Elenya Fleur de Bambou La montagne aux beaux cèdres

La montagne aux beaux cèdres

Japon, époque Sengoku.

En cette ère de troubles sociaux, politiques et militaires constants, pour résoudre un conflit il était plus facile de tirer le sabre que de discuter. Les cadavres s'amoncelaient à mesure que les pillages et les assassinats se multipliaient.

Le morcellement du Japon avait favorisé l'apparition de nombreux clans, plongeant le pays dans une guerre continue et rendant la mort omniprésente. Des familles entières s'étaient vouées au ninjutsu, devenant des shinobi de métier. Au service du plus offrant, ces professionnels de l'espionnage, du vol et de l'assassinat aidaient les plus puissants à étendre toujours plus leur pouvoir et leur territoire.

Pourtant, un clan refusait de se vouer à un unique seigneur. Les sommes promises par les puissants n'y changeaient rien, il demeurait indépendant et incorruptible. Ce clan, le clan Takebana, était connu pour ne refuser et ne privilégier aucun contrat. Que l'on soit riche ou pauvre, peu importait le motif de la mission et la contrepartie, il l'acceptait. Et gare à ceux qui n'honoraient pas leur part du contrat... Le clan Takebana était impitoyable.

Malgré sa célébrité, le clan demeurait un mystère. Le lieu où se cachait son village y était pour beaucoup.

Sur le versant d'une montagne, à mi-chemin entre la baie d'Ise et la baie d'Ôsaka, s'étendait une épaisse forêt. Composée de cèdres, elle avait donnée son nom au Misugi-zan, "la montagne aux beaux cèdres". En toute saison, des filets de brume s'enroulaient autour des troncs séculaires. Les sentiers qui s'enfonçaient sous les frondaisons disparaissaient sans que l'on s'en rende compte, engloutis par le brouillard qui s'épaississait soudain. Les plus superstitieux racontaient qu'un esprit malin s'amusait à égarer les imprudents. Rares étaient ceux qui avaient fait demi-tour à temps.

Plus rares encore étaient ceux qui osaient s'aventurer dans cette forêt. Une atmosphère mystérieuse imprégnait le pied du mont. Le silence inhabituel et l'obscurité ambiante étaient angoissants, racontaient ceux qui avait eu la chance de ne pas s'y perdre.

Quant aux autres... Ils n'avaient jamais été retrouvés vivants. Du moins, les quelques-uns qui étaient réapparus un jour.

Au cœur de cette forêt, se dissimulait Yamishi, le village du clan Takebana. Quelques messagers courageux s'y rendaient par un sentier connu d'eux seuls, dont le clan leur avait révélé le tracé. Impitoyables et prudents, les shinobi n'admettaient pas que le secret soit éventé. Conscients des risques, aucun de ces messagers n'avait jamais trahi sa parole.

Le village demeurait invisible même depuis le sommet de la montagne, donnant naissance à des légendes que les anciens de la province se transmettaient de génération en génération.

Certains racontaient qu'un trésor était enterré sous les racines du plus vieux cèdre, que personne n'avait jamais réussi à localiser. Rien d'étonnant à ce que des imprudents se risquent dans cette forêt.

Pour garder leurs petits-enfants loin du domaine du redouté clan Takebana, d'autres les effrayaient avec des histoires de tengu et de kappa qu'ils prétendaient avoir vus converser avec les shinobi. L'histoire se terminait parfois par l'irruption inattendue du grand-père dans le dos des enfants absorbés par la fable, mimant une bête féroce se jetant sur eux avec un grand cri pour les dévorer tout cru. Heureusement, l'expérience se terminait toujours dans des éclats de rire quand l'aïeul retirait son masque de démon pour laisser voir une grimace irrésistible.

Ainsi, les plus prudents et les plus peureux se gardaient bien de pénétrer dans la forêt de cèdres tandis que les inconscients s'y égaraient et y mourraient ou disparaissaient. Seuls les messagers sélectionnés par le clan parvenaient au bout du sentier secret, où le village de Yamishi leur apparaissait enfin, comme une récompense pour avoir échappé aux bêtes légendaires qui hantaient la forêt mais que personne n'avaient jamais rencontrées.

Mais toutes ces histoires n'étaient que folklore. Il n'existait pas plus de yôkai que de kami. Même si tout le monde y croyait, personne n'en avait jamais vus.

Non, en vérité, ce qui hantait la forêt, c'était...

***

― Tête-de-linotte, tu vas y arriver ?

― Je sais que je peux.

Tesuo Konda répondit à son père sans quitter des yeux le panier suspendu à six mètres au-dessus de lui. Concentré, il ne cillait pas. Pourtant, la veine qui tressautait sur sa tempe trahissait sa nervosité.

Grimper à un arbre à mains nues n'était pas une mince affaire, surtout à huit ans. Il avait déjà essayé et chaque fois il était retombé dans les fourrés. Pourtant, il fallait qu'il y arrive. C'était un jeu d'enfant pour un membre du clan Takebana. Or, n'en faisait-il pas justement partie ?

En vérité, non. Tesuo n'était que le fils de l'oiseleur. Son père avait pourtant beau ne pas être un shinobi, il grimpait très bien aux arbres, quelle que soit leur taille. Qui avait posé tous ces pièges à oiseaux autour du village si ce n'était lui ?

Un jour, Tesuo prendrait la relève. Son père le lui répétait assez souvent pour qu'il l'entende même dans ses rêves. Tesuo, lui, voulait être un shinobi. Le jour où il avait eu le malheur d'en parler à ses amis, ils s'étaient moqué de lui, prétextant que ses grandes oreilles ne rentreraient jamais sous le panier en paille des komusô, ces moines qui dissimulaient leurs visages sous cet accessoire, le déguisement idéal des shinobi pour se déplacer librement.

Quand Tesuo avait raconté son rêve de devenir shinobi à son père, lui aussi avait ri mais de bon cœur. Le petit garçon n'oublierait jamais la fierté qui avait illuminé ses yeux en découvrant que son fils ne se fixait pas de limites, qu'il était aussi fou et libre de rêver sa vie que lui qui grimpait aux arbres et imitait les cris des oiseaux.

Mais en attendant, Tesuo Konda devrait être oiseleur.

― Allez, j'y vais !

Tesuo s'élança vers le tronc lisse. La branche la plus basse se situait à environ deux mètres au-dessus du sol. S'il prenait suffisamment d'élan, il pourrait l'atteindre sans problèmes.

Il avait presque atteint le tronc quand il interrompit brusquement sa course. Dérapant sur la mousse humide, il s'écrasa contre l'écorce avant de basculer sur son postérieur. Le derrière douloureux et les mains écorchées, il grimaça à la vue du sang qui perlait sur ses paumes.

Dans son dos, son père partit d'un grand éclat de rire.

― Qu'est-ce que je t'ai déjà dit, Tête-de-linotte ?

― Je sais, je sais.

― Tu sais mais tu as oublié ! continua de glousser son père.

Avec une moue boudeuse, Tesuo retira ses sandales de paille. Quelle idée de courir sur la mousse avec des zôri !

Plus déterminé que jamais, le petit garçon se releva d'un bond et retourna à grands pas à son point de départ. En passant à côté de son père, celui-ci lui ébouriffa les cheveux et lui adressa un sourire encourageant. Rasséréné, Tesuo se remit en position avant de s'élancer une nouvelle fois.

Allait-il réussir à grimper aux arbres pour la première fois de sa vie ?

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15 commentaires

Nascana

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Il y a 5 ans

Le début est intéressant. Nous sommes visiblement dans une ère assez trouble. Je me demande quel sera l'avenir du héros.

Serenissime

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Il y a 5 ans

Je ne connais rien au japon médiéval et je voulais justement lire un peu plus dessus, je passerais voir la suite ; )

Elenya

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Il y a 5 ans

Merci :)

Rotena

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Il y a 5 ans

Ce premier chapitre est très intrigant. Hâte d'avoir la suite !

Elenya

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Il y a 5 ans

Merci :)

A l'Encre de mon Sang

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Il y a 5 ans

Il est évident que j'adhère à ce premier chapitre. Je n'ai eu aucun soucis avec les Termes et les images mentales me sont venues naturellement. Au niveau du style, il pourrait sembler lourd avec toutes ces info, mais perso, jai adoré. Bien sûr, tu traites d'un sujet qui me passionne, donc tu peux me compter parmi tes lectrices. (Petit faible pour Rurouni Kenshin) A très vite pour la suite.

Elenya

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Il y a 5 ans

Merci beaucoup, je vais faire de mon mieux :)

Marie Smt

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Il y a 5 ans

Ce premier chapitre est bien écrit et intriguant, ça donne envie ! En revanche, j'avoue que j'ai parfois été perdue par les termes japonais ^^'.

Elenya

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Il y a 5 ans

Merci :) Je n’ai pas expliqué les termes anecdotiques mais je reviendrai dessus plus tard si je les réutilise, merci pour ta remarque ^^

Ketsia

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Il y a 5 ans

J'aime beaucoup le thème, c'est originale, ça change! J'ai hâte d'en découvrir d'avantage ! :)
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