Fyctia
Chapitre 5 : 33 ans - 48 ans
33 ans
Albert Jacquard « Je n’ai pas à être plus fort que l’autre, j’ai à être plus fort que moi grâce à l’autre ».
Tout me tombe dessus : un bébé et les études. Juste avant de découvrir ma grossesse, je m’étais lancée dans l’inscription à l’école d’infirmière. Travaillant depuis 15 ans en service de soins, j’ai réussi le concours, auquel je ne croyais pas du tout. Alors, après le congé maternité, j’ai travaillé encore un mois en tant qu’aide-soignante. Puis, j’ai commencé la formation en première année. J’ai des bases mais le niveau scientifique est assez haut pour moi. J’ai fait un Baccalauréat professionnel Accompagnement Soins et Services à la Personne (ASSP), que je n’ai pas eu, puis l’école d’aide-soignante qui demande un niveau bac. J’ai eu une équivalence pour entrer. C’est parti, jeune maman, novice, je deviens étudiante. Comment concilier le tout ?
Émile y voit un moyen pour moi de prendre confiance en ce que je fais de mieux selon lui : prendre soin des autres. Il croit en tout ce que je fait. Ça me fait du bien. Ma mère me soutient, faisant des ménages à Ivry depuis des années, elle m’incite, aujourd’hui, à poursuivre des études pour avoir un confort qu'elle n’a pas eu.
Elle garde de temps à autre Noa. Cette relation est belle. Ma mère n’a pas eu de garçon et elle projette un peu ses envies sur lui, je ne lui en veux pas. Ça lui appartient. Il reste la chair de ma chair.
Depuis que je suis maman, j’ai peur que cet être disparaisse. La vie arrive, on pense à la mort. En lisant des informations en ligne, on prend peur. Je me relève, regarde son ventre se bomber, le touche, il est chaud, c’est bon, je peux dormir. C'est mon nouveau rituel du soir.
J’ai également peur pour Émile, c’est irrationnel, il est en pleine santé.
Ses parents viennent régulièrement nous dépanner, surtout quand je suis en stage, du matin ou de l’après-midi, on est décalés avec mon chéri. Et ils sont ravis de passer du temps avec ce "boy"comme ils l’appellent.
D’une famille modeste comme moi, on a vécu différemment mais grandit ensemble. Ses parents m’ont complètement adoptée comme si je faisais partie intégrante de leur famille. Ça me change du modèle monoparental que j’avais avec ma mère. Être deux pour tout : les galères comme les rires, le quotidien comme les vacances. L’organisation pratique avec un bébé est digne d’un caporal et de ses sous-fifres.
Noa est plutôt calme, souriant et dort correctement. Il doit se dire qu’il na pas le choix. Je révise les week-end, je relis tous les cours le soir. Je suis fatiguée mais j’aime la plupart des cours et TD dispensés.
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48 ans
10 ans déjà, la robe blanche, les festivités en toute simplicité, ses mots pour moi remplis d’amour inconditionnel. Quel homme.
Je tourne les pages de l’album photo. Mes larmes coulent toutes seules en voyant la bouille de mon fiston. Ses dents se disaient merde, ce qui faisait tout son charme. Sa joie jaillissait à l’époque. Ma mère était belle, en bleu, avec son étole turquoise, ses yeux pétillaient devant la photographe.
Nous avions réunis nos proches, dans un moment intime. Dans un jardin avec des camions-bars distribuant tour à tour Crémant de Bourgogne, Crème de Cassis, bière artisanale, repas et desserts. Ces jours d’été avaient un goût de royal dans mon cœur et au creux de mon âme.
La musique avait rythmé nos pas toute la nuit. Au petit matin, assis au bord d’un lac, on s’est baignés tout habillés, en tant que « jeunes » mariés, je n’ai jamais autant ri qu’en sortant ! Cheveux à peine décoiffés, gel oblige pour cette occasion, robe dégueulassée par la vase du lac, le sourire aux lèvres, j’ai embrassé mon mari.
Une larme coule et je repense à cette phrase de Simone de Beauvoir « Dans toutes les larmes s’attarde un espoir ». Merci Simone, de tes paroles remplies de sagesse. RIP.
Nous avons passé notre lune de miel dans une région qui nous est chère : la Drôme.
Vallonnée, pleine de soleil, nous restions en terrasse avec un livre. Des repas méridionaux servis, un bon verre de vin nous contentaient largement. Noa était chez ma mère pour le séjour. Un peu de répit à deux restait agréable, surtout quand on s’aime.
Retour à la réalité. Noa a 16 ans. Je passe des « vacances » à Paris.
C’est quoi cette manière de dormir tout le temps. D’être fatigué H24 ? Chaque mouvement donne l’impression de gravir l’Everest à chaque seconde. S’étirer est fatiguant, marcher l’est et dormir aussi….
Passer son temps reclus dans sa chambre, avec son casque sur les oreilles, lisant de temps à autres des œuvres classiques ou des mangas complètement déjantés.
Il va finir par s’incruster dans le matelas à ce rythme là.
Je crois qu’aérer sa chambre ne lui vient pas à l’esprit que cela pourrait aérer son cerveau en pleine mutation. Il préfère rester dans son gloubi-boulga de réflexions (stériles ?) auto-centrées. Ses amis sont à son image, dark, avec une nonchalance extrême. Un petit bonjour en arrivant, « Noa est là ? ». « Oui, dans sa chambre », en même temps, où le trouver d’autre ? À part le lycée, il n’a pas l’air de sortir.
Je reste plantée là, comme une débile avec mon gâteau , comme s’il avait 6 ans et qu’un copain passait. Je le mange, en entier. Pas de bras, pas de chocolat. Et ils ne me tendent pas la main.
Il est bon. Pas trop pour mon fessier mais pour mes papilles, oui !
Je ne sais même pas ce qu’ils se disent, ils sont peut-être chacun sur leurs téléphones. Ils sont bien à deux mais seuls dans leur monde ?
Adolescence : quelle est cette période exactement ?
Bien sûr, je l’ai été. On partait, en groupe, fumer des clopes dans la forêt. On rigolait en mangeant des biscuits. Nos parents ne captaient rien. Enfin, ma mère, toujours au boulot rentrait quand j’étais déjà douchée, plus aucune trace donc.
Les soirées consistaient à boire le plus possible (l’abus d’alcool est dangereux pour la santé, je vous le rappelle, maintenant que je suis maman, je peux comprendre…), pour finir par vomir. S’endormir dedans, être réveillée par ses copines pour rentrer et pas se faire attraper par les
« vieux ».
Au final, je préfère qu’il reste dans sa chambre.
Aujourd’hui, il me parle de « sa go », je suis « la daronne » et ils sont tous « ses frères ». Bon, au moins il en aura eu quelques uns….
Dans la voiture, pour aller au cinéma, Noa et deux de ses copains partent dans un débat sur un groupe de k-pop super connu. « Nan mais t’as vu le tatouage qu’il a, trop stylé !! Et lui, t’as vu son chat, so cute. » Déjà ils ne parlent pas français, je comprends un mot sur deux (stan, ship et j'en passe).
OK, j’ai été fan de boys band dans ma jeunesse. J’écoutais en boucle leur deux titres. Je lisais OK Podium et j’affichais les posters sur les murs de ma chambre. J’avoue.
Les adolescent(e)s se ressemblent au final…
8 commentaires
Le Mas de Gaïa
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Il y a 10 mois
Maria Karera
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Il y a 10 mois
Le Mas de Gaïa
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Il y a 10 mois