot griffonné dans nos agendas, à la période du collège. Si j’ai choisi BBB c’est pour BookBelle&Bete69, car je suis une fan de cette princesse amoureuse des livres.
Enfin, pour finir de me convaincre, je me rappelle les conditions d’utilisation de ce réseau : je n’ai pas assez de followers pour que ma caméra soit activée. Ce serait donc vraiment un triste coup du hasard si elle s’enclenchait toute seule. Le hasard, je n’y crois pas, pourtant j’ai une pensée pour le fortune cookie : « c’est aujourd’hui » ! Un coup d’œil à l’heure m’indique qu’il n’est pas encore minuit. Alors que je pèse le pour et le contre, mon pouce agit seul, une nouvelle fois, un peu comme La Chose dans la série Mercredi. Devrais-je m’en inquiéter ? Plus tard, sans doute car, pour le moment, je suis concentrée sur ce que je fais.
Ça y est, je suis entrée dans le live et il est hors de question que mon doigt dérape à nouveau ! Je ne voudrais pas envoyer un émoji qui attire l’attention sur moi. Pour l’heure, je me contente de regarder tous les petits cœurs qui s’affichent et les messages amicaux. Gaëtan est vraiment apprécié, il l’a toujours été, mais là, c’est à une autre échelle. Il a su fédérer, autour de lui, une vraie communauté, ce qui m’impressionne.
Mon appartement a beau ne pas être très grand, je me sens brusquement toute petite et, dans cet espace virtuel gigantesque, pas à ma place. C’est vrai, pourquoi suis-je entrée dans cette salle ? Je ne fais plus partie de son monde, pourtant je suis bel et bien en ligne en même temps que lui et tous ces inconnus. Nous partageons, là, un moment privilégié, dans le même espace-temps, à défaut d’être dans le même espace physique.
La sensation est particulière et, petit à petit, elle se transforme en sentiment de malaise. Comment l’expliquer ? Cela est sans doute dû au fait que je sois là, sans qu’il ne le sache. C’est, un peu, comme si je l’épiais en cachette, une forme de voyeurisme facile. J’ai l’impression d’être une psychopathe, telle Joe dans You. Je réprime un frisson. Il faut que je me manifeste ou que je quitte la salle, il n’y a pas d’autre solution. Ses yeux me captivent, son aura, aussi. Au fond de moi, je sais que je vais rester, même si je ne veux pas immédiatement me l’avouer.
Après une inspiration, je me redresse et me concentre. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ? « Coucou, c’est Rebecca ! Je t’observe. » Je relis, Big Brother n’a qu’à bien se tenir ! Non, vraiment, c’est pathétique. Et si je tentais juste : « Coucou, c’est Rebecca ! » Je me mords la lèvre du bas, peu satisfaite. Si ça se trouve, il en connaît d’autres des Rebecca ou peut-être qu’il ne va pas se rappeler de moi. Ce serait la honte, s’il demandait en retour : « Qui ça ? ». Il faut que je trouve quelque chose de plus personnel, de plus familier, d’intime.
Je réfléchis un instant, avant de saisir :
Becco, c’était le surnom qu’il me donnait, LUI. Tous les autres m’appelaient Becca. Il faut dire qu’il a des origines italiennes et que nous nous sommes rencontrés, hors du lycée, lors d’une intervention pour la préservation des oiseaux de la région. Le sobriquet avait donc été vite trouvé « becco » pour « bec ». J’avais validé, trouvant cela mignon - sans doute, car je l’aimais bien – et aussi parce que je sentais qu’il le disait avec affection.
Je relis pour les fautes, même s’il y a trois mots, on n’est jamais à l’abri, avant d’appuyer sur entrée. Le message part de manière instantanée. Maintenant, encore faut-il qu’il le voie noyé dans toutes ces interactions, ce n’est pas gagné… Gaëtan incline soudainement la tête, pour prendre les prochaines questions, alors mon cœur se serre. Qu’ai-je fait ?
6 commentaires
Daï
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Il y a 3 mois
Samantha Beltrami
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Il y a 3 mois
Pjustine
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Il y a 3 mois
May Darmochod
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Il y a 3 mois
Cacaoo
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Il y a 3 mois
May Darmochod
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Il y a 3 mois