Fyctia
La parenthèse enchantée
Ce sont les rencontres, bien sûr. Des bonnes comme des mauvaises, mais Yuna se sent surtout comprise par ce petit cercle. Soutenue. Il y a ceux et celles qui suivent ses artistes favoris de date en date, d’un pays à l’autre. Quand elle était plus jeune, Yuna les jalousait. "Quel intérêt d’aller les voir plusieurs fois en concert, laissez-nous aussi notre chance !" qu’elle pensait tout bas. Et puis, à force de faire des concerts, elle a compris. Cette adrénaline, ce sentiment de bien-être, cette impression de mettre sa vie sur pause, le temps d’une soirée. Laisser tous ses problèmes de côté. Sentir les battements de la batterie jusque dans la poitrine. La basse qui fait dresser les poils de vos bras. Les baffles qui hurlent la musique, comme vous voudriez hurler combien c’est bon d’être en vie.
Normal. Tout le monde a le droit de vouloir ressentir toute cette puissance, autant de fois qu’on le souhaite. Aucun mot n’est assez fort pour capter tout ce cocktail d’émotions. Et enfin, il y a les artistes. Leur jeu avec le public, qui fait grimper l’excitation. Les sourires. Les regards. Les interactions. Les signes de la main. Anodins, en apparence. Tout juste bons pour les groupies, d’après l’opinion commune. Mais dans les yeux de Yuna, comme dans ceux de beaucoup d’autres, ils signifient plus. Ils veulent dire merci d’être venu, on se comprend. Ne t’inquiète pas, ça va aller.
À l’heure des réseaux sociaux, il devient de plus en plus difficile de trouver de l’authenticité chez les artistes. Difficile de déceler ceux qui recherchent le buzz à tout prix, de ceux qui se montrent sincères avec leur communauté. C’est par pur hasard que Yuna a découvert celui qui l’a frappée en plein cœur. Un garçon différent, avec son look et son mode de pensée. Trop extravagant, trop éloigné des sentiers battus. Par son look, sa musique et son caractère. Yuna a noué une tendresse particulière avec ses textes et sa personnalité. Une connexion qui s’est concrétisée en se rendant à plusieurs de ses concerts. Émue par les gens qu’elle a pu y rencontrer.
"Si on vous a déjà rejeté dans votre vie, votre calvaire est terminé. Bienvenue à la maison. Regardez autour de vous : vous vous êtes trouvé une famille", répète le jeune homme à chacun de ses shows. Autour de Yuna, des personnes transgenres, ou souvent rejetées par les autres sans raison valable. Des timides maladifs, ou des personnes tout simplement mises de côté, car ne rentrant pas dans le moule d’une société trop étriquée. Au milieu de ces injustices : la paix. L’impression, pendant quelques minutes, d’avoir trouvé son camp pour de bon, où être soi, sans avoir peur du jugement d’autrui. Le pouvoir de la musique. L’union des cœurs, qui battent au rythme de la batterie.
Sans rien prévoir, Yuna s’est prise au jeu. Multipliant les concerts pour ce même chanteur. Elle a toujours été complexée par son hypersensibilité. Les autres lui ont toujours donné l’impression d’en faire trop. Pire, de ne pas être normale. Normale. Tiens, voilà un autre mot qu’elle déteste. Au sein de ce petit cocon, elle a appris à s’aimer et à s’accepter telle qu’elle est. Elle, son hypersensibilité, sa spontanéité et sa maladresse. Son impression de toujours parler trop, sans réfléchir. Dans ce petit cocon de fans, elle s’y sent comprise. Appréciée, valorisée. Elle y a appris que ses différences ne sont pas des tares, mais bien des qualités à cultiver. Comme des taches de couleur dans un monde trop terne.
Ces taches de couleur, elle les retrouve aussi auprès de toutes ces personnes présentes autour d’elle. Des cheveux colorés aux tenues à la fois extravagantes et travaillées. Une ode à la créativité et à l’originalité. À l’individualisme. De date en date, la trentenaire multiplie les rencontres. Elle collectionne leurs portraits comme de petits trésors. Si bien qu’au fur et à mesure, une idée naît en elle : il faudrait que quelqu’un suive tout ça de l’intérieur. Parler de la vie d’un artiste en tournée, d’abord. Les paillettes d’accord, mais aussi les travers et les désillusions. De mémoire de journaliste, ça n’a jamais été fait. Pas au jour le jour, du moins. Pas en toute sincérité. Et puis, parler aussi de tous ces visages qui, grâce à la musique, s’illuminent le temps de quelques dates.
Yuna s’imagine bien, raconter ces histoires que personne, à priori, ne souhaite entendre. Elle compte bien y mettre toute la lumière dessus. Toucher du bout des doigts ce que très peu connaissent. Alors, elle envoie un premier mail au management de l’artiste inespéré. Sans se faire d’idées. Pendant plusieurs mois, ses espoirs restent sans réponse. Logique. Qui accepterait qu’une parfaite inconnue s’immisce dans le bus d’une tournée ? Et puis, un beau jour, arrive le mail tant attendu…
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