Fyctia
Autour d'un dîner (2/3)
Je me surprends à le trouver bel homme, quand enfin, son attention revient vers moi.
— Vous avez l’air proche avec le patron ? constate-t-il.
— Oui approuvé-je, c’est mon meilleur ami. Vous avez pu remarquer combien sa bonne humeur est communicative.
Je murmure plus bas pour éviter que Boris ne capte ma prochaine description :
— C’est une vraie pipelette. N’hésitez pas à l’interrompre quand vous êtes pressé.
Mon camarade nous rejoint justement pour servir le plat. Je dévoile toutes mes dents dans un rire espiègle, ce qui attire Boris. Il me désigne du doigt et, taquin, demande à mon invité :
— Elle dit du mal de moi, n’est-ce pas ?
Surpris, Mathias tressaute. Ses lèvres s’étirent dans un joli sourire, tandis qu’il me couvre :
— Une chose est sûre, c’est que votre amitié est touchante.
Boris me regarde et m’adresse un clin d’œil avant de nous laisser. L’attitude de Mathias m’étonne. La douceur qui se dégage de lui me sidère. Je ne le pensais pas capable de rentrer dans mon jeu, et d’exprimer une telle sympathie. Est-ce donc cet aspect-là de sa personnalité qu’il expose à ses patients et qui les fait tous craquer ? Je profite de cette conversation pour sublimer l’image de Baradoux.
— Le village est petit. Tout le monde se connaît et s’entraide. Les habitants ont une mentalité plus solidaire et soudée qu’en ville. Vous verrez, c’est une espèce de grande famille qui cohabite.
Tout en piquant sa fourchette dans le carré d’agneau qu’il a commandé, Mathias s’ébahit :
— Ne me dites pas qu’il n’y a pas de guerre de clan ? J’ai du mal à croire que personne n’entretient de griefs contre l’un ou l’autre de ses voisins.
Je ne peux renier quelques brèves querelles, simplement, rien de signifiant.
— Quand je pense à mon concierge qui se permettait d’ouvrir mes colis sous prétexte de s’assurer de ma sécurité, marmonne le docteur. Croyez-moi, à Paris, les doléances pleuvent sans aller bien loin.
Sans attendre, j’encense la bienveillance des Baradousiens et saisis l’occasion de l’interroger sur ses centres d’intérêt.
— Je pratique beaucoup le tennis, m’informe-t-il.
Ce point-là ne m’arrange pas. Nous n’avons pas de gymnase et encore moins de cours de tennis sur place. Le plus proche se situe à une vingtaine de kilomètres. Je ne sais pas s’il voit le désarroi qui s’empare de moi, mais, perspicace, il poursuit :
— Je marche aussi énormément. J’ai étudié votre dossier. Il y a pas mal de randonnées à faire dans le coin.
Je le trouve à la fois observateur et malin. Observateur d’avoir noté mon embarras à propos du tennis et malin de me suggérer indirectement qu’il a lu ce que je lui avais préparé.
— Oui, renchéris-je, en Lozère nous avons la chance de posséder une multitude de paysages différents.
Passionnée, je lui indique les plus beaux belvédères du coin, sans compter ceux un peu plus excentrés. Le Gévaudan regorge de musées en hommage à sa légende et pas seulement. Il offre aux visiteurs une plongée originale dans l’univers du bison, grâce à la réserve de Margeride. Les Cévennes, chaînes montagneuses, présentent un intérêt plus vertigineux encore. J’ai souvenir de cours d’escalade avec l’école où j’avais le souffle coupé devant des points de vue exceptionnels. À l’opposé abyssal, l’Aven Armand se pose comme un site d’exception du tourisme. Cette grotte, réputée pour sa forêt de stalagmites, immerge les touristes dans un monde lunaire, loin de tout repère terrestre. Je m’enflamme, rebondissant sur des anecdotes de tous ces lieux fantastiques au goût d’aventure. Je finis mon exposé, essoufflée. Je me rends compte de la fièvre qui m’anime. Je rougis instantanément, mon discours devient toujours exacerbé quand il s’agit de parler de ma région. Je voulais être plus subtile, et ne pas me dévoiler si surexcitée.
— Quelle énergie, souligne Mathias en hochant de la tête. On voit que vous aimez votre région.
Point de reproches ou de moqueries dans sa remarque, plutôt de l’admiration. Ce qui, étrangement, provoque davantage l’échauffement de mes joues. Je préfère lui parler honnêtement. Il doit connaître les enjeux de sa venue.
— J’aime mon terroir et mon patrimoine. C’est pour le défendre que je suis devenue maire. Et c’est pour éviter que Baradoux ne souffre du désert médical et perde sa richesse que je vous ai fait venir.
— Sa richesse ? relève-t-il curieux.
Je détourne le regard vers la salle de la brasserie où plusieurs familles dînent. Mathias comprend ainsi que je parle de la population.
— Je vois, conclut-il en se perdant dans des réflexions qu’il garde secrètes.
— Je ne veux pas me mettre la pression, insisté-je en parlant d’une voix calme. Je fais juste mon travail.
Il termine son assiette, avalant ses derniers légumes, et admet :
— Vous avez du courage. Mener de front deux emplois aussi prenants ne doit pas être de tout repos.
D’habitude, ce genre de compliments sort de la bouche de ma mère. L’entendre dans celle de ce quasi inconnu résonne plus intensément en moi, comme s’il se voulait plus légitime. Cela me scie tellement que je ne pense même pas à le remercier et, à la place, je bafouille :
— Je ne m’ennuie pas, c’est un fait.
À mon tour, je finis mon plat de pâtes carbonara, tout en spécifiant :
— Les gens méritent qu’on se batte pour eux. Comme Boris, certains commerçants survivent grâce au village. D’autres ont grandi à Baradoux et veulent finir leurs jours ici, sans craindre de mourir seuls. D’ailleurs, une de mes précieuses amies a besoin de vous.
Mathias redresse légèrement la tête pour se montrer plus attentif.
— Vendredi, je vais voir Lisa. C’est une habitante du village. Elle s’est blessée à un pied et apparemment ne cicatrise pas bien.
— J’imagine qu’elle ne peut pas venir au cabinet à cause de la douleur, suppose-t-il.
Je me gratte le front, tout en précisant :
— Elle a surtout quatre-vingt-douze ans. Même si elle se déplace d’habitude correctement, pourriez-vous lui faire ce traitement de faveur et venir avec moi vérifier que sa blessure guérit ?
— Bien sûr, approuve-t-il tout de suite.
Aussitôt après, il s’interroge malgré tout :
— Pourquoi parlez-vous de traitement de faveur ? Vous savez que j’accepte les consultations à domicile.
— Lisa n’aime pas trop les médecins. Elle a beau être ma marraine, je l’adore, seulement… ce n’est pas une patiente facile, je vous préviens. Elle a son petit caractère.
Un petit rictus s’ébauche sur ses lèvres, tandis qu’il constate :
— Vous avez de sacrés amis.
Il n’a peut-être pas tort.
Dois-je comprendre qu’à Baradoux, nous avons du tempérament ?
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Mary Lev
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MarionH
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Gottesmann Pascal
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