Fyctia
Chapitre 60 (1) Léa
Je rejoins à pas feutrés le rez-de-chaussée. Les cris se sont tus.
Mon pied glisse dans une flaque de sang. Un regard vers la droite : Roxane est allongée dans le couloir.
Encore la même scène, je ne comprends pas. Je me détourne de ma sœur pour rejoindre le salon. Un corps dans un pyjama à carreaux : mon père. Lui aussi, je l’ai déjà trouvé dans un autre rêve.
Merde ! est-ce un cauchemar sans fin dont je ne peux m’extirper?
La seule différence est que Sam n’est pas là pour me guider. Je suis seule sur ce chemin pavé de cadavres.
Me voilà à nouveau planquée sous la voiture. Ma mère est là, qui a rendu son dernier soupir. La peur est plus grande, car je connais la sale gueule de junkie qui va apparaitre.
J’ai une sensation étrange. Rien ne va dans ce rêve.
Je me lève lentement. C’est au moment où je m’y attends le moins, qu’on m’attrape par les cheveux. Je fais face au monstre, si près que je sens son souffle fétide.
Il attrape mon bras et le serre si fort qu’il s’engourdit.
— Viens par-là salope.
Je ne réponds pas, anesthésiée par le renoncement. Je n’ai plus peur et j’appelle la mort de tous mes vœux. Je veux juste que ça aille vite. Il me pousse jusqu’à l’arrière de la voiture.
Le choc est plus violent qu’un uppercut. Sam est couché sur le ventre. Je fixe ses larges épaules, celles qui m’enveloppent avec force. Ses cheveux noirs un peu longs recouvrent son profil de statue. Ses mains sont posées sur le sol de bêton à hauteur de son visage. Il porte sa chemise blanche transparente.
Il est splendide malgré son inertie.
N’est-ce pas le pire moment pour avoir envie de lui? La mort flirtant avec le désir dans une combinaison malsaine.
Sam est mort. Je ne peux plus vivre.
Je me dégage du bras de l’autre connard et, avec toute la rage qu’il m’inspire, je martèle son visage à coup de poings. Ce décharné vacille en ricanant.
— Pourquoi ris-tu,? je hurle à sa face de rat.
— Pauvre conne, c’est de ta faute.
— Quoi ? Sais-tu seulement ce que tu viens de me prendre, je hurle.
— Tu n’as vraiment rien compris.
— Quoi ?
— Coa, coa! tu ne sais dire que ça. C’est trop tard pour chialer, il est mort parce que tu n’as pas voulu de son amour.
Je lève la main pour le faire taire. Tout part en fumée.
Je me redresse dans le lit, main en l’air.
Je me précipite aux toilettes ou je m’affale, tête dans la cuvette, pour vomir mes tripes. Je me relève avec peine, la gorge cramée. Ces cauchemars doivent cesser.
Sam est mon seul ancrage dans le présent. Le rêve m’a montré la vie sans lui. Tout n’était que ténèbres.
Je n’oublie rien, comment le pourrais-je, mais je dois laisser ma famille disparue au passé.
J’avale deux somnifères qui m'assomment.
Sam me téléphone à la première heure.
Il fait comme si de rien n’était ; tu as bien dormi, qu’est-ce que tu fais aujourd’hui?
Je réponds à ses question en prenant soin de ne rien laisser paraitre de ma nuit cauchemardesque. J’ai senti son soulagement quand je lui ai dit que j’allais voir ma psy. Il est loin d’être idiot ; il sait que c’est lié au fiasco de notre fin de soirée.
Largement en avance, je déambule sans but dans la rue.
J’avais besoin de fuir cette chambre aux draps froissés par nos ébats. Trop d’images de plaisir pour mon âme torturée.
Je passe devant un commissariat de quartier et, sans l’avoir prémédité, je franchis la porte. Je devais le faire avec Sam, mais je veux lui prouver que je tente de faire avancer les choses.
Les locaux sont vétustes. Des affiches abimées vantent les mérites de la police. Derrière une banque, deux policiers sont concentrés sur leurs ordinateurs, seule touche moderne dans ce lieu sorti tout droit d’un film de gangster aux dialogues acérés de Michel Audiard.
Ça existe encore des endroits pareils ?
J’avance vers eux d’un pas décidé, focalisée sur mon objectif quand je me fais alpaguer par une bonne femme obèse et vulgaire :
— Hey ! vous ; prenez un ticket comme tout le monde, elle aboie.
Je lui jette un regard mauvais mais je prends le ticket avant de m’asseoir.
Un mec commence à gueuler qu’il veut porter plainte contre son voisin qui coupe ses arbres pendant la nuit et fait pisser son chien sur son linge. J’admire le sang-froid du flic qui l’écoute et enregistre sa plainte délirante.
Des tarés viennent porter plaintes pour des histoires de jardin alors que le junkie assassin de ma famille court toujours.
Putain ! Mais qu’est-ce que je fous là ?
Je ne suis vraiment pas dans mon état normal. A une époque pas si lointaine, j’aurais envoyé chier tout le monde et plus particulièrement cette mégère qui m’agresse. Je parviens à m’isoler dans ma bulle. Les excités qui peuplent cette salle d’attente deviennent flous, leurs voix étouffées.
C’est une voix forte qui me fait sursauter.
— Pour la dernière fois, le numéro 6.
Je regarde mon ticket. Ce chiffre me poursuit.
Je me présente devant un jeune homme avenant.
— Excusez-moi, je suis là.
Il semble soulagé d’entendre une voix posée au cœur de cette faune hurlante. Aussitôt, je lui débite mon histoire sans reprendre mon souffle.
Ses yeux ont atteint une taille phénoménale. Sa main est restée en l’air quand ses pauvres doigts n’ont pu suivre sur le clavier.
Il me regarde d’un air…Suspicieux ?
Mon calme olympien me fait-il passer pour une psychopathe glaciale ou une mythomane ?
A sa demande, je sors ma carte d’identité et il se lève.
— Ne bougez pas, je reviens.
Il tarde à revenir, je doute qu’il m’ait crue. Je suis prête à renoncer quand il me fait signe de le rejoindre vers une porte ouverte.
— L’inspecteur va vous recevoir.
Je pénètre dans une pièce poussiéreuse envahie par des dossiers qui s’entassent sur un bureau, des chaises, et les rebords de la fenêtre. Je connais le dénuement de la police Française mais je dois avouer que cela dépasse tout.
L’homme qui se lève et me tend la main doit avoir la cinquantaine. C’est sans doute stupide mais ses cheveux, poivre et sel me rassurent, me font espérer une plus grande écoute.
— Je suis l’inspecteur Favre, je vous en prie asseyez-vous, Melle Cachemire, c’est ça ?
— Oui.
Il consulte son écran d’ordinateur et je ne tarde pas à voir défiler les coupures de presses de l’époque. Je détourne les yeux des photos de mes parents, de Roxane…de mon visage détruit et sans âme après le drame.
— J’ai trouvé sans mal la trace de votre affaire dans nos archives. Pour tout dire, je me souviens très bien de ce fait divers qui a marqué la France entière par son caractère particulièrement barbare. Je suis désolée pour votre famille. Comment allez-vous ?
Je m’attendais à tout sauf à cette question et ce type me plait déjà. Le fait qu’il se préoccupe de moi, au moment où je me sens vulnérable est un immense réconfort.
— Je vais bien, je mens poliment.
— Si j’ai bien compris, Léa, heu… pardon, Melle Cachemire.
— Vous pouvez m’appeler Léa.
Il me renvoie un sourire tout doux.
— Est ce qu'il y a de nouveaux éléments au sujet du tueur?
— Oui, je voudrais faire rouvrir le dossier.
3 commentaires
FleurDelatour
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Il y a 2 ans
Cirkannah
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Il y a 2 ans
AxelleR
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Il y a 2 ans