Fyctia

Pris de court par les événements venant de se dérouler sous ses yeux, le centaure met fin au cours et renvoie tous les élèves à l’exception de Sacha, Maeva et Zanael, toutes trois paralysées au côté du griffon décédé. Nerveux, les compagnons de la bête piétinent sur place, émettant de petits cris stridents marquant leur indignation face au sort de leur semblable.

Profondément affectée par cette mort dont elle se sent responsable, Maeva observe le cadavre d’un regard vide, une larme traçant son chemin sur sa joue. Près d’elle, Sacha observe la scène avec un visage figé dans l’incompréhension, très similaire à celui de Zanael qui couvre son nez de sa main pour masquer l’odeur de décomposition. Aucune ne trouve la force de parler malgré la multitude de questions qui surgissent dans leurs esprits hantés par cette vision d’horreur.

Au bout d’un moment, le professeur revient après avoir retourné les griffons dans leur enclos, les éloignant de leur camarade défunt. Sans surprise, il retrouve les trois jeunes femmes exactement au même endroit, dans une atmosphère excessivement tendue. Voulant briser le silence qui s’est installé depuis le retour soudain de Maeva, il s’avance et prend la parole.

— Je réalise que je ne me suis pas présenté. Mon nom est Ganuyr. Avant d’être professeur dans cette académie, j’ai été général dans les armées du royaume pendant près d’un siècle. Je n’ai pourtant jamais vu une scène de ce genre. Je sais que cela ne sera pas facile à revivre, mais pourrais-tu me donner les détails sur ce qui s'est passé ? demande-t-il à l’attention de son élève.

Comme si la voix grave de l’enseignant venait de la tirer d’un cauchemar, Maeva revient à la réalité. Le visage consterné et le cœur serré, elle prend une grande inspiration avant de se lancer.

— Le griffon est monté à haute altitude et a été rejoint par quatre de ses semblables. Nous avons survolé le domaine de l’académie pendant un moment, moi à l’avant de la formation. À un moment, je me suis retrouvée derrière, les autres griffons faisant barrière devant moi. Je peinais à respirer et le ciel est devenu totalement noir. Un griffon est tombé devant mes yeux, ses ailes brisées comme un simple fétu de paille. À ce moment, les plumes de ma monture se détachaient de son corps entre mes doigts et je pouvais déjà sentir l’odeur de sa chair en décomposition. Paniquée, je me suis téléportée ici grâce à ce bracelet que m’a remis ma mère.

Ayant caché volontairement tous les éléments reliés à son pendentif, Maeva est consciente que son histoire ne tient pas debout. Le visage sévère du centaure lui confirme ses craintes.

— Pourtant, tu ne sembles aucunement affectée par cet étrange phénomène qui a tué cinq valeureux griffons. Je sais qu'il y a certaines choses que tu ne me dis pas. As-tu au moins noté une présence ?

— À cette altitude, il n’y avait que le vide tout autour. Si quelqu’un se trouvait au sol, je ne l’ai pas remarqué. Pour ce qui est de ma condition, je ne saurais expliquer ce qui m’a permis de survivre, désolée.

Toujours penchée au-dessus du cadavre, Zanael choisit ce moment pour se relever, la peur déformant ses traits habituellement si fins et délicats. Prenant les devants, celle-ci interrompt la conversation.

— Moi j’ai déjà vu ce genre de phénomène lorsque j’étais encore parmi les miens. Lorsque nos anciens puisent l’énergie vitale d’un corps, cela en accélère la décomposition. Toutefois, tu le saurais si tu avais croisé l'un des miens à une telle altitude.

Faisant le lien avec ses lectures, Maeva réalise que la métamorphe parle des dragons, l’élite de leur peuple. Bien qu’improbable, la présence d’une telle bête permettrait d’expliquer pas mal de choses.

— Est-ce que certains possèdent la capacité de se rendre invisible et de créer l’obscurité ? demande l’apprentie, inquiète.

— Avec certains artefacts magiques, tout est possible je suppose, répond Zanael. Je ne vois toutefois pas pourquoi un ancien voudrait de ton essence vitale alors qu’il y a une multitude d’elfes ici, chacun possédant une énergie infiniment supérieure à la tienne.

Parcourant mentalement tous ses souvenirs de lectures, Maeva affiche un regard vide pendant un bon moment, contribuant à l’inconfort de ce moment particulièrement difficile. Un mouvement vient toutefois la tirer de ses pensées.

— Le griffon, il bouge ! hurle-t-elle à plein poumons. Je crois qu’il s’agit en fait de nécromancie ! ajoute-t-elle à bout de souffle.

Devant le quatuor, la bête décédée se relève lentement, sa chair décomposée se détachant de ses os en plusieurs endroits. Dans ses orbites, deux billes rouges incandescentes ont remplacé ses yeux. Menaçante, la créature se dresse, son bec dangereusement près des trois jeunes femmes.

Avant que le moindre cri ne s’échappe de leurs gorges nouées par la frayeur, un éclair métallique file droit sur le monstre, sa pointe effilée le transperçant de part en part jusqu’à ce que deux tiges à sa base viennent s’appuyer contre ses flancs.

Déployant toute sa force sur sa lance, Ganuyr repousse vaillamment son adversaire loin des étudiantes, grognant sous l’effort. Insensible à la douleur et animé par une force obscure, la bête parvient toutefois à se tordre et brise la hampe de l'arme l’ayant traversée et s’apprête à charger lorsqu’une forme blanche s’abat sur elle. En quelques secondes, la nuque et les flancs de la créature subissent bon nombre de puissants coups de griffes de la tigresse, jusqu’à ce qu’un violent coup de bec y mettent fin sous le regard horrifié de Maeva.

— Zanael ! hurle-t-elle, voyant son amie bondir hors de portée, une vilaine blessure écarlate marquant son pelage blanc.

Son cri d’indignation attirant l’attention du monstre, Maeva se retrouve entièrement exposée. Près d’elle, Sacha est déjà concentrée sur un sort, une sphère tourbillonnante prenant naissance dans ses mains. Profitant de la situation, son amie pose une main sur son épaule, voulant projeter en elle toute l’énergie de son désespoir. À sa grande surprise, plutôt que de croître, la boule incandescente perd de son intensité jusqu’à disparaître sous le regard ahuri de celle l’ayant invoquée.

— Maeva, qu’est-ce que tu fais !? s’exclame Sacha, paniquée.

Confuse, la coupable ne trouve aucune réponse à lui donner et leur adversaire profite de leur stupeur pour s’élancer vers elles, ses intentions assassines mises en toute évidence. Blessée, la tigresse tente de se relever pour se porter à leur défense, mais retombe sur ses flancs dans un feulement déchirant. Sans arme, Ganuyr assiste impuissant à la scène, son visage déformé par l’horreur qui se déroule devant lui.

Se sachant condamnée, Maeva tente l’impossible pour donner ne serait-ce qu’une seconde supplémentaire à Sacha pour s’enfuir. D’un geste désespéré, elle la tire vers l’arrière et se dresse, seule, devant la bête déchaînée.

Sur sa poitrine, son pendentif devient brûlant au point de la faire grimacer de douleur.

Maeva se sent alors glisser vers l'inconscience.