Fyctia
Chapitre 8 : Commencer (1/2)
Depuis une semaine, il était là. Physiquement seulement ; son esprit était emmuré dans une cage opaque, hermétique à toute forme de guérison. Les jours se suivaient, identiques. Il était réveillé à sept heure par des infirmières dont il ne connaissait ni les noms ni les visages. Elles se succédaient et il ne faisait pas le moindre effort pour les reconnaître. Et n’avait pas même le courage de s’y forcer.
— Monsieur Langlait ?
Il releva la tête. Il n’avait pas écouté la femme qui semblait lui parler depuis déjà un moment. Mais elle n’en prenait pas ombrage, lui souriant tout simplement.
— Pardon… Vous disiez ?
— Vous n’avez pas touché à votre petit déjeuner. Est-ce que quelque chose n’allait pas ? Ou vous ne vous sentez pas bien ? s’inquiéta-t-elle.
Son cœur se serra un instant en voyant le plateau. Se sentant rempli d’un profond sentiment de culpabilité face à cette femme qui faisait de son mieux pour lui apporter soutien et bienveillance tandis qu’il était incapable d’accepter cette aide, fermé à toutes formes d’aides qu’il était. Et quand bien même il désirait ardemment s’en sortir, le tourbillon de sentiments de déception, de tristesse, de culpabilité n’en finissait jamais.
— Je n’avais pas faim, je suis désolé… s’excusa-t-il.
— Ne soyez pas désolé. Ce sont des choses qui arrivent. Je vais vous emmener voir l’orthoprothésiste, vous êtes prêt ?
Il regarda une dernière fois son petit-déjeuner intact. Il n’avait même pas touché à son café…
— Oui, je suis prêt, dit-il dans un soupir.
La femme l’aida en le soutenant afin qu’il puisse passer de son lit à son fauteuil et l’emmena vers le deuxième étage. Ils patientèrent devant l’ascenseur et, tandis qu’il se perdait dans ses pensées vides de tout, une autre infirmière les rejoignit et discuta avec sa collègue. Il n’accordait aucune importance à leur conversation mais des bribes d’informations lui parvenaient tout de même.
Elles parlaient de l’attentat. Ces nombreuses victimes, ces familles déchirées, ces orphelins et ce corps qui avait été retrouvé en piteux état, appartenant vraisemblablement au kamikaze.
Il baissa les yeux. Un homme. Il n’avait suffit que d’un homme pour détruire la vie de centaines de personnes. Pour détruire sa vie.
Sans même y prêter attention, perdu dans la contemplation passive du défilé des couloirs, il se retrouva dans la salle d’attente du prothésiste. Vide. Seul. Silencieux.
Une femme entra dans la pièce où il attendait, un masque bleu sur le visage, des lunettes en plastiques posées sur son crâne où des cheveux étaient attachés en un chignon serré mais désordonné. Elle baissa son masque et son visage souriant, cherchant peut-être à le rassurer et lui transmettre un peu d’espoir.
— Monsieur Langlait ? On va pouvoir y aller.
Même sa voix était douce et chaleureuse. Elle s’approcha de lui et poussa le fauteuil. Peut-être espérait-elle qu’il entre de lui-même dans l’atelier ? Il se fichait bien d’avancer, de marcher à nouveau…
La pièce, scindée en deux espaces distincts, présentait dans l’entrée un petit bureau et des étagères remplies d’années de dossiers médicaux et de livres empilés les uns sur les autres. Derrière une verrière moderne de métal noir et aux vitres immaculées, une vaste pièce servait d’atelier où de nombreuses machines et des stocks de plastique et ustensiles que Marc ne connaissait pas.
La femme s’installa à son bureau et en sortit un dossier sur lequel était indiqué le nom de Marc ainsi qu’une étiquette avec un code-barre et son numéro d’identification. Elle en sortit un formulaire vierge et prit un stylo dans un pot décoré de stickers colorés.
— Alors, alors…on est le dix janvier… Marc Langlait, c’est bien ça ?
— Oui, répondit-il machinalement.
— Votre date de naissance ?
— Le treize février dix neuf cents quatre-vingt-trois.
— Très bien… marmonna-t-elle en cochant des cases dans un tableau. Allez, on va regarder votre jambe, maintenant.
Elle se leva et replaça son masque sur son nez et emmena Marc dans l’arrière pièce lumineuse. Accroché sur le mur se trouvait des exemples de prothèses : jambe entière, pied, main, bras, doigt… Il y avait là tout un florilège de possibilités de fabrication. Non loin, sur le même mur, se trouvait un tableau de liège où étaient fixées des photos de patients posant avec leur membre artificiel.
Il détourna le regard, agacé sans en savoir la raison et laissa la femme, installée sur un tabouret à roulette, s’occuper de relever le plaid.
— Je vais juste vous demander de retirer votre jambe du pantalon, s’il vous plaît, demanda-t-elle gentiment en préparant un chariot sur lequel elle déposa du film alimentaire des bandes de plâtre, une bassine d’eau et autres plastiques et tissus.
Il s’exécuta avec maladresse, retirant ainsi ce qu’il restait de sa jambe et présenta le morceau de cuisse amputé dont il ne pouvait détacher le regard. Tout en tirant sa desserte, elle roula jusqu’à Marc avant de commencer à analyser le moignon de ses mains expertes.
— C’est parfait. La peau est bien élastique, la cicatrice est propre, pas de signes d'inflammations. Votre chirurgien a fait un excellent travail.
Elle releva la tête vers Marc et eut un sourire compatissant.
— Je sais que c’est difficile, mais vous allez pouvoir remarcher. On va tout faire pour, d’accord ? Aujourd’hui, je vais faire le moulage de votre cuisse pour ensuite préparer votre prothèse.
Il ferma les yeux et regarda par la fenêtre, le cœur lourd.
— Je pourrais à nouveau faire de la randonnée ? Aller en pleine mer ? Faire de l’escalade ? questionna-t-il d’un ton plus acide qu’il ne le voulait.
— Avec de l’entrainement, il est tout à fait possible de reprendre le sport. Évidemment, cela nécessite davantage d’adaptation. Mais c’est aussi notre travail, ici, que de vous accompagner. Beaucoup de nos anciens patients sont aussi de grands sportifs !
Il eut un rictus presque amusé, peu convaincu par les propos de la spécialiste. Tandis qu’elle détaillait les différentes étapes du moulage, elle massa le moignon en étalant une crème sur la peau jusqu’à ce qu’elle pénètre bien avant d’y enrouler précautionneusement le film alimentaire. Elle ajouta ensuite une couche de tissu et la recouvrit d’une chaussette en plastique qu’elle ajusta avec précision.
Il observa chaque geste et la prothésiste remarqua son intérêt, signe encourageant au vu des informations inscrites dans le dossier médical de l’homme. Elle bougeait la tête au rythme de la musique en fond sonore tandis qu’elle posait les bandes de plâtre, les trempant dans l’eau avant de les appliquer en appuyant sur le moignon. Marc pouvait voir l’habitude dans chacun de ses gestes. Il observait ainsi son futur se préparer sans qu’il n’en soit l’acteur et étrangement, il en était indifférent. il laissait simplement les gens faire leur travail.
Il regarda le ciel au loin, gris et maussade, et se détacha du moment présent, devenant un simple observateur. Il ferma les yeux sur ce qu’était sa vie actuelle.
5 commentaires
Alexandra ROCH
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Il y a 4 mois