Cécile Bergerac Ferme les yeux et fais un voeu L'écorchée

L'écorchée

La fantaisie, l'utopie, l'optimisme, Sarah laisse ça à Peter Pan, et aux illuminés. Il y a bien longtemps que la lumière a perdu de son étincelle, et loin de la foi en l'Homme, c'est la fatalité qui l'anime. Les choses sont ce qu'elles doivent être, et chacun doit faire avec, comme il doit faire sans. Il faut dire qu'elle n'a pas eu la chance de connaître les cookies bien chauds d'une Maman british, et elle a été projetée hors du nid trop tôt, trop vite.


La mère de Sarah était une très belle femme à la chevelure flamboyante. C'était aussi une avocate renommée, qui avait fait du droit pénal son domaine de prédilection. A l'époque où elle a commencé à plaider, Badinter n'avait pas encore fait œuvre devant l'Assemblée Nationale. La peine de mort, bien que réduite à néant, n'en était pas moins figée dans la loi. Les Droits de l'Homme, la présomption d'innocence, le droit à un procès équitable, voilà ce qui l'a animée pendant toutes ces années. Sarah a grandi aux côtés de cette mère-modèle, héroïne de son enfance, et faisant largement de l'ombre aux Cendrillon et Blanche-Neige devenues bien fades. Le merveilleux, les fées et les princesses, elle a toujours laissé ça aux petites-filles bien sages aux tresses longues, et à la jupe écossaise. Pour elle, se battre n'a toujours eu de sens que dans la perspective de la victoire.

Lorsqu'elle a découvert trop de cheveux sur la brosse de sa mère, elle a tout de suite compris. Elle avait onze ans, mais l'issue lui apparaissait déjà de manière irréfragable. Elle a toujours respecté le choix de ne rien dire, même à son père. Ce n'est que tardivement qu'il a découvert que la tumeur emportait sa femme. Seulement, vivre sans son pilier n'a jamais été une option envisageable. Cet homme aimant, qui n'avait d'yeux que pour celle qu'il admirait, et qui lui avait donné les plus beaux enfants du Monde, n'a pas trouvé la force de continuer sans elle. Le deuil a eu raison de sa lumière, l'alcool a fait le reste. Peut-être a-t-il perdu tout discernement, peut-être a-t-il prémédité son geste, toujours est-il qu'un matin, Sarah l'a trouvé dans son lit.


Pierre et elle ont alors passé leur adolescence chez les grands-parents. Sarah a pris le rôle de mère, de père, et en a oublié de se laisser le temps de grandir. Pierre a perdu sa place. Il s'est même perdu tout court. Dans l'alcool, dans les filles faciles, dans les comportements à risque, comme disent les psy. Mais Sarah a toujours été là. Du test de dépistage post soirée dépravée au nettoyage de son appartement laissé à l'abandon, elle a veillé, a consolé, a pansé. Sans se plaindre, sans baisser les bras, et sans discontinuer, car tel est son rôle. Sarah ne veut pas être à la hauteur, elle se doit de l'être, et l'est donc.


De ces plaies à vif, ils gardent une force inégalable et un amour fou l'un pour l'autre. Si Sarah s'est réjouie de l'arrivée de Julie dans la vie de son frère, elle s'avoue parfois ne pas toujours la trouver à la hauteur de celui qu'elle considère comme un Dieu. Elle est consciente que Julie apporte cet éclat de vie qui manque cruellement dans le quotidien de Pierre. Elle consent même à dire qu'elle lui donne cette insouciance qui lui faisait défaut jusque là. Il faut dire que Julie est une femme fraîche et spontanée qui a su apporter de la légèreté dans cette histoire trop chargée. Il découvre de petits bonheurs simples, des ballades dans le Jardin des Plantes, ou en bord de Loire, un festival de musique et une course en couleurs. Mais pour Sarah, il lui manque cette combativité qui lui aurait permis aujourd'hui d'être debout, pour lui.


Pour autant, l'heure n'est pas au jugement de l'être idéal ou à la recherche de la dulcinée. Même si elle redoute les frasques hystériques qui ne tarderont pas, au fond d'elle, elle sait déjà qu'elle accompagnera son frère seule. Alors, pour le moment, elle attend que vienne le médecin, et serre contre elle cette femme qui partage sa peine. Elle pense aux combats qu'ils ont menés ensemble, au chemin parcouru depuis toutes ces années, et renonce définitivement à la perspective de l'échec.

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12 commentaires

Révolution

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Il y a 6 ans

Toujours aussi captivant, je ne pense pas que son frère décède car il y a la rencontre avec l'infirmier doit faire le lien entre tous ces personnages.

Ignir

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Il y a 6 ans

Pauvre Sarah

Niclo

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Il y a 6 ans

Pauvre Sarah ! (rectifié)

Niclo

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Il y a 6 ans

Très belle écriture, on a hâte de lire la suite, au ré Sarah

Cécile Bergerac

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Il y a 6 ans

Un clin d’oeil ...

Nicolas Bonin

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Il y a 6 ans

Ton histoire est très fouillée. J'adore la référence à Badinter.

Caroline Cléré

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Il y a 6 ans

La suite avec impatience.

Mic Sellam

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Il y a 6 ans

Ça y est, j’ai tout remis dans le bon ordre (dans ma tête) Bisous ma championne

C-Anne

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Il y a 6 ans

J’adore !!!!!!

Vd3745

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Il y a 6 ans

La suite, la suite!!!!(
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