Gabriele VICTOIRE ET QUAND TOMBE LA NUIT... *EQTLN*__V

*EQTLN*__V

Des souvenirs heureux tentent une percée dans l'esprit embrumé du père. A l'image du paysage derrière la baie vitrée. Leur rencontre. Un tournant au carrefour de sa vie. Un café parisien enfumé et bondé. Elle, chantant d'une voix d'or ce tube interplanétaire. Lui et ses rêves de succès, une bière à la main. Leurs regards qui se croisent, l'évidence qui s'installe. Dire qu'ils ne croyaient, ni l'un, ni l'autre, au coup de foudre. Belle, l'ironie !


Pianiste soliste reconnu. C'était l'objectif visé à la base. Mais, elle et sa musicalité l'ont fait changer de direction. Grand bien n'en fasse : ils ne formèrent plus qu'un. A la vie comme à la scène. Leur duo ravissait des foules de plus en plus conquises au fil de leur montée des marches du succès. Fulgurante l'ascension. Vivifiante.


Crescendo sur les touches. Suspension des mains. Faire durer la pause pour que subsiste encore le souvenir. Mais, la gravité l'emporte toujours, non ? Plaquage des mains, le piano se plaint.


Jusqu'à ce qu'un soir, six mois plus tôt, son cœur, à elle, ne s'épuise. Là, sur la scène illuminée, sous les projecteurs déchaînés, sous les cris de la foule médusée. Mais surtout, surtout, sous ses, à lui, impuissants. Vertigineuse la chute. Et subite, bien trop subite. Une telle descente aux enfers, il ne la souhaite à personne.


Decrescendo. Ses doigts frappent dur les touches. Colère quand tu nous tiens.


Aucun regret. Si ce n'est l'amertume de la solitude d'aujourd'hui. Maintenant, que lui reste-t-il ? Le fruit de leur amour, bien sûr. Pour combien de temps encore avec cet héritage empoisonné qu'elle lui a légué ?


Et la musique, éternelle, elle. Sa bouée de sauvetage, si abstraite, si incomplète sans sa voix, à elle, si aimante. Il lui reste le manque aussi, si tenace.


Des perles salées dansent aussi sur le clavier. Il fait froid ce soir.


Soudain, au creux de la mélodie pourtant sûre, une invitée surprise s'immisce : une fausse note. Tiens ? Du cou jusqu'au menton, du cou jusqu'au menton, du cou jusqu'au menton, du cou jusqu'au menton, du cou jusqu'au menton...

  • ***

La lumière bleue tressaute. Léo ne décolle pas du battant. Papa joue fort ce soir. Tachycardie, encore. Courage aussi.


– Je veux juste savoir si tu es...ma maman.


Quelques sanglots s'échappent. Glacés. Pas de réponse. Léo scrute l'obscurité. Si palpable. Ça se cache mais l'enfant ne doute pas : il n'est pas seul dans la pièce. Les sueurs froides dans son cou le lui confirment. La pluie tambourine sur la fenêtre tandis qu'un nuage révèle la ronde pleine lune.


Illumination de la chambre. Léo sursaute. Ça est bien là, à sa place habituelle, près de la fenêtre. Chair de poule qui s'invite. L'enfant ferme les yeux. Il perçoit mieux ça ainsi. Il la veut sa réponse, maintenant !


– Es-tu ma maman ?


D’ordinaire, c'est plus simple. A-t-il le droit de répondre ? Ça ne sait. Personne ne lui avait encore parlé depuis l'autre côté. A situation exceptionnelle, réaction exceptionnelle. Comme hier soir. Lui avoir donné une telle preuve transgressait toutes les lois, ça ne l'ignorait pas. Mais quelque chose chez ce petit, le pousse à la confidence.


"Tu connais la réponse."


L'enfant soupire. Les bras ballants, il avance d'un pas, las et terriblement déçu. Ça a raison : il sait, il a toujours su. Sa maman ne lui aurait jamais fait peur. Mais, il espérait tellement. Toc, toc, toc, contre la vitre. Léo se glisse dans son lit. L'ombre glisse aussi, jusqu'à lui. Battement d'ailes. Pas de cachette sous la couette cette fois. Fort ce Léo. Le chagrin aussi.


La curiosité l'emporte. Ça ose :


"Pourquoi tu n'as pas peur de moi ? "


Cette question, Léo ne la voit pas sous ses paupières car chaque fibre de son corps se crispe. Douleurs sourdes. Ne pas inquiéter papa, c'est le plus important. Mais ce soir, ça fait plus mal. Grincement de dents.


– Je vais partir, comme maman ? peine-t-il à articuler.


Tant pis pour ses propres questions. L'heure H fatidique approche. Ça aimerait le consoler. Même si tel n'est pas son rôle.


"Oui."

– J'ai froid.


Une odeur de miel. Son corps se réchauffe. Léo s'apaise, un peu.


– Maman...


Il revoit le sourire de sa mère quand elle lui dit "je t'aime", sa danse du matin quand elle vient le réveiller. Ses yeux verts rieurs quand il fait une bêtise. Son corps se souvient de ses caresses quand il pleure, de ses câlins quand il a mal. De la douceur de ses mains chaudes quand il a froid. Et ces parties de cache-cache dans la maison quand il pleut, comme ce soir. Il entend encore son rire, sa voix. Quand elle chante, elle est si belle, si joyeuse.


– Tu m'emmènes la voir ?

"Non."


L'heure H sonne. Ça fixe l'enfant, attend. Suspension du temps. Comme ça aimerait ne pas avoir à être là, ce soir. Tout est juste et parfait, toujours. Ça le sait, pourtant...


– Pourquoi tu restes alors ? renifle le petit à bout de force.


On entend plus le piano. Juste la pluie et son ami le vent. Une branche se casse de l'autre côté de la fenêtre. Fort ce vent.


"Pour te chanter une berceuse."


Sourire crispé sur l'oreiller. Léo serre les poings, la mâchoire. La pluie tape fort aussi, comme son cœur.


– Quand ?

" Maintenant".

– J'ai mal.

"Je sais, ça ira mieux après."


Un éclair zèbre le ciel encombré. Ça se penche.


– Comment...tu...le...sais ?

"J'étais comme toi avant. Malade."


Deuxième éclair. Ça quitte son manteau de ténèbres.


– Tu es...

"Tu seras comme moi après. Ange."


Troisième éclair, ça chante d'une voix cristalline :


"Et quand tombe la nuit...éternelle,

Je suis là, toi tu déploies, tes... ailes."


La foudre s'abat dans le jardin, le piano gronde, le dernier souffle est rendu. L'âme aussi. Pas de course du père qui s'effondre au pied du lit. Impuissant une nouvelle fois. Le cauchemar recommence. Non, il persiste. Un gouffre l'engloutit. Le Néant le saisit.


Léo, éthéré, sent ses ailes remuer dans son dos. L'autre ange l'entraîne vers le plafond.


– Et papa ? Il sera trop triste.

– Oui. Mais, c'est un cadeau que tu lui fais.

– Un cadeau ?

– Tu lui offres la possibilité de croire sans voir, inestimable comme cadeau. Le plus beau.

– Comment ?

– Parce qu'il continuera à t'aimer, à te faire exister, à croire que tu vis quelque part. Il comprendra ainsi que la mort n'est pas la fin.

– Je ne veux pas le laisser seul.

– Seul, il ne l'est jamais.


Le calme après la tempête revient. Le père sombre encore. Les Anges envolés.


Moi ? Je tiens ma promesse. A la vie, à la mort...








*******************************************************************************************


Merci à tous pour votre lecture ! 🙏

J'espère que ma revisite du conte "L'ange"👼 d'Andersen vous a plu.

A bientôt 😍😉 !


***LOVE__Gabriele_V***

Tu as aimé ce chapitre ?

73

73 commentaires

Pauline Ramier

-

Il y a 5 ans

je suis la seule a pleurer ?

Amandine Lmbrd

-

Il y a 5 ans

J'ai lu ton histoire d'une traite ! J'ai adoré le suspens, le thème et les frissons qu'il m'a procuré. On attend la fin avec impatience. Je me suis posée plein de questions pour essayer de découvrir le conte caché, mais même si je ne le connaissais pas, il m'a l'air très fidèle (j'ai été voir après :D ) Une belle découverte, une écriture fluide et entrainante. Bravo !

Christopher Llord

-

Il y a 5 ans

Très jolie fin et très belle histoire que tu nous offre là.

lilisens

-

Il y a 5 ans

Je ne connaissais pas ce conte....la fin est forcément super triste!.....Bravo

Dr.Rd

-

Il y a 5 ans

Persos je connais pas ce conte conte mais ce que je sais bien c'est que ce conte me plaît vraiment, on s'attache vraiment à Louis et léo le pauvre et de ce qu'il essaye de faire. Merci pour le partage !

L. Azarii

-

Il y a 5 ans

Il est l'heure d'admettre que je ne connaissais pas ce conte d'Andersen. Mais j'ai découvert, depuis que je bosse en collège, que je l'avais très peu lu ! En tout cas, merci pour ce texte et pour cette histoire incroyablement belle. J'avais un peu le même ressenti qu'Arno sur le "menton jusqu'au cou" mais je pense, maintenant que j'ai tout lu, que c'est aussi une piste pour marquer que l'histoire finalement, concerne aussi et surtout Louis. J'ai de la peine pour ce pauvre homme qui perd deux amours en si peu de temps. Et j'imagine pas sa culpabilité à la mort de son fils... Ahlala mais c'est lui qui raconte l'histoire, et ça c'st beau

Adrian2

-

Il y a 5 ans

J'ai été séduit de bout en bout de ce conte. Vraiment bravo à toi. Ce conte d'Andersen éveille beaucoup de souvenir en moi et je suis vraiment ravi de cette transformation.

Gabriele VICTOIRE

-

Il y a 5 ans

merci ! je m'éloigne assez du conte originel c'est vrai, donc ravie que ça te plaise. merci pour ton retour 🙏

Arno Rozen

-

Il y a 5 ans

Ton texte est bouleversant. Par l'histoire qu'il raconte, mais aussi, et surtout, par la capacité de ton écriture à en transmettre, avec justesse et inspiration, chaque émotion. Impossible de ne pas avoir la gorge serrée au moment de la conclusion, elle aussi parfaitement amenée et surprenante. Si, comme moi, on considère l'art comme vecteur d'émotions, on ne peut qu'adorer ton style. Ma seule remarque négative serait peut-être l'abus du gimmick "du coup jusqu'au menton" dans certains passages qui ne l'imposaient pas, mais c'est histoire de goût... Tu nous offres une prose pleine d'intelligence et de sensibilité, aux passages chargés de poésie ; c'est un beau cadeau que tu nous fais, alors merci pour ce bon moment, et sache que je découvrirai tes autres textes avec plaisir ;)

Gabriele VICTOIRE

-

Il y a 5 ans

merci pour ce retour des plus agréables à recevoir ! oui, transmettre des émotions, comme définition de l'art, j'adhère ! merci pour ta lecture et ton partage de ressentis ! 🙏
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.