Fyctia
La forêt du Misugi-zan
Tesuo devait prévenir son père.
― Papa, papa ! Ce sont des koruri ! C'est incroyable !
― Quoi ? Tu es sûr ? (Il poursuivit sans attendre sa réponse.) Vite, descends la cage, je dois voir ça de mes yeux !
Tesuo s'exécuta. D'une main, il dénoua la corde enroulée plusieurs fois autour de la branche. D'un mètre elle passa à dix. Il laissa la cage glisser en direction du sol. Affolés, le couple de rossignols redoubla de pépiements. Tesuo fit de son mieux pour les faire descendre en douceur, sans trop d'oscillations.
Il était presque arrivé au bout de la corde lorsqu'il la sentit devenir lâche. Son père avait dû récupérer le panier. Quelques secondes plus tard, deux faibles coups tirés sur la corde lui indiquèrent qu'il pouvait la remonter. Tesuo enroula rapidement autour de sa taille la longue ligne de chanvre libérée de son fardeau.
Et maintenant ? Maintenant, il n'avait plus qu'à redescendre.
Le petit garçon déglutit. La manœuvre promettait d'être plus périlleuse que la montée.
Avec prudence et méthode, il dénoua sa corde de sécurité passée autour du tronc et la noua autour de la branche sur laquelle il était assis. Puis, il se laissa glisser lentement sur une branche en-dessous.
Sa technique était au point maintenant qu'il se souvenait du nœud spécial que son père lui avait appris. Tirez sur un bout de la corde et elle était capable de supporter votre poids. Tirez sur l'autre et elle se dénouait sans peine.
Gagnant en confiance à chaque branche descendue, Tesuo renouvela la manœuvre à quatre reprises. Chaque fois, la voix de son père lui parvenait plus nettement :
― Je n'arrive pas à y croire ! C'est fantastique ! Des koruri ! Au Misugi-zan ! Comment sont-ils arrivés ici ?
Les pieds de Tesuo touchèrent le sol au moment où son père prononçait ces mots :
― Serait-ce un présage ?
― Tu crois que c'est vraiment un présage ? s'étonna l'enfant en remettant ses sandales de paille. Bon ou mauvais ?
L'homme regarda son fils d'un air indécis.
― Je ne sais pas, mais ce n'est sûrement pas un hasard. Après tout, aujourd'hui est un jour unique et spécial.
― C'est vrai, tout le monde va faire la fête ! se réjouit le petit garçon.
― Pas seulement, tu le sais bien, sourit son père.
― Qu'est-ce que tu vas faire des koruri ? Tu penses qu'ils valent combien ?
― Là n'est pas la question, répondit le père de Tesuo d'un ton dur et les sourcils froncés.
Le garçonnet rentra la tête dans les épaules et son paternel se radoucit aussitôt.
― Je sais déjà ce que je vais en faire, gloussa-t-il, son sourire retrouvé.
Tesuo tendit le cou comme la tête d'une tortue jaillit de sa carapace quand elle sent un bout de salade.
― Quoi ? Dis-moi !
― Tu le sauras quand on sera rentrés au village, le taquina son père. On y va ?
Tesuo hocha vigoureusement la tête.
Son père attacha la cage à oiseaux à une tige de bambou qu'il posa sur ses épaules et prit la tête de la marche. Derrière lui, Tesuo observait le piège se balancer, écoutant attentivement les criaillements apeurés du couple dont le destin venait de basculer. Il se sentait triste pour eux, si loin de chez eux, mais son orgueil reprit vite le dessus. Les autres enfants allaient se bousculer pour les admirer. Ils le féliciteraient d'avoir enfin réussi à grimper aux arbres et oublieraient de se moquer de ses grandes oreilles.
Il se demanda si son père allait vendre les deux rossignols bleus, s'ils avaient beaucoup de valeur et si quelqu'un à Yamishi était assez riche pour les acheter. Il y avait bien une famille qui pourrait se le permettre, mais...
Les rêves de fortune et de gloire de Tesuo furent balayés par le spectacle qui s'offrit soudain à ses yeux. Des balises invisibles aux yeux des profanes permirent à son père et lui de retrouver le sentier secret, et bientôt tous deux débouchèrent dans une clairière qui surplombait une vallée encaissée. Tesuo avaient beau avoir admiré ce paysage toute son enfance, il ne s'en lassait pas. Comme à chaque fois, son père lui recommanda de ne jamais perdre la faculté de s'émerveiller.
La clairière surplombait une vallée aux pentes recouvertes de cèdres et de quelques autres essences. La brume la recouvrait telle une mer de nuages. Ils descendirent d'une centaine de mètres, passant sous la couche blanchâtre, et purent contempler ce qui se cachait en dessous : le village de Yamishi, un ensemble d'une trentaine d'habitations. Pas étonnant qu'il ne soit visible d'aucun point de vue. Il fallait traverser la forêt sans se perdre, connaître le sentier secret et passer sous le brouillard pour l’apercevoir.
Au fond de la dénivellation, une large rivière poissonneuse coulait en flots tranquilles. Un unique pont de bois la franchissait, seul accès au village.
Tesuo et son père s'engagèrent sur le passage. De l'autre côté, les portes grandes ouvertes de Yamishi invitaient à y pénétrer sans soucis. Nulle sentinelle en vue, pourtant Tesuo savait que l'entrée était surveillée. Les gardes demeuraient invisibles mais il les imaginait dissimulés dans l'ombre des arbres et des rochers. Il frissonnait chaque fois à l'idée qu'un shinobi surgisse dans son dos pour le découper en rondelles dans un silence total. Il savait qu'il n'avait rien à craindre, étant un habitant de Yamishi, mais il ne pouvait s'empêcher de se recroqueviller. Sentant son appréhension, son père posa la main sur son épaule, qu'il pressa avec affection, un sourire rassurant aux lèvres. Tesuo se détendit aussitôt et ils pénétrèrent dans le village.
Yamishi était peu étendu. Constitué de maisons modestes, il s'articulait tout autour d'une grande demeure. À l'origine, les fondateurs de Yamishi, le modeste clan Takebana, avait bâti la première habitation au cœur de la forêt du Misugi-zan. Ils avaient défriché de nombreux arbres, amassant suffisamment de bois pour s'ériger une vaste demeure. Constituée de plusieurs corps de bâtiments, elle comportait un bâtiment principal et des constructions secondaires telles des dôjô, ces salles dédiées à la pratique des arts martiaux, des cours pour pratiquer le tir à l'arc ou le ninjutsu, l'ensemble des techniques des shinobi, et même une écurie. Au cœur de la demeure, un jardin intérieur réservé à l'usage exclusif du clan préservait une source naturelle qui fournissait au village l'eau nécessaire aux besoins quotidiens de ses habitants.
Une fois la construction de sa demeure achevée, le clan Takebana avait rapidement attiré des familles entières, leur fournissant vivres et protection en échange de leurs talents divers. Aujourd'hui, sa population suffisante pour survivre et se protéger, Yamishi n'accueillait plus de nouveau résident. Artisan, agriculteur ou ouvrier, chacun était utile et indispensable. Ce que le clan exigeait en échange, c'était une fidélité sans faille. Impossible de déménager du village, vous deviez y demeurer à vie, et vos enfants et les enfants de vos enfants avec vous. La sentence aurait pu être insoutenable s'il ne faisait pas aussi bon vivre à Yamishi.
4 commentaires
AngieWings97
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Il y a 5 ans
Nascana
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Il y a 5 ans
Simon Saint Vao
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Il y a 5 ans
A l'Encre de mon Sang
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Il y a 5 ans