Fyctia
Chapitre 5.2
Meg choisit le moment idéal pour faire son retour, portant maladroitement un énorme verre de bière rempli à ras bord de mousse.
— C’est trooooop cool ! J’adore cette soirée ! Non mais t’as vu Abby ? Ils ont une fontaine à cockt… oh salut !
Ethan rougit en la regardant, sous l’œil amusé de Connor.
— Connor, enchanté. Tu as un peu de mousse, là…
Il désigne le coin de sa lèvre. Comprenant le message, Meg se retourne pour s’essuyer, gênée par la situation. Elle est si fraîche, si spontanée et si naturelle. J’aimerais retrouver cette insouciance en moi, celle que j’avais avant. Avant que tout ne change. Avant, quand nous étions heureux. Avant, quand personne ne savait qu’une ombre planait au-dessus de notre famille. Avant.
Une partie de moi était comme elle. Nous étions bien différentes, mais les traits de folie nous rapprochaient. Hormis la veille de mon départ, qui fut vite gâchée par un misérable verre de vin, je ne me rappelle pas la dernière fois où j’ai réellement ri jusqu’aux larmes.
Non, je ne m’en rappelle pas. En revanche, je me souviens très clairement de celles qui étaient devenues si familières que je les considérais presque comme des amies. Amères. Salées. Mais salvatrices. Elles n’avaient rien des larmes qui surviennent quand on se met à rire, mais elles faisaient partie de moi. Elles occupaient désormais tout mon présent, et lorsqu’il leur arrivait d’être absentes, le silence et la nostalgie les remplaçaient vite pour ne jamais oublier que le bonheur faisait partie de mon passé.
— Viens, je vais te présenter les confréries.
Connor me sort de ma transe. Il pose délicatement sa main entre mes omoplates et m’emmène loin de mon amie. C’est fou comme il peut être grand. Je suis loin d’être petite, mais il me dépasse presque d’une tête.
Apparemment, j’étais trop absorbée par mes pensées pour m’apercevoir que c’était le moment idéal pour se retirer en toute discrétion. Meg et Ethan avaient enfin réussi à amorcer un semblant de discussion, bien que de loin leurs échanges ressemblaient plus à des regards gênés et à des gloussements étranges qu’à une véritable conversation.
Tout en marchant, mon regard se pose sur le grand ciel étoilé qui habille le plafond. Le voile imprimé est solidement attaché à chaque extrémité de la salle. J’y reconnais curieusement plusieurs constellations.
— La tenture a été spécialement installée à l’occasion de cette soirée.
Il a donc vu où mon regard se portait. L’observation est une qualité rare chez les garçons. Celui-là mérite d’avoir toute mon attention.
— J’aime les étoiles, dis-je émerveillée.
La musique devient presque assourdissante, à tel point que Connor est obligé de hausser le ton pour couvrir le bruit ambiant.
— Tu verras que notre campus est tellement énorme qu’il abrite tous types de confréries. Comme UCLA accepte énormément d’étudiants du monde entier, beaucoup d’entre elles recrutent selon… disons des critères assez particuliers. Elles sont sympathiques, mais les portes te sont fermées si tu n’es pas capable d’entrer dans leur moule.
Il me guide un peu plus loin et me montre une première table.
— Là, par exemple, tu as les Delta Gamma. Elles sont un peu coincées, mais très sympathiques. Disons que si tu souhaites un jour devenir l’épouse parfaite d’un homme richissime, tu es au bon endroit. La plupart de ces femmes sont là pour représenter le profil d’épouse qui ne bronche jamais, toujours le sourire aux lèvres avec une éloquence parfaite face à son époux parfait.
— Un modèle découlant du patriarcat, fais-je remarquer.
— Exact. Ça te parle ?
Je me sens un peu vexée qu’il puisse m’imaginer aussi coincée que ça, mais je ne peux pas lui donner tort non plus. Après tout, jusqu’à présent à part bafouiller, rougir et baisser les yeux, je n’ai pas vraiment su réagir de la meilleure des façons.
— Ici, ce sont les Alpha Chi Omega. Ce sont les reines du campus. Tout du moins, elles se considèrent comme telles. Riches, belles… mais disons qu’à part leur plastique attrayante, beaucoup d’entre elles n’ont pas grand-chose de plus.
Il désigne sa tête en tapotant sa tempe de l’index. Derrière leur table, je reconnais la petite Barbie blonde à la robe rose qui s’amusait à arranger les gobelets quelques instants plus tôt. Elle glousse avec l’une de ses copines ultra maquillée, manucurée et dont les boucles parfaites semblent tout droit sortir d’un magazine de mode. Les deux filles dévisagent un type qui, d’après son gilet, doit certainement faire partie de l’équipe de football du campus.
J’apprécie beaucoup ce petit moment intime que l’on passe tous les deux en faisant le tour de la salle. Son analyse des personnalités dépeint assez bien la réalité jusqu’à présent et je dois dire que je trouve cela plutôt agréable et distrayant.
— Ah. Là, ça devient intéressant. Tu es de confession juive par hasard ? Si oui, voilà une sororité dans laquelle tu pourrais entrer.
Un éclat de rire, à mi-chemin entre plaisanterie et malaise, s’extrait de ma gorge, ce qui semble déconcerter les étudiantes qui nous dévisagent, toutes vêtues de leur chemisier boutonné jusqu’au col et de leur longue jupe bleue. Manifestement, Connor semble assez satisfait de sa blague.
— Pour en connaître deux ou trois, elles sont vraiment gentilles, mais un peu coincées. Bon. Alors ici… Non, là tu peux oublier de rentrer dans celle-là.
Il rit de plus belle. En jetant un coup d’œil aux Zeta Phi Beta, je comprends tout de suite sa remarque. Cinq filles métissées se tiennent à côté de la table. L’une d’entre elles me salue en me souriant. Je réponds favorablement d’un geste amical de la main.
— Ne le prends pas mal. Elles sont vraiment très cool, mais elles n’acceptent que les afro-américaines au sein de leur sororité.
— Question de culture ?
— Et de traditions, ajoute-t-il.
En s’éloignant, l’une des Zeta Phi Beta salue chaleureusement Connor et lui souhaite une belle soirée, ce qui me conforte dans l’idée que ces filles doivent effectivement être assez cool. Un gloussement involontaire s’échappe de ma gorge lorsque je perçois le regard pétillant qu’il lui lance en retour.
— Ne te méprends pas. Elle sort avec un de mes potes.
Je roule des yeux à sa remarque, néanmoins soulagée de sentir disparaître le petit pincement au cœur qui vient de me surprendre. Il l’a peut-être ressenti, car il me lance un petit clin d’œil complice. Cependant, j’ignore encore de quelle façon je dois l’interpréter.
1 commentaire
chloemaxence1
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Il y a 2 ans