Fyctia
2.2 - Isaac
Bla-bla-bla. Encore des menaces à la con. J’ai l’habitude, c’est comme ça depuis quatre ans maintenant. Parce qu’il est flic, il croit qu’il a tous les droits. Je sais qu’il m’aime beaucoup, alors jamais il ne dénoncera ce qui m’a payé ma maison, mes voitures et j’en passe. Les bagarres illégales.
Je m'assois sur mon îlot central de cuisine, avec un bol de céréales. Je m’engouffre d’une grosse cuillère quand mes pensées virevoltent.
Je n’ai jamais connu ma mère autrement que sur des photos. Une jolie tignasse brune à n’en plus finir. Des yeux d’un bleu tellement éclatant, que quand je les fixe, je pourrais y voir la mer. Elle est morte à cause de moi. Quand je suis né, elle a fait une hémorragie, a perdu des litres et des litres de sang et son cœur a cessé de battre. Mon père m’en a voulu pendant des années entières. Pendant presque toute ma vie. Quand j’étais tout gamin, je ne comprenais pas pourquoi mon papa ne m’aimait pas. Pourquoi il ne m’emmenait jamais au fast-food. Pourquoi dès l’âge de 7 ans, je devais aller à l’école tout seul, alors que je voyais tous les parents de mes copains les accompagner avec tellement d’embrassades. Je crois que mon père ne m’a jamais embrassé, ni même câliner.
Quand j’ai commencé à comprendre les choses, vers l’âge de 11 ans, il me faisait culpabiliser sur la mort de maman. Il disait qu’elle aurait été encore en vie si je n’étais pas là. Il m’a même dit, une phrase, dont je me rappellerais toute ma vie : “ C’est toi qui aurais dû être mort, pas ma femme”. Il n’employait jamais le terme “maman”, pour lui ce n’était pas ma mère, mais juste sa femme, qui était morte à cause de moi. Il ne m’a jamais appelé “mon fils”. Il ne venait jamais à mes entraînements de boxe, j’ai même dû m’inscrire moi-même. Il ne me faisait plus jamais manger. Il n’était plus à la maison. Il était dans des bars, à se bourrer la gueule du matin au soir. Et je ne vous raconte pas ce qui se passait quand il rentrait…
C’est Borris qui s'occupait de moi, quand il avait le temps. C’est avec lui que j’ai mangé mon premier fast-food. C’est lui qui venait voir mes entraînements de boxe. Il a toujours été là pour moi. Mais il m’a abandonné, quand j'ai eu 18 ans. Je ne sais toujours pas pour quelle raison il a disparu de ma vie du jour au lendemain, sans aucune nouvelle. Il ne m’a plus jamais emmené manger de fast-food et ne venait plus me voir faire de la boxe. J’ai dû me démerder tout seul pour payer le loyer que mon père ne payait plus. Mon permis, ma voiture et j’en passe… C’est là que tout a commencé à partir en vrille dans ma vie. Mon père était de plus en plus à la maison - toujours bourré - et me faisait vivre un enfer.
C’est là que j’ai fait la connaissance de Yorrick. Un mec avec qui j’ai passé une heure de colle. On ne se connaissait pas, mais on avait une vie merdique tous les deux. C’est ce qui nous a rapprochés. C’est lui qui m’a montré comment me faire de la thune. C’est là qu’on commençait les bagarres. J’ai fait de la boxe pendant plus de dix ans, alors j’avais un avantage. Je savais que ce n’était pas la solution. Que là-haut, j’avais une maman qui m’aimait et qui veillait sur moi. Mais que j’avais tué. Alors quand je me suis ramassé 1 000 € pour une seule et unique bagarre, avec laquelle j’étais revenu avec seulement quelques égratignures, l'argent m’est monté à la tête. J’ai enchaîné baston après baston et j’ai commencé à monter mon propre ring illégal, que j’appelle La Grange.
Mon père est mort quand j'avais 21 ans. Le soulagement que j’ai ressenti était comme un souffle que je retenais depuis ma naissance. La boule dans mon ventre avait disparu. Je ne rentrais plus avec de la peur à la maison. Je ne m’enfuyais plus. Je dormais dans un lit, au chaud, avec autant de bouffe que je voulais. Mon père était la seule raison à tout ça. J’avais mon chez moi, seul, sans le monstre.
J’ai tout de même été à son enterrement, en prenant bien garde à l’enterrer avec une bouteille de scotch et en lui montrant mon plus beau majeur. Quelques personnes étaient choquées. Pour le peu qu’il y avait, j’en avais rien à foutre. Il ne savait pas la pouriture que c'était.
Depuis sa mort, Borris essaie de se faire pardonner de m’avoir laissé vivre un enfer avec ce monstre. Il vient souvent toquer à la porte, j’ouvre une fois sur dix. Quelques fois, il m'apporte des courses, d'autrefois, il vient juste avec sa gueule d’ange. Puis la plupart du temps, il vient pour m’aider à me sortir de la galère dans laquelle je suis. Mon seul travail, ce sont mes bagarres. Je ne fais quasiment rien de mes journées. Je suis tombé en dépression. Je ne montre rien devant mes potes, même Yorrick qui est devenu mon meilleur ami ne l’a pas remarqué. Mais Borris… il a été comme un père pendant quelques années de ma vie. Alors il a compris. Depuis, il s'obstine à me trouver un travail. J’avais un rendez-vous ce matin. Je n’avais pas oublié. C’est vrai que c’était une bonne opportunité. Mais je ne veux juste pas lui faire ce plaisir. Ce plaisir de m’aider, alors qu’à cause de lui, j’ai vécu un putain d’enfer pendant des années.
Un enfer duquel il aurait pu me sortir.
Les mois passent, la routine est la même. Borris me force toujours avec ce taff à la con que je compte finalement peut-être accepter, juste parce que je m’ennuie.
Nous sommes en juin, et je compte bien partir en vacances avant de trouver quoi que ce soit comme travail.
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