François Avisse Delirium Delirium 18 & 19

Delirium 18 & 19

18


Liam serpente entre les nains de jardin disséminés sur la pelouse des Williams. Il arrive face au pignon ouest de la maison. Le mur ne contient qu’une seule et minuscule ouverture, un trou d’aération pas plus grand qu’une demi-feuille A4, donnant sur les toilettes où monsieur Williams a été trouvé mort.

Liam fait demi-tour et regarde en face de lui les gros arbres qui bordent une ruelle. Il s’y dirige et grimpe facilement sur l’un d’eux. Il s’assoit entre deux grosses branches. C’est l’endroit idéal pour observer tranquillement la lucarne des toilettes des Williams sans être vu. Il voit alors, près de lui, des petits papiers dépasser d’un trou dans l’arbre. Il les prend, les déplie. Ce sont des papiers de bonbon.

Il les glisse dans sa poche en se disant, préoccupé :

- Trop facile…


19


QUATRIÈME ET DERNIÈRE LETTRE


6h29 : Luther Spiegel ouvre les yeux. Il est dans son salon, assis sur son rocking-chair. Sur l’écran de télévision, trois magnifiques jeunes femmes font des exercices de stretching acrobatique ne paraissant pas le moins du monde essoufflées.

- Merde, grommelle-t-il. J’me suis endormi…

D’un rapide mouvement, il vérifie si ses armes sont toujours là : le fusil est posé sur ses cuisses et la machette est à portée de main sur la table basse.

- T’es pas venu finalement, sourit-il.

Il caresse la crosse de son fusil et ajoute :

- J’crois que t’as bien fait…

Luther se lève pour se dégourdir les jambes. Il jette un rapide coup d’œil dans le miroir de l’entrée et pousse un petit cri d’effroi. Il est en pyjama ! Il s’approche du miroir pour vérifier que ses yeux ne lui jouent pas un mauvais tour. Non, il est bien en pyjama ! Il fronce les sourcils :

- Mais qu’est-ce qui se passe ici ? J’étais en survêtement quand je me suis endormi... Je suis somnambule ou quoi ?

Il monte rapidement à l’étage et ouvre la porte de sa chambre. Son survêtement est sur son lit impeccablement plié.

- C’est impossible, chuchote l’ancien militaire en blêmissant. J’ai toujours eu un sommeil très léger. Un chuchotement me réveille. Alors qu’un petit connard vienne chez moi, me déshabille pour me mettre en pyjama sans que je me réveille, c’est tout bonnement impossible !

Il se précipite à l’extérieur et court, toujours en pyjama, vers sa boîte aux lettres. Il l’inspecte pour s’assurer qu’il n’y a pas de morceaux de verre. Non, cette fois, il n’y a que deux lettres : une publicité et une nouvelle lettre à l’écriture malhabile. Luther l’ouvre fiévreusement en manquant de la déchirer en deux et lit : « C’est pas bon pour la santé de dormir tout habillé… ». L’ancien militaire retourne la feuille et lit cette petite phrase qui lui glace le sang : « Cette nuit, je vais venir te tuer… »

- Tu crois ça ? maugrée Luther en tentant de reprendre confiance. La nuit dernière, je ne m’étais pas bien préparé. Mais là, j’te jure que tu vas avoir une sacrée surprise !

Il se précipite dans sa maison, ne prend pas le temps de se laver, enfile son survêtement en dix secondes. Il vérifie que le revolver est toujours dans sa poche et qu’il est bien chargé. Ensuite, il entre dans la cuisine pour se faire un méga sandwich et là, il se fige à nouveau. À première vue, il semble que tous les verres ont été cassés sur le sol. Mais à mieux y regarder, c’est tout ce qui est en verre dans la cuisine qui est brisé : les verres, les bouteilles, les plats, la vitre du four… Chaque morceau a été empilé au milieu de la pièce.

- Mais t’es un vrai malade, toi…

Puis, après une courte réflexion, il ajoute :

- Attends… Quand tu as cassé tout ça, tu as dû faire un boucan de tous les diables. Et ça m’aurait pas réveillé ! C’est impossible ! Il n’y a qu’une explication : j’suis devenu un putain de schizo ! J’ai une double personnalité. C’est mon autre moi qui a fait tout ça sans que mon vrai moi s’en rende compte ! Putain ! Ça fait trop longtemps que je vis seul, ça me tape sur le système. Déjà que je parle tout seul…

Tout en se préparant machinalement un sandwich, Luther réfléchit tout haut :

- Non… je ne peux pas être devenu fou, comme ça, d’un coup. Il y a sûrement quelqu’un derrière tout ça. Quelqu’un d’autre que moi. Si au moins je connaissais une personne qui habite près d’ici, une personne qui pourrait surveiller le salon pendant la nuit si je m’endors. Mais il n’y a personne à moins de dix kilomètres alentours. Et puis, je ne vais pas demander de l’aide. Ça, sûrement pas ! Je vais me sortir de cette sale histoire tout seul ! Comme d’habitude !

Son sandwich terminé, il prend une grande bouteille d’eau en plastique et se dirige vers le salon. C’est en regardant son reflet dans le miroir de l’entrée que lui vient une idée. Il fouille dans les tiroirs de la commode du salon et trouve rapidement ce qu’il cherche : une caméra vidéo. Il fait alors le tour de la pièce pour trouver le meilleur angle de vue, pose le caméscope sur le haut de l’armoire, l’oriente pour que la totalité de la pièce soit cadrée et place ensuite son rocking-chair au centre du salon.

- Le décor est prêt ! À 22 heures, je mets le caméscope en route pour l’entrée des comédiens.

Il s’assoit sur le rocking-chair, remet ses armes sur ses cuisses et allume la télé.




***


21h59 : Luther regarde la trotteuse de sa montre s’approcher du 12. Il se lève, allume toutes les lumières du salon et met en marche la caméra.

- Moteur ! Ça tourne !

Il prend sa bouteille de whisky dans l’armoire en boit une bonne lampée et va s’asseoir sur son rocking-chair.

22h30 : Luther commence à bailler. Il secoue la tête, se frotte les yeux, se lève, fait quelques pas dans le salon et fait un petit coucou en passant devant la caméra.

- Non, cette fois-ci, je ne m’endormirai pas…

Il retourne s’asseoir sur son rocking-chair.

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