Fyctia
Chapitre 18 : Géraldine ❄️
Cimetière communal d'Yvoire.
Nous y sommes.
C'est cet instant que je redoutais tout particulièrement depuis l'annonce de la mort de ma grand-mère, à Amsterdam. Cet instant qui m'a empêchée de dormir ces deux derniers jours. Nous y sommes, et je suis vide. Si vide que j'ai peur que mon âme ne reflète plus qu'un trou béant. Le néant.
Le cercueil dans lequel elle repose est prêt à être recouvert, blotti au creux de son fourreau de terre à côté de celui de mon grand-père, et tout ce que je me dis, c'est qu'elle doit avoir froid là-dessous. Dans sa robe de printemps, éblouissante de coquelicots rougeoyants. Ce n'est pas la saison, il neige à gros flocons. Instinctivement, je resserre les pans de mon manteau sur ma poitrine, mais je ne parviens pas à me réchauffer. Tout est glacial. Le temps, le ciel, les gens.
Cet hiver me semble éternel et me dévaste intérieurement. Les cloches du Marché de Noël qui résonnent au loin troublent à peine cette atmosphère givrée. Je fais tourner une rose blanche entre mes doigts, comme si cela pouvait annihiler toute ma tristesse, comme si elle avait le pouvoir de me garder ancrée dans l'instant présent.
Mais cette rose ne l'a pas. La magie, que ce soit celle de Noël, du destin ou encore de Dieu, n'est rien d'autre qu'un subterfuge pour nous faire espérer des jours meilleurs, des lendemains heureux. Vaste illusion de l'humanité. Et l'espoir est sans doute le plus cruel, le plus vil de tous les sentiments que je connaisse. Pardon, mamie, de bafouer toutes tes croyances, mais je suis déjà loin, torturée de regrets. Pardon, mamie, de ne pas avoir su revenir te voir avant. Avant que tu nous quittes.
Ma grand-mère ne me l'aurait jamais reproché, je le sais, mais ma conscience, virulente, ne veut pas se taire. Et elle a raison. Ceux qu'on aime ne sont pas éternels. Nous avons tendance à l'oublier. Je l'ai oublié. Et j'ai du mal à respirer.
Ma gorge se serre, mes pupilles se brouillent de larmes qui ne coulent pas. Elles restent suspendues au creux de mes yeux jusqu'à ce que l'enterrement se termine et qu'on nous invite à nous avancer, chacun notre tour, pour jeter la rose et un peu de terre sur son cercueil.
Et puis... et puis...
C'est fini.
Une première larme dévale ma joue alors que je m'éloigne de sa sépulture, mes bottes s'enfonçant dans la neige et ralentissant ma progression. Elle est suivie d'une deuxième larme. Une troisième la rejoint. Après cela, c'est une véritable avalanche. La boule qui m'entaillait la gorge cède littéralement et un sanglot passe la barrière de mes lèvres. Je l'étouffe dans mon poing, entre mes doigts glacés, mais je ne réussis pas à faire taire le hoquet qui me déchire la cage thoracique. Je suis incapable de me contenir, alors je ne me retourne pas, la tête baissée. Je marche aussi vite que je peux au milieu d'un désert blanc. Chaotique.
Je fuis. Encore une fois.
C'est ce que je sais faire de mieux.
Maison familiale des Truffaut - Plus tard dans la soirée
Je suis prostrée, à l'abri sous mes couvertures, lorsque quelqu'un frappe à la porte de ma chambre. Ce ne sont que deux coups, discrets mais parfaitement audibles. Merde, je ne veux voir personne. Par réflexe, je récupère mon téléphone portable, posé sur la table de chevet, pour vérifier l'heure. Il est plus de vingt-trois heures. Tout le monde doit dormir après une journée comme celle que nous venons de passer. Tout le monde sauf...
L'intrus devant ma porte.
Qui cela pourrait-il être ? La couette au-dessus de la tête, je passe en revue les hypothèses à ma disposition. Ma mère ? Peu probable. Mon père ? Possible, mais il est déjà venu une heure plus tôt et m'a embrassée après m'avoir souhaité une bonne nuit d'une voix légèrement enrouée. Il doit être dans la même position que moi à l'heure actuelle : au fond de son lit.
Alors qui ? Aucune chance que ce soit Armand. Un frisson d'horreur me parcourt à cette idée grotesque. Fabienne non plus, nous ne sommes pas spécialement proches. En ce qui concerne mon frère, Clément, il quitte la pièce chaque fois que j'y suis, comme si j'avais la peste et le choléra réunis.
Capucine ? Ce serait bien son genre de s'inquiéter pour tout le monde, mais elle avait l'air complètement déphasée le reste de la journée. Tout comme moi, elle est rapidement montée dans sa chambre ce soir. Sans manger. Et Miles, évidemment, l'a suivie. Une pensée ridicule vient soudainement m'effleurer l'esprit...
Et s'il...
Non, Géraldine, il ne va certainement pas te proposer une clope au beau milieu de la nuit.
Marmonnant et geignant dans une barbe inexistante, je repousse mes couvertures d'une main. Il fait sombre dans la pièce. Elle est seulement éclairée de la lueur de la lune voilée qui perce à travers les voilages. La neige a cessé de tomber depuis plusieurs heures, et le silence recouvre la nuit de son manteau glacé. Un frisson m'étreint, bien que l'épaisseur de mon pyjama en coton soit conséquente. Je m'assieds sur le lit pour enfiler mes chaussons et allumer la lampe de chevet. Derrière la porte, deux autres coups retentissent. L'inconnu s'impatiente. J'adresse à la porte un regard noir alors que je m'agace dans un chuchotement rageur.
— Je viens, je viens...
Je traîne les pieds jusqu'au seuil de ma chambre, glisse ma main sur la poignée que je tourne légèrement, et entrouvre finalement ma porte pour découvrir...
— Benjamin ? Qu'est-ce que tu fous là ?
— 'Soir, Gégé !
Mon cousin danse d'un pied sur l'autre avec sa dégaine d'adolescent grandi trop vite. Il n'ose pas vraiment me regarder et je discerne, malgré l'obscurité du couloir, le tremblement de ses mains. Entre elles, il tient ce qui ressemble fortement à un petit coffret en bois. Je plisse les yeux, incrédule. Lui se contente de vérifier autour de lui comme s'il était en mission infiltrée pour le FBI.
— Tu me laisses entrer ?
— Droit de passage.
Je tends la paume de ma main vers lui mais, étrangement, ma tentative d'humour et de corruption tombe à plat. Pas l'ombre d'un sourire sur le visage de mon cousin. Je soupire, vexée par ce manque évident de considération, et me décale sur la droite. Il n'attend pas une seconde de plus avant d'entrer et d'aller poser son fessier sur mon lit.
— Fais comme chez toi, j'ironise.
— Gégé... Tu ne devineras jamais ce que j'ai trouvé...
— Le trésor du pirate La Buse ?
À douze ans, Benjamin était fasciné par les pirates. Surtout par l'histoire et le trésor de l'un d'entre eux : Olivier Levasseur, dit La Buse, capturé et pendu le 7 juillet 1730, à Saint-Paul sur l'île de la Réunion. Bennie avait passé des mois à faire des recherches, à essayer de trouver des indices sur ce mystère vieux de trois siècles. Je l'avais aidé pendant un temps, amusée, et nous avions écumé les archives des environs sur le sujet. Mais, pour la seconde fois, mon intervention ne semble pas pertinente et il secoue la tête.
— C'est grand-mère, déclare-t-il, rivant ses yeux aux miens.
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Ady Regan
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Il y a 5 jours
Natia Kowalski
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Il y a 5 jours
Mayana Mayana
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Natia Kowalski
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Soäl
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Natia Kowalski
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Lys Bruma
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Natia Kowalski
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Laurel T
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Natia Kowalski
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Il y a 7 jours