Fyctia
Chapitre 6 - Lui (2)
— Le ridicule ne tue pas, n'est-ce pas ? laisse-t-elle échapper dans une inspiration.
Je quitte mes pensées, me concentre sur ses paroles, évalue ce que dit son corps, de nouveau tourné vers les sphères gonflables qui s'entrechoquent sous le coup d'éclaboussures. Se ferait-elle du souci pour le regard des autres ? Impossible. Ella Smith assume ses actes et paroles, autant que moi, j'en suis convaincue.
Néanmoins, pour apaiser le doute qui s'immisce vicieusement, je dédramatise la séance à venir :
— T'en fais pas, y a que moi qui me moquerai de toi au pire.
Je lui souffle dans le creux de l'oreille ces quelques mots, et je l'entends pouffer avant de se retourner, le sourire aux lèvres. Les lèvres à quelques centimètres des miennes.
— C'est plutôt moi qui vais bien rire de toi ! me nargue-t-elle en lâchant ma main et en m'écartant gentiment.
Notre séparation me trouble un instant. Sa chaleur quittant ma paume laisse un vide mais son rire le comble instantanément.
— Arriveras-tu déjà à rester debout plus de quelques secondes ?
— Serait-ce un défi Blake ?
En effet.
Je hausse les épaules pour toute réponse.
— Grossière erreur, m'avertit-elle.
Notre tour arrive finalement vite. On nous déleste du superflu, nous aide à entrer chacun dans une bulle étanche, regonflée et réoxygénée. Je réalise, les mains tendues au-dessus de ma tête, que la hauteur ne doit pas faire plus de deux mètres. Information utilise quand avec mon mètre quatre-vingt il ne me manque pas grand-chose pour être stable, tandis que pour mon amie, plus petite d'une bonne dizaine de centimètres, le maintien en position debout risque d'être moins évident.
Le premier pas, de la plate forme au bassin, est à notre portée. Nous sommes six à être alignés. Nombre suffisant pour être bousculés involontairement et avoir assez de place pour s'exprimer. Les autres participants m'intéressent peu mais je lorgne avec attention Ella. Elle bascule de suite dans le vide, sûre d'elle, et roule, brinquebalée, à l'intérieur de sa bulle d'air. Je ris, avant de sentir une pression m'envoyer la rejoindre, sans que je n'ai le temps de penser à marcher pour maintenir une posture digne. Pris dans l'élan, je me retrouve dès la première stabilisation, la tête en bas et les pieds en l’air, à l'extrémité du bassin, aux côtés d'Ella. Le son de son rire est atténué mais j'aperçois sans mal les larmes aux yeux qu'elle arbore, la tête elle aussi renversée. A plate-ventre, j'essaie de me redresser tout en gardant l'équilibre. Dompter la bête n'est pas simple. Ella, à plat dos, préfère s'assurer un déplacement fiable, et se retourne, à quatre pattes.
Aussitôt le truc approximativement maîtrisé, nous fonçons tête baissée... l'un vers l'autre. On glisse, on roule, on s'éjecte par rebonds dans des coins opposés. On se donne du mal pour se rapprocher, se retrouver, et commettre un nouveau tamponnement. Je m’époumone, à ne plus en pouvoir. La sensation de légèreté lors de l'essorage est carrément plaisante. Le danger de se faire mal ou de se mouiller écarté, plus rien n'arrête Ella, mais aussi les autres joueurs qui nous percutent par moment ou subissent nos débordements. Se tenir debout, marcher, sur l'eau, est une drôle d'expérience. Inoubliable. Le plastique résistant permet de s'enfoncer légèrement tout en flottant à la surface. Une prouesse que le cerveau a du mal à concevoir et qui fait vite perdre l'équilibre, au détriment de barres de rire insoutenables. Puis, l'immense chronomètre qui affiche le décompte sonne en un instant la fin de la partie. Nous bataillons pour avancer jusqu'au ponton de départ, la stratégie d'Ella s'avère la plus efficace. Je l'applique. Libérés, nos affaires personnelles en poche, nous laissons notre place aux prochains candidats.
Redécouvrir l'air chaud qui paraît si frais après ces dix dernières minutes enfermées dans cette énorme bulle à gesticuler est un plaisir. Je tire sur le col de mon tee-shirt pour ventiler mon torse, trempé. Ella, elle, écarte les bras, savoure le brise de début de soirée caresser sa peau, brillante. Je dois être son reflet mais elle a pris de vives couleurs, pire que cet après-midi, et son décolleté dévoile quelques gouttelettes produites par son corps afin de récupérer une température digne de ce nom. Nous sommes tous les deux en nage, constaté-je.
Un rapide tour d'horizon m'apporte une solution à notre situation.
— Je t'offre un granité ? pointé-je du doigt le marchand de confiseries qui propose aussi diverses boissons à la glace pilée.
Un grognement approbateur me confirme l'idée de génie.
— J'ai craint le mirage de la source en plein désert, confesse-t-elle après avoir descendu la moitié de son breuvage.
Assis sur un banc, juste elle et moi, cinq minutes se sont écoulées sans échange entre nous, le temps d'absorber assez de fraîcheur pour reprendre une contenance convenable. Comme de simples observateurs derrière un écran, nous nous sommes pris dans la déambulation des passants et les conversations hors contexte alentours.
Je lui rends son sourire, devenu aussi vert que sa boisson. Magnifique, je me perds à l'imaginer en nymphe, des fleurs dans les cheveux, des lambeaux de tissus escamotant juste ce qu'il faut de sa féminité. Mettent-ils de l'alcool dans ces granités ?
Je déraille, l'activité était bien plus physique que je ne le pensais.
Je me reprends, étale un constat que j'ai établi durant la séance de sport.
— Toi qui voulais faire des auto-tamponneuses, on a testé la version aquatique.
— En effet. Tu roules bien d'ailleurs, frime-t-elle.
Je hoche la tête. Je me suis fait ballotter, je l'avoue, bien plus qu'elle. Elle avait raison de me mettre en garde mais m'amuser avec elle est un régal, même si je perds.
Elle a l'air satisfaite mais il me faut l'entendre de vive voix.
— T'as aimé ?
Ma demande est teintée d'anxiété, incompréhensiblement. Elle me détaille, incertaine de s'il s'agit d'une boutade. Elle discerne que ce n'est pas le cas, je le lis sur ses traits. Sa réponse va être sérieuse.
— C’était super, Blake, valide-t-elle d'un clignement de paupières appuyé. Et toi, tu as aimé ?
La voir valdinguer, faire le fou avec elle, rire à ne plus en pouvoir, bien sûr que j'ai aimé.
— Absolument.
Ravie, ses pommettes se rehaussent et elle paraît de nouveau d'attaque.
— On rejoi...
— Ella...
Nos débuts de phrases se percutent et nous stoppent tous les deux. Je devine ce que la sienne allait être : rejoindre les autres. Je ne peux pas lui accorder, pas encore. Il y a une chose dont il faut que je m'allège.
Pris de court, par cette journée, par son envie de passer du temps avec moi, réciproque, je n'ai pas anticipé l'annulation de mes plans. J'ai désormais des engagements à tenir, et ils vont m'éloigner de la seule personne avec laquelle j'ai envie d'être.
— Vas-y, m'offre-t-elle.
Nerveusement, je passe une main dans mes cheveux, détourne le regard, fixe le sol.
— Je... Je pars chez mes cousins, pour une semaine.
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Sharleen V.
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Leo Degal
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DIANA BOHRHAUER
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René Vignal
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Il y a 20 jours