Fyctia

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— Tout cela est très noble de ta part, répond Zanael, mais moi j’ai besoin de vivre chaque journée à fond. Je me fie à mon instinct et à mes dons innés, pas aux mots et aux idées.

— Le monde a tout autant besoin de gens comme toi que de gens comme moi, rajoute Maeva. Nos différences ne nous rendent pas incompatibles. Au contraire, nous devons les comprendre pour ensuite nous compléter. Je suis même prête à étudier la magie propre à ton peuple afin de t’aider. Quelque chose me dit que c’est pour cette raison que j’ai croisé ton chemin aujourd’hui.

— Jamais je n’aurais pensé dire une telle chose, mais si tu m’aides, alors je veux bien essayer. Je suis prête à annoncer à Lana que j’accepte de suivre les cours dans la mesure où tu es avec moi.

— Excellent ! Pointe-moi quelques ouvrages et nous commencerons dès demain. Je doute réussir à dormir cette nuit avec tout ce que j’ai vécu aujourd’hui, donc aussi bien mettre à profit toutes ces connaissances qui ne demandent qu’à être assimilées !

Telles deux amies de longue date, les deux jeunes femmes parcourent les rayons afin d’en extraire plusieurs lourds volumes qu’elles empilent sur une grande table au fond de la salle. Ravie d’avoir appris la langue elfique avec Rhina, Maeva a tôt fait de plonger dans ses lectures, au plus grand malheur de Zaneal qui l’observe avec ennui.

— Pourquoi n’emportes-tu pas quelques ouvrages dans ta chambre ? demande la métamorphe en étouffant un bâillement peu gracieux.

— Je doute que cela plaise à Lana. Laisse-moi ici, je saurai retrouver mon chemin lorsque la fatigue aura raison de moi.

— Il est hors de question que je te laisse seule dans ce labyrinthe de couloirs !

— Et si je te dis que je peux me téléporter près de ma chambre, ça te rassure ?

— Lana a clairement dit que vous ne pouviez pas.

— C’est différent pour moi. Ma mère m’a remis ce bracelet avant mon départ.

— Et tu sais l’utiliser ?

« Bon point. » pense Maeva.

N’ayant jamais utilisé un tel objet auparavant, elle sent la nervosité monter en elle. Ne voulant surtout pas se trouver privée de tous les précieux livres posés sous son regard, elle décide de tenter un essai. Concentrée sur le bijou, elle ferme les yeux et laisse la magie agir, espérant ne pas regretter son audace.

Voyant son amie disparaître sans aucun avertissement, Zanael reste bouche-bée. Immédiatement, elle sent la panique grandir dans sa poitrine, mais le sentiment est bref puisque Maeva réapparait l’instant suivant, une galette à la main.

— Oui, je sais l’utiliser ! s’exclame joyeusement l’apprentie avant de mordre dans la pâtisserie sucrée. Ne t’inquiète pas pour moi.

— N’oublie pas de rejoindre ta chambre avant le matin. Lana va me trucider si elle apprend que je t’ai perdue quelque part dans son académie ! Il y a un miroir dans ta chambre qui te fournira tous les détails pour ta première journée.

— Bien noté. Tu me retrouveras à ma chambre ?

— Sans faute !

Sur cette promesse de retrouvailles, la métamorphe affiche un grand sourire et sort de la bibliothèque, laissant Maeva seules avec ses vieux amis les livres. Pour la première fois depuis longtemps, elle se sent merveilleusement bien, oubliant même la silhouette encapuchonnée pour un moment. Au fil de ses lectures, elle accumule les découvertes sur les métamorphes et sur leur vision pour le moins particulière de la magie. Elle apprend entres autres que ce peuple puise l’essence vitale de leurs adversaires. Qu’ils concentrent cette énergie dans des cristaux intégrés à leur corps. Qu’à leur mort, ils laissent ce que les elfes appellent des pierres d’âme. Que ces objets contiennent une puissance inégalée permettant de créer des armes terribles. Les récits parlent aussi des parallèles entre leur facultés innées et la nécromancie, cette forme de magie obscure jouant avec la vie elle-même. Sans surprise, plusieurs métamorphes dans l’histoire se sont semble-t-il laissés envoûter par l’idée d’atteindre un pouvoir absolu, n’hésitant pas à décimer des peuples entiers pour y parvenir. Pour les métamorphes, l’honneur d’une lignée se mesure au nombre d’adversaires vaincus, qu’ils soient de leur propre peuple ou d’un autre. Une famille pacifiste se retrouve ainsi déshonorée et devient vulnérable aux attaques de leurs semblables.

Horrifiée par les mots qui défilent sous ses yeux de plus en plus fatigués, Maeva comprend mieux la réaction des élèves lorsqu’ils croisent Zanael. Plusieurs douloureuses questions se présentent bientôt dans son esprit.

Combien de personnes a-t-elle dû tuer pour ne pas se montrer vulnérable ?

Zanael court-elle un risque si une lignée puissante de son peuple la retrace ?

Ce village attaqué par les elfes était-il un groupe d’exclus lâchement exécutés ?

Zanael porte-t-elle en elle un désir, même inconscient, de vengeance ?

Inquiète pour son amie, elle peine à poursuivre ses lectures, surtout qu’elle n’y découvre aucune réponse à lui fournir pour maîtriser ses facultés. Refusant d’abandonner, elle retourne de nombreuses fois dans les étagères à la recherche de nouvelles pistes, mais revient bredouille.

Les heures passent et la lune bleue a depuis longtemps passé son apogée dans le ciel, sa lumière peinant à présent à pénétrer l’épais vitrail de la bibliothèque. Déçue et fatiguée, Maeva décide soudainement de changer de registre de recherches et plonge dans la lecture du premier livre remis par Zanael avant son départ.

L’encyclopédie elfique de l’Ether.

Intriguée par ce titre, l’apprentie ouvre le volume et parcourt rapidement les premières pages pour en découvrir le contenu. Dès les premières secondes, un phénomène étrange se produit : les caractères se déplacent sous ses yeux. Mettant cela sur le compte de la fatigue, elle cligne plusieurs fois des paupières et se frotte le visage vigoureusement. Énervée, elle va même jusqu’à s’administrer une légère gifle sur la joue histoire de se replacer les idées.

Aucun effet, les mots poursuivent leur danse étourdissante. Dans son estomac, la galette se joint au bal et menace de faire une finale peu ragoûtante, obligeant l’érudite à rabattre la couverture sur le tourbillon de symboles.

« Tout ce que je veux, c’est en apprendre plus sur les phœnix ! » s’exclame mentalement la jeune femme.

Sous sa main encore posée sur cette promesse brisée de connaissances, une douce chaleur se fait sentir. Surprise, elle ouvre à nouveau l’imposant volume. Sur la première page, une image magnifique représentant un glorieux oiseau de feu s’anime sous son regard ahuri. Fébrile, elle tourne rapidement les pages et s’arrête pour lire un passage au hasard. Elle y apprend que cet animal légendaire est en fait un être essentiellement composé d’Ether et qu’il a la capacité de se regénérer à volonté. Du moins à une exception près : son esprit doit demeurer libre de retourner dans sa dimension, un lieu réservé aux entités immatérielles et inaccessible aux êtres de chair.

Rassurée par cette information, Maeva sent un phénoménal regain d’énergie.