Fyctia
Mépris
Samedi 22 Novembre 2014.
Ma mère m’agace. Je compose son numéro de téléphone en regardant Magali et Savage.
Elles ne peuvent pas être plus différentes l’une de l’autre.
Magali est toujours habillée comme pour un conseil d’administration quoi qu’il arrive. Toujours en tailleur, ses cheveux blonds, soit lâchés et lissés, soit attachés en chignon banane, elle est désespérément prévisible. Certes, elle a de la classe, de la répartie et sait parfois se lâcher, mais il n’en reste pas moins que je sais toujours à quoi m’attendre avec elle. Bon, d’accord, c’est peut-être aussi dû au fait que je la connaisse depuis notre plus tendre enfance. Mais quand même, je vous jure qu’en vingt ans, son caractère n’a pas tant changé que ça. C’est, et ce sera toujours, une control freak. Chaque chose, chez elle, possède une case de rangement ; et chaque case de rangement une chose. Magali a beaucoup de qualités : elle est bosseuse, elle sait écouter (ce qui lui donne un avantage certain pour dénicher des scoops), et elle est loyale à sa famille autant qu’à la mienne qu’elle considère comme faisant partie intégrante de la sienne. Mais malheureusement, elle a aussi un comportement que je trouve de plus en plus déplaisant et désagréable. Magali ne s’ouvre pas à ceux qui ne sont pas de son milieu. Non pas qu’elle ne veuille pas, plutôt qu’elle ne sait pas et qu’elle n’a pas envie de savoir. La différence lui fait peur. Son statut et sa réussite lui suffise. Sa richesse aussi. Si jusque-là j’étais passé outre, j’avoue que de plus en plus cela me pèse. Pour elle, seuls la notoriété et l’argent comptent ; et aussi le fait de rester dans les petits papiers de ma mère, qui, elle, abuse largement de ça.
Savage en face d’elle est d’un naturel toujours déconcertant. Elle a toujours su me surprendre, soit par ses traits d’esprit, soit par ses looks toujours différents, soit encore par les différents aspects de sa personnalité. Savage fait partie de ces personnes qui savent oser. Et ce n’est pas donné à tout le monde. Elle n’a pas peur d’essayer. Elle n’a pas peur de tenter de comprendre les choses ou les gens. Elle n’a pas peur, ni de travailler, ni de donner de son temps. Elle n’a pas peur de se mettre à nu, comme elle sait parfois se montrer parfaitement mystérieuse. Elle peut incarner autant la joie de vivre que la nostalgie, la gentillesse que la froideur. Savage brûle d’un feu tantôt ardent, tantôt doux et chaleureux… Qui s’approche d’elle se brûle et aime généralement si brûler…
Entre elles, l’antagonisme a été immédiat. Et ce n’est pas prêt de changer. La tension que j’observe est à son comble. La sonnerie dans mon téléphone continue de retentir inlassablement. Je sais que ma mère me fait payer le fait de ne pas avoir rappelé quand elle me l’a ordonné. Je change donc de tactique. J’appelle son assistante.
Une sonnerie. Ça décroche.
- Bureau de France Versini, bonjour. Que puis-je pour vous ? me demande la douce voix d’Amélie.
- Amélie, bonjour. C’est Richard.
- Monsieur Erria, votre mère est en réunion. Puis-je lui laisser un message de votre part ?
Je me crispe un peu plus. Ma mère me prend vraiment pour un idiot.
- Dîtes-lui que c’est terminé. Je l’avais prévenue. Elle comprendra.
Je m’apprête à raccrocher, lorsque j’entends la voix de ma mère affolée.
- Mon chéri, attends ! Ne raccroche pas !
Je soupire.
- Tu n’étais pas en réunion ? je lui demande avec toute la froideur dont je suis capable. J’aurais compris tu sais…Avec une O.P.A en cours, on peut être occupé…
Ma mère ne me répond pas immédiatement à mon cynisme. Je sens qu’elle cherche à se recentrer pour mieux contre attaquer.
- J’en reviens.
- Comme de par hasard.
- Ne commence pas Richard !
Son ton monte.
- Ça tombe mal Maman, parce que je ne suis pas prêt de m’arrêter. Pourquoi as-tu envoyé Magali ici ?
- Pour voir si tout allait bien.
- Suis-je bête, c’est vrai qu’Adrien et moi, nous ne sommes pas assez grands pour nous débrouiller tout seul…
- J’ai mes raisons, Richard ! Et la meilleure de toute est que je protège mes fils.
- De quoi ? Hein ?
Ma voix est de plus en plus basse. Je reprends :
- Où devrais-je dire de qui plutôt ?
- Savage Demercey n’est pas faite pour toi. Et Leila Michel encore moins pour ton frère.
Je rêve. Elle a enquêté sur Lei maintenant ! J’aurais tout vu !
- Qu’est-ce qui te permet de croire que ton avis compte pour nous de toute façon ?
- Je n’ai jamais compris ce que tu lui trouvais, continue-t-elle. J’ai passé sur votre histoire pendant tes études, mais je ne permettrais pas qu’elle vienne mettre en péril tout ce que j’ai fait pour que tu en arrives là !
Cette fois, je me mets vraiment en colère.
- Tout ce que tu as fait ? Tout ce que tu as fait ? Explique donc moi un peu mieux ça, Maman. Je serai vraiment ravi de savoir ce que je te dois encore…
Silence. Je peux presque voir ma mère se mordre les lèvres de l’autre côté du téléphone. Adrien revient à ce moment-là et m’observe le visage totalement fermé.
- Tu n’as pas le droit de jeter aux orties, notre réputation et notre nom pour une fille qui sort dont ne sait où, et qui n’a aucun amour propre, lâche-t-elle d’une traite. Seigneur ! Elle écrit même sous un pseudo tellement elle ne s’assume pas ! S’il te plaît Richard ouvre les yeux ! Elle en veut à ton argent, c’est tout ! Pourquoi tu ne le vois pas bon sang ! Quant à son amie, c’est une nymphomane qui part toujours à l’aventure dans des pays tous plus dangereux les uns que les autres… Je me suis renseignée tu sais. Leila Michel est une orpheline qui n’a jamais su, ni reconnaître la chance qu’elle avait, ni respecter sa famille et son héritage. Mon Dieu, elle a vécu dans la rue, tu sais ? Son grand-père, Dieu est son âme, doit se retourner dans sa tombe de voir sa petite-fille se comporter comme une fille de joie de basse extraction !
Je n’en reviens pas. Je suis scié. Adrien devient rouge en face de moi. Il a tout entendu. Notre mère suinte le mépris et le dédain. C’est une autre France Versini.
Quand est-ce qu’elle est devenue comme ça ? J’avoue que là ça me dépasse.
- Dis-moi que tu ne penses pas ce que tu viens de me dire Maman…
- J’en pense chaque mot et bien plus encore. J’ai toujours été fière de vous mes fils, mais vous êtes juste désespérant en ce qui concerne les femmes. Entre Savage et Johanna, j’ai eu ma dose. Alors maintenant vous allez faire ce que l’on vous demande et rentrer vous occuper, toi de ton 20H et Adrien de l’entreprise !
Mon frère me prend le téléphone des mains. En évoquant Johanna, le seul et unique amour d’Adrien, je sais qu’elle a été trop loin. Surtout après ce qui s’est passé le jour de leur mariage….
- Je t’interdis de prononcer le nom de Johanna maman.
3 commentaires
Bri06480
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Il y a 9 ans
grigoude
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Il y a 9 ans
Scau67
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Il y a 9 ans