maohjade Fehéries : La fille de l’eau 2.2| Almeradiel

2.2| Almeradiel

Seule face à cette route boueuse, j’ai le choix entre me rendre au point de rendez-vous en ville à pied ou en volant. Et le choix n'est pas difficile. Dès que je peux voler, je le fais, c'est une chose qui m'a été autorisée rarement. Je n'avais que très peu le droit d'aller au village, à part pour faire le marché une fois par semaine.

Cela me manquait, et cela me manque toujours. Je redoute mon manque d’expérience en vol comparées aux autres qui seront là-bas. J’ai peur d’être encore jugée comme différente.

Je secoue la tête pour chasser cette pensée.

Je ne vais certainement pas m’apitoyer sur mon sort, pas maintenant. J’attends ce jour depuis trop longtemps, depuis une nuit d’été, où un marchand nous a raconté d’où il venait. Cette école à l’édifice incomparable et aux lumières semblables à une nuit d’étoiles.

Mon cœur s’est rempli pour la première fois, se gonflant d’un objectif qui ressemblait à un souffle d’espoir.

Le rendez-vous de départ pour Almeradiel est sur la place principale, il parait que c'est un bus qui nous emmène, un vrai bus ! Je n'en ai jamais vu et j'appréhende beaucoup cet étrange habitacle.

Je saute vers le ciel, et suis rapidement en train de traverser les nuages. L'air frais embrase ma peau et mes ailes se déploient contre le vent. J'ouvre mes bras et écarte les doigts pour profiter de cette sensation jusqu'au bout, je me sens libre, rien n'est plus paisible que quand je vole, c'est ma raison d'être.

Je visualise rapidement le village sous moi et commence ma descente dans une ruelle éloignée, mes atterrissages ne sont pas encore maîtrisés comme j'aimerais, mais j'aurais l'occasion de m'entraîner à l'institut.

Après tout, c'est le but : apprendre à voler, à maîtriser mes pouvoirs et à me battre contre les créatures qui nous encerclent. Le voile qui nous sépare des humains est plus au Sud, de ce que je sais, Almeradiel se trouve au milieu de notre monde, entre les quatre royaumes. Un scellé ancien promet la protection de notre école, aucune attaque des autres royaumes ne peut être effectuée, et jusque-là aucun problème n'a été détecté.

Je prends de plus en plus de vitesse en approchant de la rue à pavé et essaie de déployer mes ailes pour freiner mon naufrage, tout se passe très vite, je protège ma chute avec mes mains tendues devant moi, car je sais que la chute va faire mal, mais j'arrive à me rattraper au dernier moment et m'arrête à quelques centimètres du sol. Quand j'ouvre les yeux, je peux déceler chaque défaut du sol, chaque saleté dans chaque rainure. Je tombe enfin à terre sans aucune maîtrise et me retrouve face contre la pierre.


J'ai évité le pire !


Je me relève en époussetant mon pantalon et ma chemise tout en remettant ma tresse en arrière.

Mon genou a ripé sur l'asphalte et mon pantalon est légèrement troué, on peut apercevoir une égratignure dans laquelle du sang est mêlé aux petits cailloux noirs des pavés.

Je n'ai pas le temps de m'en préoccuper, je me dépêche de ramasser mon sac et commence à courir vers la place où j'aperçois cet énorme engin. Un bus. Je vais monter dans un bus. Je n’en reviens toujours pas.

Un homme se tient droit comme un piquet à l'entrée de celui-ci, vêtu d'un uniforme noir. Il ne me regarde pas et sort un calepin de sa poche.

— Nom ? Date de naissance ? Don ?

— Bonjour à vous aussi.

Ses yeux se lèvent d'étonnement vers moi, il me détaille de haut en bas de manière déplacée sans aucune vergogne, puis remet le nez sur son carnet.

— Bon très bien ! continuai-je en roulant des yeux, Feychel, janvier 2003, l'eau.

Ses yeux s'arrondissent et il daigne enfin me regarder.

— L'eau ?

Puis, il tourne la tête vers le chauffeur.

— On a une eau !

— Quel est le mal ?

— C'est juste rare, les éléments du feu adorent les éléments d'eau.

— Pourquoi ?

C'est vrai que j'étais la seule avec ce don à l'orphelinat. Il s’est manifesté si tard qu'on n'a pas eu le temps de le recenser officiellement, mais je n'ai jamais entendu ça. Peut-être parce que tous les éléments du feu étaient adoptés dès le début de leur recensement, donc je n'ai jamais eu l'occasion de discuter avec eux.


— Ils peuvent éteindre les éléments de la nature en un claquement de doigts, par contre l'eau... c'est plus coriace, même si le feu est toujours supérieur.

— Vous en discutez comme si nous n'avions aucune chance.

— Ça dépend qui tu as en face de toi ma jolie, mais oui sans aucun doute, tu n'as aucune chance, et nous non plus, encore moins une femme.

— Une femme ?

Je suis trop excitée à l'idée d'avoir ma première discussion avec des inconnus pour sembler outrée. Même si ces propos ouvertement machistes me prouvent que les rumeurs sur la société sont toutes vraies, j’ai peur que si je commence à dire quelque chose, il m'abandonne sur le bas-côté. Je penche la tête en l’observant. Ouais. Il me laissera probablement sur le bas-côté.

— Vous êtes de quel élément ?

Ses pupilles deviennent d'un vert lumineux, et je sais qu'il dépend de la nature.

Je passe devant l'homme et monte les quelques marches,

— Faites pas attention à lui, il est ... difficile, m'interpelle le chauffeur quand j'arrive à sa hauteur.

— C'est une manière de dire de votre ami que c'est un goujat ?

Il pouffe de rire et je prends le temps de le détailler.

Ses cheveux sont rasés courts, bruns, ses yeux, eux, sont d'un bleu translucide. Ses doigts gantés encerclent le volant du bus et il m'adresse un sourire. Étant donné que c'est l'un des premiers hommes que je vois avec un physique avantageux, je pense qu'on peut le qualifier de beau. Oui, il est très charmant.

Je me sens soudainement gênée et lui adresse un simple signe de tête en avançant dans les rangées du bus. Je me concentre sur la découverte de l'intérieur, il n'y a que deux autres personnes qui ne font pas attention à moi. Je pars m'installer sur un fauteuil du milieu, près de la fenêtre. Tout en regardant la place à travers la vitre, je peux apercevoir la boulangerie dans laquelle j'allais quémander du pain jadis. Le puits où j'allais chercher de l'eau avec un sceau bien trop lourd pour moi, et même la petite place sous la guirlande de muguet. J'ai pu assister à mon premier bal l'année dernière à cet endroit.

Je suis contrainte de quitter mes pensées quand le bus est secoué et fait un bruit étrange avant d'avancer tout en bougeant à cause de la route peu lisse. Je mets quelques minutes à me faire à la sensation et me retourne pour voir le village disparaître, remplacé par des arbres pendant au moins une heure. Le bus ralentit enfin, et quand je pense que nous sommes arrivés, je me rends compte qu'on est dans un autre village semblable au mien. Des maisons en pierres et des toits en paillasses, ainsi qu'une place de marché à pavés. L'homme qui m'a accueilli se lève du siège à l'avant et descend.

— Nom ? Date de naissance ? Don ?

Je l'entends dire alors que trois personnes montent dans le bus.

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