Fyctia
Chapitre 12. - 1
Je me souvenais de tout. Lorsque, chaque matin, maman venait me réveiller en me couvrant de baisers, avant de rire gentiment en remarquant que je serrais un petit livre entre mes bras blanchâtres. Ou alors, quand papa faisait valdinguer les cordes de sa guitare et les entraînait dans une mélodie semblable à un jeune oiseau qui prenait son envol pour la première fois. J'accordais alors ma voix aux douces berceuses de la musique, et nous nous exprimions en toute tendresse, soutenus par les piliers de l'art. J'y introduisais mes rêves jamais révélés, parce que j'avais l'impression qu'en les chantant, ils étaient guidés par des notes soyeuses et devenaient de plus en plus réels, à tel point que je pouvais même les sentir palpiter sous ma peau, comme s'ils mourraient d'envie de fusionner avec le monde, tout en m'aidant à avancer droit devant moi, sans un seul coup d'œil en arrière.
Pourtant, ces souhaits qui hantaient mon subconscient à cette période-là n'avaient jamais éclos, au contraire. Plus je grandissais, plus ils devenaient moins distincts et se cloîtraient dans mon esprit en se recouvrant de couches de poussières pour cesser de briller comme de somptueuses étoiles dans la nuit. Et, quand je les voyais, ils ne ressemblaient plus qu'à des enchevêtrements de suie et d'escarbilles. Alors, je regardais derrière moi et voulais repartir de zéro, retourner à la case départ et prier les cieux qu'ils ne m'arrachent pas à mes parents.
Des petites perles cristallines roulèrent sur mes joues creuses et je frôlai un meuble avec mes doigts, par crainte de le réduire en poussière et, de ce fait, laisser mes souvenirs disparaître avec lui. Sur le bois d'acajou resplendissait un cadre aux entrelacements de feuilles gravés sur les côtés, soulignant avec perfection les sourires sincères qui luisaient à travers l'image. Mes yeux s'embuèrent une seconde fois. Mon père, un bel homme à la peau bronzée et aux yeux noisette, avec des cheveux fins ébène, serrait dans ses bras musclés une fillette à la tignasse rassemblant des rayons de soleil et de la poussière d'étoiles, qui s'accrochait tendrement au cou de ma mère, dont ses courtes mèches légères se perdaient dans le gré du vent.
Soudain, une sonnerie de téléphone retentit. Je pivotai lentement vers l'origine du son, et me figeai face au portable qui vibrait contre le tissu épais du canapé. Cette scène me rappelait beaucoup trop un traumatisme niché à jamais à travers mes pupilles habillées de chagrin. Je m'approchai d'un air hésitant vers le téléphone et décrochai en tremblant de tous mes membres.
- Ou...oui ? marmonnai-je en retenant mon souffle.
Une voix masculine me salua brièvement, et mon cœur remonta dans ma gorge. Le téléphone m'échappa des mains, et je me sentis rougir sous le manque de respiration. L'homme qui m'avait appelée répéta mon nom à plusieurs reprises, attendant désespérément une réponse. Mais j'étais incapable de produire le moindre son, si infime était-il.
Autour de moi, les murs de la maison se déformèrent et, petit-à-petit, formèrent deux silhouettes floues, étalées devant mes pieds. Un cri strident sortit de ma gorge, et je crus pendant une seconde avoir recraché mon cœur.
- Papa..., bafouillai-je en tenant difficilement sur mes deux jambes.
Comme par automatisme, ma main se retrouva sur la sienne, et je la serrai comme si ma vie en dépendait. Ses doigts, habituellement bouillants, étaient aussi glacials que le givre. Je constatai cela en hurlant à nouveau, le choc remontant dans ma poitrine comme un venin mortel s'attaquant à mes poumons, les gratouillant avec des longs ongles et y creusant des trous qui s'élargissaient turpidement, se remplissant alors d'ombres malsaines et tortionnaires.
De mon unique main libre, j'attrapai celles de ma mère en frissonnant à son contact, encore plus inhumain que celui de papa. Je m'allongeai à leurs côtés sans les lâcher, m'agrippant à eux comme une petite fille sans défense.
Un liquide écarlate qui dessinait des arabesques maladroites autour des corps sans vie teintèrent ma jupe fade d'une couleur écœurante, et je fermai les paupières, à la recherche d'une magie qui serait capable de leur redonner la possibilité de respirer, de bouger et de parler. J'étais prête à les entendre me complimenter, me susurrer des mots doux et même à s'énerver à cause de mes bêtises d'enfants qui découvraient la vie.
- Faites que ce ne soit qu'un cauchemar, faites que ce ne soit qu'un cauchemar, s'il vous plaît...
Quand j'ouvris les paupières, Mme Hynne me désarma avec ses iris ensorcelées, détailla mon âme et la retira de mes pensées pour la remodeler en y ajoutant de la peur et du pessimisme. Elle me la redonna, et je vis en elle la créature la plus dangereuse et horripilante qui n'avait jamais existé. Par réflexe, je reculai et remarquai avec effroi que j'étais dans une cage.
- Tu croyais vraiment pouvoir t'échapper..., siffla-t-elle entre ses dents blanches.
Je m'accrochai aux barreaux et les frappai de toutes mes forces, cherchant à les briser. Puis la main de la directrice me tira les cheveux, et je criai de douleur, avant de remarquer que ces derniers étaient anormalement longs. J'essayai d'échapper à son emprise, sauf qu'il était trop tard, bien trop tard ; des chaînes brûlantes cliquetèrent entre elles et s'enroulèrent autour de mes membres, me recouvrant alors des pieds au cou. La brûlure qu'elles me provoquèrent me força à me mordre les lèvres de souffrance, et Mme Hynne sortit de nul part une paire de ciseau. Ses mains trouvèrent à nouveau mes mèches blondes et les taillèrent au-dessus de mes épaules.
Apparut alors Eros, de l'autre côté de la grille. Mes yeux s'écarquillèrent et je criai son nom désespérément. Mais il ne sembla pas m'entendre, et se contenta de caresser son épée avec douceur, ce qui m'étonna.
- Tu es plus jolie avec un carré, me chuchota Mme Hynne en rangeant son ciseau.
Les liens se resserrèrent autour de mon corps fragile comme du verre et j'appelai à plusieurs reprises le jeune homme qui se tenait là, à seulement quelques mètres de moi. Puis, un flash imaginaire m'aveugla et je me rendis compte que tout ceci n'était qu'une simple illusion.
Oui, une simple illusion prenant l'apparence d'un "danger causé par nos propres pensées, nos propres cauchemars, nos propres...traumatismes". Et je pouvais m'en sortir, me dépêtrer de ces liasses de songes qui m'étouffaient et me retenaient dans un monde cauchemardesque. Je n'avais pas le choix, de toute manière.
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Oswine
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Il y a 9 mois
Jessica Goudy
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Nina Sanchez
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Sarah Pegurie
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Jehan Calu de Autegaure
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Damona
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