Fyctia
2. L'éclosion 1/2
Main dans la main, nous attendons notre tour. Je sais très bien que nous ne passerons pas en même temps. La cérémonie est bien organisée, un enfant angélique passe juste après un enfant démoniaque. Ainsi l’équité est entière. De plus, la logique de l’équinoxe veut que nous avancions selon notre date d’anniversaire.
L’angoisse est à son comble. Un ange ouvre le rituel, un autre le ferme. Et les ambassadeurs sont les mieux placés pour le savoir, nous sommes à l’air angélique. Sauf qu’il y a un souci dans leur logique. Comment peuvent-ils être certains que le dernier enfant sera un ange ? Cette question flotte en gros dans mes pensées, alors que ma meilleure amie se lève.
— Tu pars déjà ? m’étonné-je.
— Ils en sont au mois d’août, Ava. Écoute-moi, inspire et respire. Surtout, pense à ce qu’on s’est dit. Tout va bien se passer.
Avec un dernier baiser sur la joue, elle rejoint le bas des quatre marches qui monte vers l’estrade. Un pas après l’autre, elle se dirige vers son destin. En moins de deux minutes, elle disparaît de ma vue, et j’ai peur que ce soit notre dernier échange. Un soupir s’échappe de ma bouche quand mon regard retombe sur mes genoux.
Mais je ne reste pas seule longtemps. Le bruit sourd de quelqu’un qui s’assoit sans délicatesse à la place qu’Ambre vient de quitter me fait jeter un regard sombre vers cette personne. Surprise, je me redresse et tourne la tête plusieurs fois de gauche à droite. Est-ce que c’est une blague ? Ne pourrais-je pas avoir un moment de répit avant ma sentence ?
— Alors petit ange, on a peur de connaître son identité ?
Cette fois c’en est trop ! Je me redresse et croise les bras sur ma poitrine en fixant droit devant moi. Je veux éviter d’enfreindre les règles aujourd’hui à quelques minutes de mon éclosion. La voix rauque du démon à ma gauche me surprend une nouvelle fois, mais je ne réponds toujours pas. C’est hors de question que je m’abaisse à ça. Pourtant, je sens que si je n’ouvre pas la bouche, il ne va pas me lâcher.
— Un effort petit ange, je ne mords pas, ironise une fois de plus mon compagnon.
— Damien ! Pas maintenant, tu vois bien qu’elle est timide la miss parfaite.
Les deux démons qui m’encadrent rient de leurs sarcasmes. Moi, je me renfrogne un peu plus, en serrant les poings pour ne pas faire de faux pas. Mes parents m’ont toujours dit de ne pas faire attention aux paroles de l’ombre, et de toujours sourire malgré les remarques désobligeantes. Mais quand celui qui se prénomme Damien passe son bras dans mon dos pour le déposer sur mon épaule c’en est trop.
Alors qu’un nouveau nom est appelé, je me lève en sursaut, et me retourne pour mettre une claque monumentale à ce démon. Cependant, je ne suis pas assez rapide. Le rebelle à la chevelure brune en bataille intercepte mon poignet. Puis dans un sourire carnassier, il déplace ma paume vers ses lèvres pour déposer un baiser sur le dessus de ma main.
Aussi vite que je le peux, je la retire de ce piège. C’est interdit ! Les règles sont au nombre de cinq. Pourquoi cherche-t-il à nous attirer des ennuis en cette journée particulière ? Je reste pourtant bloquée sur ses yeux d’ébène et ne bouge plus. Suspicieuse, je fronce les sourcils tout en essayant de reprendre une respiration normale. Quand l’un des archanges de la garde se poste en haut des marches pour appeler l’enfant suivant, je me secoue et me rassieds.
— Tu l’as cassé. Tu connais pourtant les règles non ? Où ça t’amuse de les oublier pour tourmenter les angelots fragiles ? Ricane le démon dont j’ignore encore le nom.
— Je les connais. Tu veux que je te les récite ? Un, les anges et les démons doivent vivre séparément. Deux, aucun contact entre la lumière et l’ombre ne sera toléré. Trois…
— C’est bon, ne fais pas l’imbécile !
— Cinq. Tout non-respect de ces règles peut entraîner des sanctions allant de l’exil total de la communauté à la sentence de mort. Celle-là aussi, tu l’as en tête ? demandé-je en serrant les dents.
Damien se redresse d’un coup sous mes paroles, les yeux emplis de férocité. Alors que moi, c’est tout le contraire, j’affiche un sourire victorieux. C’est étrange, mais cet échange me permet de respirer à nouveau. Comme s’il faisait office de barrage face à ce qui m’attend. Les noms s’enchaînent et les visages s’amenuisent dans ce long couloir.
Très vite, nous ne sommes plus qu’une vingtaine, pour ensuite n’être qu’une dizaine et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on ne soit plus que deux. Le hasard est parfois curieux. Seuls, Damien et moi sommes encore présents. Installé sur nos fauteuils respectifs, l’écho de nos souffles est l’unique repère qu’il me reste avant mon passage.
— Alors petit ange, c’est bientôt ton tour, tu es rassurée ?
— Mon tour ? Non, tu vas passer avant, démon.
— Je serais bien étonné de voir ça, annonce Damien en fronçant les sourcils.
La surprise. C’est ce qu’ont éprouvé mes parents lors de ma naissance à la mi-mars. Pile au moment de la cérémonie de l’éclosion, il y a de ça dix-huit ans. Une coïncidence ? Je l’ignore, tout ce que je sais, c’est que la cité angélique et ses ambassadeurs sont fiers de m’exposer en cette journée.
De quoi en faire pâlir de jalousie plus d’un. En attendant, je déteste cette journée alors que je devrais la célébrer. Mais là, n’est pas la question. Une seule interrogation me vient à l’esprit quand l’archange se montre une nouvelle fois en haut des marches. Quelle est la date d’anniversaire de Damien ? Pourquoi a-t-il cru qu’il serait le dernier aujourd’hui ? Le gardien hausse les épaules en nous voyant là, tous les deux, un ange à côté d’un démon. Drôle de tableau, d’ailleurs.
— Le démon à ton tour, ordonne l’ange d’un ton sévère.
— Vraiment ?
Damien semble hébété face à la situation. Pourtant je l’avais prévenu. Je suis bien la dernière. C’est mon privilège, celui d’être née le vingt mars, le jour de l’équinoxe, le jour de la naissance d’Azylis, l’éclosion d’une déesse. D’autant plus que nous fêtons cette année les deux mille ans de notre société. Donc cette cérémonie en cette année, et ce jour précisément est la plus importante de notre communauté.
L’archange ne donne pas de réponse à Damien. Celui-ci une fois debout, se retourne vers moi avec de grands yeux ronds, et me lance une remarque, telle une interrogation :
— Je suis du dix-neuf mars ?
— Ce n’est pas de chance pour toi. La petite est du vingt, lui répond l’ange qui commence à s’impatienter.
Le regard de Damien se fait plus pesant, et surtout plus insistant. Il cherche à savoir si c’est une blague. Mais il voit à mon expression embarrassée que ce n’est pas le cas. Pourtant, il n’a pas les mêmes yeux émerveillés que j’ai l’habitude de voir quand j’annonce ma date de naissance. Lui, et plutôt soulagé. Un léger voile traverse même ses pupilles lorsqu’il se détourne de moi pour avancer vers l’estrade.
— Bonne chance petite ange, souffle-t-il alors en passant la dernière marche.
Dans un dernier sourire, Damien se retourne et se lance dans la fosse aux lions.
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Luna-Bella-Me
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Herrade_Riard
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