Fyctia
Chapitre 4
Je ne fus pas assez rapide ce coup-ci, et l’homme esquiva ma rafale en se réfugiant dans le couloir. Je réussis juste à claquer la porte et déranger les quelques dossiers qui traînaient sur le bureau de ma mère. Je traversai la pièce en courant pour la fermer à clé.
— Je ne te veux pas de mal, me révéla mon adversaire tandis qu’il tambourinait contre le battant qui ne tarderait pas à lâcher.
Je m’empressai d’ouvrir la porte-fenêtre et de sortir. Je remerciai ma mère d’avoir insisté pour que son bureau dispose d’un balcon. J’enjambai la balustrade et renforçai mon contrôle sur l’Air pour le densifier. Il forma une sorte de coussin, un étage plus bas. Un pied au-dessus du vide, j’attendais de rassembler le courage nécessaire pour sauter. Mes mains crispées commençaient à blanchir et la rambarde s’enfonçait dans mes paumes. À cet instant, la porte du bureau céda. Je bloquai ma respiration, fermai les paupières et me laissai tomber.
Je chutai de dix mètres.
Du moins, ce fut mon impression. Quand je me décidai à ouvrir un œil, je flottais au-dessus du sol, recroquevillée. Le soulagement m’envahit et prit le pas sur ma concentration. Le coussin d’air disparut et je m’affalai par terre. Les graviers qui entouraient la maison me piquèrent le dos.
L’homme se tenait à présent sur le balcon.
— Tu vas bien ? me demanda-t-il.
Je ne répondis pas et bondis sur mes pieds. Une impression de déjà-vu me saisit tandis que je courais vers la forêt. Le sol trembla et se fissura derrière moi. Une liane en jaillit. Elle s’enroula autour de mes jambes et me planqua sur l’herbe. J’essayai de l’arracher, mais ma tentative échoua. J’employai donc les grands moyens et y mis le feu.
La chaleur traversa mon jean. La plante me lâcha avant que mon idée de génie ne me cause des brûlures. Je me relevai et me retrouvai nez à nez avec un second sorcier. Je voulus lever la main pour lui envoyer une rafale, mais deux autres lianes surgirent et m’entravèrent les poignets. Je grognai. Mes mains me servaient de canal pour diriger mes attaques.
— Calme-toi, nous ne te voulons aucun mal.
Son discours ne me rassura pas. Au contraire. Je cessai de me débattre et me concentrai. Sophie Montbasson, alias ma tortionnaire préférée ou Maman – quand elle ne cherchait pas à faire de moi une machine de guerre –, m’avait entraînée pour que je puisse utiliser mes pouvoirs en toutes circonstances, même immobilisée. Ces cours m’avaient semblé extrêmes sur le moment. Apprendre à contrôler mes quatre spécialités, d’accord. Le faire en étant attachée, c’était une autre histoire. J’avais longtemps pris mes parents pour des fous. Avec le recul, je comprenais qu’ils avaient anticipé ce moment.
Figée, je fermai les yeux et calmai ma respiration haletante. Mon pouvoir se déplaçait à travers mes veines. Il remontait le long de mes membres pour s’enrouler au niveau de mon thorax, comme un serpent. Quand son ascension fut terminée, j’ouvris mes paupières et appelai l’Air. Il réagit aussitôt.
Le vent se leva et provoqua de violentes rafales qui frappèrent tout sur leur passage. Je venais de déclencher une tempête dont j’étais le centre. Mes cheveux fouettaient mon visage et mes yeux pleuraient. Je n’avais pas besoin de mes mains quand mon corps tout entier servait de conduit.
— Arrête ça ! hurla le sorcier qui me faisait face.
Sa voix me parvenait à peine. Mes oreilles n’entendaient que les sifflements du vent qui prenait de plus en plus d’ampleur. Les arbres, situés à quelques mètres devant moi, ployaient et menaçaient de se déraciner. Mon adversaire se servait de ses lianes pour s’ancrer au sol. Celles qui m’entravaient cédèrent.
De nouveau libre de mes mouvements, je m’avançai vers lui et giflai l’air d’un revers de main. Le mouvement fit naître une puissante bourrasque qui parvint à l’arracher du sol. Il s’envola et finit sa course dans un arbre.
— C’est dangereux, ma grande !
Je me retournai pour voir l’autre sorcier, celui que j’avais laissé dans le bureau, marcher vers moi. Je ne perdis pas de temps et le visai à son tour, plusieurs fois. Aucune de mes attaques ne l’atteignait. Je compris qu’il utilisait l’Air pour former un bouclier qui le protégeait. Il s’agissait donc d’un aéromancien. Cette constatation me tira une grimace.
— J’aimerais que tu te calmes pour que nous puissions discuter.
— Vous êtes entrés dans ma maison sans y être invités, rétorquai-je d’une voix plus rauque qu’à l’accoutumée. Je n’ai rien à vous dire.
— Je crois que tu ne saisis pas bien ce qui se passe.
Les bras levés, je lâchai les rênes de mon pouvoir. Je voulais briser son bouclier, mais rien n’y fit.
— Tu vas finir par blesser quelqu’un, si tu continues.
— J’ai déjà fait pire, avouai-je, entre mes dents. Barrez-vous !
Un objet flou passa près de moi et un craquement résonna. J’entendis la voix de ma mère. Règle numéro 1 : ne jamais quitter son adversaire du regard. Mais la curiosité l’emporta. L’un des fauteuils du salon de jardin venait d’exploser contre un arbre. Je pensais être assez éloignée de la maison pour ne pas causer de dommage. Je vérifiai que c’était bien le cas et constatai que ma tempête avait pris des proportions alarmantes.
J’étais convaincue d’avoir réussi à la centrer sur les quelques mètres carrés qui m’entouraient, ici, au fond du jardin. Sauf que j’avais bousillé mes réglages en amplifiant le phénomène un peu plus tôt. Grosse erreur de ma part.
Je devais rectifier le tir avant que la maison ne devienne une cible. Mes parents ne me pardonneraient jamais si je cassais la toiture ou qu’un mur s’effondrait.
— Tu dois rappeler ton pouvoir et mettre fin à cette situation avant que ça ne vire à la catastrophe, confirma le sorcier, toujours à l’abri dans son bouclier, comme s’il lisait dans mes pensées.
Je savais que c’était la chose à faire et qu’il ne fallait pas tarder, mais je n’oubliais pas ce qui avait mené à ce désordre.
— Je le ferai si vous partez.
— Ça ne marche pas comme ça, ma grande. Mon boulot est d’éviter que ce genre de débordement n’arrive à l’oreille des humains. Tu nous mets tous en danger avec ta perte de contrôle, rajouta-t-il, inflexible.
— Je n’ai pas perdu le contrôle !
— Alors stoppe la tempête.
Je voyais bien à son expression qu’il m’en croyait incapable. Il était prêt à intervenir, à reprendre le dessus au moment où je flancherais, mais je comptais lui faire ravaler ses paroles. Ma concentration à son maximum, je resserrai mon emprise sur l’Air. Il me fallut plusieurs essais pour y parvenir. Je tins bon, les bras ouverts. Lorsqu’enfin je sentis que chaque courant d’air se pliait à ma volonté, des gouttes de sueur dévalaient mon visage et mes mains tremblaient. Je souris et, d’un coup, la tempête cessa.
— Je vous l’avais dit…
Je ne compris pas ce qui se passa ensuite. Un instant, je toisai l’aéromancien, fière de lui avoir prouvé qu’il avait tort. Le suivant, je sombrai.
2 commentaires
Amphitrite
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Il y a 3 ans
Elobiblio
-
Il y a 3 ans