Fyctia
Lisa (3/3)
Si ses yeux pouvaient lancer des éclairs, je serais foudroyée sur place. Mais je suis convaincue qu’elle me pardonnera cette trahison. Enfin, Mathias peut l’examiner. Après quelques minutes et d’autres prises de constantes, telles que la tension et le rythme cardiaque, il la questionne sur ses derniers bilans sanguins. Ceux-ci remontant aux calendes grecques, le médecin lui prescrit une batterie d’analyses. En ce qui concerne le pied de Lisa et sa difficulté à cicatriser, il veut exclure un diabète. Toutefois, il stipule qu’à son âge, les problèmes circulatoires sont fréquents, entraînant par conséquent ce genre de troubles. À ces paroles, Lisa me gronde :
— Tu l’as fait venir pour qu’il me traite de vieille ? Ça, je le savais.
Mathias pourrait s’agacer de l’attitude de ma marraine. Au contraire, il a l’air de s’amuser du show qu’elle ne peut s’empêcher de lui présenter. Je crois qu’il a compris que le personnage était touchant. Comme nous nous regardons d’un œil complice, Lisa sourit à son tour. Je l’avertis que je l’emmènerai au laboratoire d’analyses médicales lundi et que je lui ramènerai le lendemain les médicaments que Mathias est en train de lui prescrire pour guérir sa plaie. La visite s’achève. Le médecin se relève, mais prend le temps de discuter :
— Je vois que vous lisez beaucoup.
Lisa, qui a remis sa chaussette et sa mule à la vitesse de la lumière, trouve dans cette question l’opportunité de lui dévoiler un bout de son univers. Grande lectrice, amoureuse des mots, ma marraine peut se vanter de son imposante collection. Tout à coup, Mathias se dirige vers une étagère en particulier et s’intéresse :
— Vous aimez la fantasy ? C’est un genre à la mode.
Lisa l’interpelle, appuyant sur chaque dernière syllabe :
— Et donc ? Je n’aurais pas le droit de lire ça ? C’est trop « djeune » pour moi, gamin ?
Mathias ne tombe pas dans son jeu dramatique et, d’un ton neutre, admire ses ouvrages. Lisa se radoucit et suppose :
— Si je devais être un personnage de ces livres, je voudrais être une reine Elfe… malgré mes centaines d’années, je n’aurais aucune ride.
Je trouve leur discussion tendre quand la nonagénaire compare Mathias à un sage magicien. Je devine à travers cette comparaison qu’elle l'apprécie.
— Et toi Julie ? se retourne-t-elle vivement vers moi. Quel personnage incarnerais-tu ?
Je n’ai pas loisir à répondre que cet univers m’est assez étranger que Mathias riposte :
— Un dragon. Sans hésitation.
Lisa le dévisage. Même elle semble choquée par son intervention. Elle ignore que notre entente ne tient qu’à un fil. Malgré tout… me comparer à une créature si dangereuse et terrifiante est exagéré. Je bougonne que nous devons y aller, sans montrer que je suis vexée. Je fais la bise à Lisa et lui rappelle que je viendrai demain. Son téléphone sonne soudain. Accaparée par cet appel, elle nous laisse sortir sans nous raccompagner. Mathias referme la porte derrière lui, tandis que je me dirige vers la voiture. Mais il a juste avancé de trois pas que Schwartzy et ses copines foncent sur lui. Apeuré par la dominante qui déploie ses ailes et qui cacarde, il accélère le pas. Il n’a pas le temps de courir jusqu’à son véhicule que les oies sont déjà tout près de lui, excitées. S’engage alors une course-poursuite entre les volatiles et le médecin. Il tourne en rond dans la cour, les oies semblant prendre du plaisir à le harceler. Ce manège me déclenche un fou rire, tant il m’apparaît cocasse. Et puis, je tiens ma petite vengeance vis-à-vis de sa comparaison maladroite de tout à l’heure. Mathias s’approche tout à coup de moi en s’écriant :
— Vous pourriez peut-être m’aider au lieu de vous moquer.
Il a raison, même si l’envie de le voir galérer un peu me traverse l’esprit. Je m’interpose donc entre lui et Schwartzy et, calmement, j’ordonne à l’oiseau au plumage immaculé :
— Allez, ça suffit. Toi et tes copines, arrêtez de lui faire peur.
L’oie est un animal intelligent et fidèle. Quand elle me voit, elle stoppe son élan et me regarde du coin de l’œil, sa tête perchée tout au bout de son long cou. Je jurerais qu’elle me jauge, cette fripouille. Sans geste brusque, j’avance vers le groupe pour le repousser. Après un instant, Schwartzy se décide à m’écouter. Elle prend la tête de l’ensemble et finalement, les oies s’en vont en dandinant dans la partie gazonnée du jardin. Je les suis de quelques pas pour vérifier leur abandon définitif. Enfin, je me retourne et aperçois Mathias près de sa voiture, inquiet et suspicieux. Je retourne vers lui et lui certifie qu’il n’y a plus rien à craindre. Seulement, je suis à peine à quelques mètres de lui qu’une décharge électrique traverse le bas de mon dos, jusque dans la cuisse. La douleur est si intense qu’elle me surprend. Déséquilibrée, je trébuche. Je n’arrive pas à rectifier ma trajectoire et manque de tomber quand de puissants bras me retiennent. En une seconde, mon corps se retrouve blotti contre celui de Mathias, robuste.
— Hey, ça va ? laisse-t-il échapper dans un souffle.
Je balbutie un oui mécanique lorsque ma tête se redresse vers la sienne. Je voudrais enchaîner mais cette proximité soudaine coupe ma répartie. Le visage de Mathias n’est qu’à quelques centimètres du mien. Je peux en observer tous les détails. La moindre irrégularité de son rasage. La longueur de ses cils blonds. La profondeur du pigment bleu qui colore ses iris. Ses lèvres à l’aspect si charnu qu’elles me paressent subitement irrésistibles. Je m’égare sur sa bouche quelques secondes quand j’accroche à nouveau son regard. Nous ne bougeons plus tous les deux. Ses bras me soutiennent encore, même si j’ai retrouvé l’assurance de mes appuis. Au travers de nos vêtements, je ressens la chaleur qui émane de sa peau et qui m’enveloppe doucement. Je n’esquisse plus un mouvement, quand je constate qu’il est si près que son souffle rebondit sur mes joues. Cette sensation me dérange autant qu’elle me plaît. Et cette impression contradictoire s’accentue quand je réalise que j’aime le contact de mon corps contre le sien. Mathias ne me lâche pas des yeux, comme s’il décryptait mon âme, comme s’il avait le don de lire ce qui affole mon cœur désormais. Je me perds encore plus loin dans l’intensité de ses prunelles.
Ma raison s’évapore et le présent se dérobe.
Il n’y a plus ni passé, ni futur, juste ce moment si parfait, où le temps se suspend et m’engloutit.
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Mary Lev
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Il y a 6 mois
MarionH
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MarionH
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Gottesmann Pascal
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Il y a 9 mois