Fyctia
Chapitre 17 : Doute (2/2)
Dimanche matin. Elle n’avait que peu dormi. Se réveillant un nombre incalculable de fois, elle avait fini, vers quatre heures du matin, par abandonner tout espoir de voir le sommeil s’ouvrir à elle. Machinalement, elle avait attrapé son téléphone et fait défiler des vidéos. Drôles, tristes, inventives, tristes, étonnantes, tristes… L’algorithme semblait être le reflet de son état d’esprit.
Elle ne voyait pas le temps passer. Ce n’est que lorsque Martha entra pour vérifier ses bandages compressifs qu’elle réalisa qu’elle y avait passé des heures, hypnotisée par ces contenus. Une fois les pansements changés et la chaussette de contention remise en place, l’infirmière quitta la chambre et Yarah se prépara immédiatement à descendre au restaurant. Après son jeun de la veille, elle avait l’impression que son estomac était sur le point de s’engager dans une véritable mutinerie. Yarah le sentait : ce combat, elle ne le gagnerait pas.
Cependant, elle ne prit qu’un café au lait et un petit pain tiède. Son moral lui semblait au plus bas, plombant son appétit, et même ce petit échantillon de pâte à tartiner ne put lui réchauffer le cœur. Elle mangeait par automatisme. Simplement pour apporter quelques nutriments à son corps en demande.
Les événements de la veille tournaient en une boucle sans fin et elle savait qu’elle ne pourrait éviter indéfiniment Marc. Mais dès que son visage s’imposait à elle, sa gorge se nouait d’émotions. Les paroles de sa femme résonnaient toujours en elle comme une vérité qu’elle avait sous les yeux.
Mais elle ne voulait pas se laisser aller. Elle voulait remonter la pente, lutter contre cette faiblesse qui poignardait son esprit et y enfonçait une lame de doute et de honte.
Elle posa son plateau sur les étagères de l’échelle métallique et quitta le réfectoire. En traversant le hall d’accueil, son regard se perdit sur la contemplation du paysage morose derrière les baies vitrées. Une légère touche de bleu, porteuse d’espoir, semblait se démarquer dans la masse grisâtre des nuages lourds.
Son portable vibra et, après lecture du message, un sourire fatigué se dessina sur son visage.
“Bonjour, je suppose que l’infirmière t’a réveillée aussi. Passe une bonne journée.”
Elle soupira et s’affaissa dans son fauteuil en fixant les dalles du plafond. Sa main tira davantage sa capuche sur son front. Elle était perdue. D’un côté, elle ressentait le besoin de se cacher dans son antre à l’abri des regards qui la jugeaient, de se protéger. De l’autre, sans vraiment en deviner l’origine, l’envie irrépressible de courir, ou plutôt de rouler, jusqu’à la chambre de Marc, comme un appel tentateur.
Elle se redressa après un sursaut de volonté. Sans plus réfléchir, elle se dirigea vers la porte de l’ascenseur et appuya sur le numéro d’étage. Son pied valide tapait frénétiquement sur son support tandis que l’appareil descendait lentement. Trop lentement. Elle était déterminée à voir Marc, bien qu’elle soit face à une page blanche quand elle pensait à ce qu’elle pourrait lui dire. Mais elle avait confiance. Ses mots lui reviendraient quand elle le verrait. C’était une certitude.
L’étage était vide, calme, seulement entrecoupé de quelques gloussements provenant de la salle de pause des infirmières. Le dimanche matin, peu de patients sortaient aussi tôt qu’elle de leur chambre. Elle s’était levée à l’heure des poules, mais au moins, elle n’avait pas croisé grand-monde.
Elle s’arrêta devant la porte de la chambre de Marc, le cœur plein de courage. Mais, à mesure que sa main se levait pour frapper, elle se mit à trembler d’une angoisse irrationnelle. Hier encore, elle était là, dans la même position et elle l’entendait. Sa voix était claire, cristalline mais suintait un venin qui avait empoisonné le cœur de la jeune femme et le rongeait doucement.
Inspirer. Expirer. Elle respira lentement, en contrôle. Un frisson courut sur sa peau, faisant dresser les poils de ses avant-bras. Elle ferma les yeux, comme si ce simple geste pouvait lui donner du courage et frappa doucement. Son cœur battait à tout rompre. Elle ne savait toujours pas ce qu’elle lui dirait une fois face à lui.
— Entrez.
Elle appuya sur la clenche. Tandis que la porte s’ouvrait, sa bouche s’asséchait et elle entendit un bruissement de couverture. Rapidement, elle entra et referma après elle.
— Yarah ? appela-t-il, étonné, sans même l’avoir encore vu.
Elle se mordit la joue et s’avança, le vrombissement du moteur électrique remplissant la pièce terriblement silencieuse.
— Salut, dit-elle timidement.
— Salut, répondit-il par automatisme.
Il s’était assis sur le bord de son lit, sa jambe valide couverte d’un pyjama aux motifs écossais tandis que l’autre, absente, voyait le tissu coincé sous lui. Il lui adressa un regard étonné, et elle devina que lui non plus, ne savait pas quoi dire.
Elle nota ensuite le reste. Et les mots se tarirent dans sa bouche tandis que ses joues en feu trahirent son choc. Elle ne s’y attendait pas. Lui non plus, au vu de ses yeux ronds. Ceux de la jeune femme, eux, se posèrent sur le torse nu de l’homme.
Malgré la maigreur causée par une privation et sa dépression, elle voyait très bien la ligne de ses muscles sous un léger duvet de poils gris. Yarah avait supposé qu’il était athlétique, mais d’un coup, ses pensées divaguèrent et elle imagina ce que quelques kilos de plus pourraient faire à sa silhouette.
— Yarah ? Tout va bien ? questionna-t-il avec une voix douce.
— Ah ! Euh ! Oui ! Je… Euh… oui, tout va bien. Pardon, bégaya-t-elle.
Les joues empourprées, elle sembla soudain très intéressée par le simili cuir de l’accoudoir de son fauteuil. Honteuse de l’avoir ainsi reluqué sans aucune discrétion, son seul désir, à ce moment précis : revenir en arrière et changer le cours des choses. Quoique…
Elle bougea son fauteuil vers la fenêtre, offrant un peu d’intimité à Marc pour qu’il enfile un t-shirt. Poussée par le besoin d’avoir de nouvelles images en tête, elle se leva en s’aidant du rebord de la fenêtre et regarda le paysage en contrebas. Le parking sur la gauche, la plage de sable où des algues brunes s’échouaient par paquet. Et dans le reflet, le dos de l’homme.
Elle devait faire s’échapper ces images, ces idées. D’un autre côté… Cela avait permis de mettre de côté, un instant, ses angoisses. Non. Elle devait calmer ses ardeurs qui venaient de nulle part. Mais elle voulait lui prendre la main, entrelacer leurs doigts, toucher son avant-bras, peut-être même…
Non ! Elle déglutit et concentra ses pensées sur ce goéland qui semblait chercher querelle à un autre. Oui, c’était sur ça qu’elle devait focaliser son esprit. Pas sur cet homme dont le rire faisait battre son cœur et lui donnait des bouffées de chaleur.
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