Fyctia

La remarque de Lisa résonna en Annabelle comme une vérité trop longtemps ignorée. Cette école, avec ses règles strictes et ses catégories rigides, cherchait à façonner les élèves, à les diviser, à les pousser dans des rôles préétablis. Et ce, même si ces rôles allaient à l'encontre de ce qu'ils étaient profondément. Annabelle sentit un frisson lui parcourir l’échine en réalisant à quel point elle se sentait étrangère à cette place qu’on voulait lui faire occuper.

— Ils veulent qu’on change, murmura Annabelle, le regard perdu dans le vide. Mais je me demande… à quel prix ? Et jusqu’à quel point ?

— Jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de nous, répondit Lisa d’un ton détaché, comme si elle énonçait une vérité évidente. Ils veulent qu’on devienne ce qu’ils appellent "fort", mais leur définition de la force est biaisée. Pour eux, la force, c’est l'absence de tout ce qui fait de nous des êtres humains : la compassion, l’amour, la loyauté.

Annabelle laissa ses pensées vagabonder, les mots de Lisa plongeant dans ses doutes intérieurs. C’était exactement ce qu’elle craignait. Ils voulaient la transformer en une autre personne, une version d’elle-même plus froide, plus calculatrice, une « Méchante » digne de ce nom. Mais cette idée la répugnait.

— Je ne peux pas perdre ça, Lisa. Je ne peux pas perdre… lui. Jérémy, il est tout ce que je suis encore capable de protéger.

Lisa la regarda avec une intensité qu'Annabelle n’avait jamais vue chez elle. Quelque chose dans ses yeux sombres suggérait qu’elle comprenait plus profondément que quiconque ce que ressentait Annabelle.

— Tu ne le perdras pas, dit-elle avec une assurance troublante. Pas si tu restes vraie envers toi-même. La vraie force réside dans le fait de ne pas se laisser déformer par leur système.

— Mais comment ? souffla Annabelle, désespérée. Chaque jour, ils nous manipulent, nous testent, nous poussent à nous conformer.

Lisa haussa légèrement les épaules, comme si la réponse était simple, évidente, et pourtant hors de portée pour la plupart.

— Tu fais des choix, Annabelle. Chaque jour. Et chaque choix est une opportunité de résister. Ne te laisse pas aveugler par leurs attentes. La force que tu cherches, elle est déjà là, en toi. Elle n’a jamais eu besoin de validation.

Le silence qui suivit ces paroles était lourd de sens. Annabelle comprenait que Lisa ne parlait pas seulement pour elle-même. C’était un conseil, un avertissement, mais aussi une invitation à se découvrir autrement, à ne pas se laisser enfermer dans un rôle qu’elle ne désirait pas.

— Merci, Lisa, murmura Annabelle, touchée par ces mots qui faisaient écho à ses propres tourments.

— De rien, répondit Lisa en s’éloignant de l’ombre du mur pour se diriger vers la porte de la classe des Méchants. On est tous dans cette mascarade. Certains choisissent de se fondre dans le décor, d’autres choisissent de jouer le rôle qu’ils ont écrit eux-mêmes.

Annabelle resta plantée là un moment, observant Lisa s’éloigner, sa silhouette disparaissant derrière la grande porte austère. Les mots de Lisa résonnaient encore dans son esprit. Peut-être qu’elle n'était pas aussi seule qu’elle le pensait. Peut-être qu’il était encore temps de trouver un moyen de résister à cette transformation imposée, sans sacrifier tout ce qui faisait d’elle ce qu’elle était.

Avec un soupir, Annabelle tourna les talons et retourna dans sa propre classe. L’atmosphère y était glaciale, comme toujours. Les regards de ses camarades étaient aussi durs et impénétrables que les murs de pierre qui les entouraient. Elle se dirigea vers sa place habituelle, essayant de garder en tête les paroles de Lisa.

— Annabelle, murmura une voix à sa droite.

Elle tourna la tête et vit Victor, assis à côté d’elle, l’observant avec curiosité. Son visage, habituellement impassible, montrait une lueur d’intérêt.

— Tu as l’air perturbée, continua-t-il en la fixant de ses yeux perçants. Tout va bien ?

— Oui, ça va, répondit-elle rapidement, cherchant à dissimuler ses émotions. Je réfléchis juste à… certaines choses.

— Tu sais que tu n’as pas besoin de te cacher ici, dit-il doucement, baissant le ton pour ne pas attirer l’attention des autres. Nous sommes tous là pour la même raison. Ce monde ne nous a jamais faits pour nous protéger.

Annabelle le regarda avec surprise. Elle ne s’attendait pas à cette marque de confiance, surtout pas de la part de Victor. Il était toujours si détaché, si calculateur. Pourtant, il semblait la comprendre d'une manière que peu d’autres pouvaient.

— C’est juste que… tout ça, cette école, ces rôles… je ne sais pas si je m’y retrouve vraiment, avoua-t-elle finalement.

Victor hocha lentement la tête, comme s’il comprenait chaque mot.

— Personne ne se retrouve vraiment dans ce qu’ils veulent nous imposer. La clé, c’est de savoir ce que tu es prête à sacrifier pour ne pas perdre de vue qui tu es. Ils veulent nous endurcir, mais c’est à toi de choisir comment.

Annabelle sentit une vague de soulagement en entendant ces mots. Peut-être qu’elle n’était pas la seule à se poser des questions. Peut-être qu’il y avait encore de l’espoir pour elle, pour Jérémy, et pour tous ceux qui refusaient de se conformer.

— Merci, Victor, murmura-t-elle, son regard s’adoucissant.

— N’oublie jamais, ajouta-t-il en se redressant, un léger sourire en coin. Ce n’est pas parce qu’ils veulent qu’on soit des « Méchants » qu’on doit l’être vraiment.