Fyctia
Chapitre - Charles
Dieu bénisse l'inventeur de l'espresso. Sans cela, je ne serais réellement opérationnel qu'à partir de onze heures. Pas que la nuit ait été particulièrement courte, mais j'avais une course à faire, et un coursier à dépêcher dans un timing fort serré. D'ailleurs, il doit être l'heure.
Reposant ma tasse encore fumante, je lève mon poignet gauche et observe le cadran de ma montre. Huit heures vingt, le paquet a dû être livré il y a dix minutes, et la journaliste a dû être escortée hors de la salle depuis environ deux minutes, si je ne me suis pas trompé dans mon appréciation du caractère du coach de Kira.
J'envisage un instant de disputer ce round-ci par téléphone, mais finalement je préfère être sûr que la journaliste est bel et bien partie. Je ne tiens pas à voir les termes du contrat étalés en première page de son magazine la semaine prochaine.
Ce contrat est une pure folie, une aberration commerciale. Personne ne propose des fonds illimités, et encore moins pour une période de deux ans. La boxe, comme tous les sports de combat, est un vecteur publicitaire de choix pour des boissons énergétiques, même si aucun de ces athlètes n'en boit. Cependant, c'est également un sport dur, où les champions ne restent pas au sommet bien longtemps. Elle vient d'obtenir le titre de championne d'Europe, ce qui signifie qu'elle vise maintenant le titre mondial. Il est fort probable qu'elle perde la ceinture européenne dans quelques mois, soit parce qu'elle perdra le match pour défendre son titre, soit parce qu'elle aura un combat plus important en vue.
Le tournoi pour le titre mondial se tient dans trois mois, donc même si elle l'obtient, elle pourrait tout à fait retomber dans l'oubli six mois plus tard. Deux ans, c'est trop risqué.
J'ai agi impulsivement lorsque je l'ai vue, mon esprit d'habitude rompu aux négociations prudentes a été court-circuité par mes tripes qui ont hurlé "à moi !". Et une fois les termes posés, je ne reviens pas dessus. En affaires comme au poker, je ne me couche jamais.
Je saute donc dans ma voiture et conduis un peu trop vite jusqu'à la salle. Avant de sortir de mon véhicule, je vérifie rapidement le dossier que j'ai emporté avec moi. Audrey Lagarde, reporter sportif, blonde aux yeux bruns, mince, conduit une VW Golf couleur rouille. J'inspecte rapidement les voitures garées et n'en repère aucune correspondant à celle de Mademoiselle Lagarde. Parfait.
Je range le dossier et sors de mon véhicule, tout en remontant la fermeture éclair de mon sweat-shirt à capuche. Choix vestimentaire étrange ? Non, pas vraiment. C'est ainsi que s'habillent la plupart des boxeurs pour se rendre à l'entraînement. J'ai donc plus de chances d'arriver jusqu'à elle ainsi. En costume-cravate, je ne doute pas de me faire arrêter par quelques gros bras à l'entrée de la salle.
En entrant dans l'immense salle bétonnée, je repère rapidement quelques améliorations à apporter. Le revêtement de sol mériterait d'être changé, certains punching-balls sont en bout de course, et le ring a connu des jours meilleurs lui aussi. Dans l'ensemble, cette salle est pas mal du tout, spacieuse, avec tous les équipements nécessaires même s'ils ne sont pas tous très récents, et on voit qu'elle est entretenue.
Je repère également Kira, en train de cogner dans un sac de frappe de toutes ses forces pendant que son coach maintient l'infortuné en place. Mon colis n'est nulle part en vue, mais je m'en doutais un peu.
Je me dirige directement vers eux, mains dans les poches et sans prêter attention aux autres boxeurs en train de s'entraîner. Je les ai presque atteints quand ce cher Sylvain me reconnaît.
- Kira, fais une pause et retire tes gants !
- Je suis loin d'en avoir fini avec cet enfoiré de sac, donc non !
Et elle ponctue son affirmation d'un coup de genou particulièrement puissant, qui oblige son coach à reporter son attention sur le maintien du sac. J'adore la voir en colère, cela la rend encore plus sexy.
- Allons Sylvain, laissez-la se défouler, elle en a besoin et le spectacle me plaît.
Ma réplique enjouée me vaut un regard noir de Sylvain, et une volte-face rapide de Kira. Emportée par son élan et sa colère, elle balance un crochet dans ma direction, que je parviens à esquiver par miracle d'un petit saut en arrière. Sylvain la saisit à bras-le-corps et l'éloigne de moi, peinant à la contenir malgré leur évidente différence de poids.
- Je vais vous tuer !
Son beau visage se tord de rage, tous ses muscles tremblent et la subite rougeur qui a envahi son visage et son cou jure affreusement avec le bleu agressif de sa tenue.
- Voyons, ce n'est pas ainsi qu'on remercie un ami qui vous a fait un cadeau. Ça vous a plu ?
Sylvain la projette alors en arrière et se place entre elle et moi, lui bloquant la vue et allant même jusqu'à la forcer à ne pas me regarder. Je n'entends pas ce qu'il lui dit, mais je suis sûr que c'est une variation sur le thème : "Ce type n'est qu'un connard arrogant mais tu dois te maîtriser, il n'en vaut pas la peine."
Malgré une furieuse envie de la pousser encore plus loin, je décide prudemment de me taire, et me contente de sourire, les mains dans les poches. J'ai vu son gant droit de tellement près que je pourrais en redessiner tous les détails, et je préférerais que le rapprochement physique se passe sans bris d'os.
Sylvain a posé ses mains de part et d'autre de son visage, je la vois fermer les yeux et faire un effort méritoire pour se détendre. Finalement, il la laisse filer aux vestiaires, ce qu'elle fait sans un regard pour moi. Je sens une pointe de colère, ou peut-être bien de jalousie, me chatouiller les côtes.
Le coach se tourne vers moi, le regard furieux et la mâchoire crispée. L'espace d'un instant, je me demande s'il va essayer de me frapper lui aussi.
- Je vais être bref : Kira n'a pas besoin de votre contrat, elle a plein d'autres propositions. Et si vous continuez à la déconcentrer, c'est moi qui vais m'occuper de vous.
J'envisage un instant de prendre ça pour une proposition salace, mais je n'ai pas spécialement envie de me faire botter le derrière aujourd'hui finalement.
- Vous êtes très protecteur et c'est tout à votre honneur, mais je pense que Kira est plus que capable de se défendre seule.
- Vous jouez un jeu dangereux, vous savez ? Je vous ai vu à tous les combats qu'elle a disputés depuis deux mois. Vous savez donc comment elle fonctionne. Vous savez qu'elle n'est jamais aussi dangereuse que quand elle est dans les cordes. Et vous voulez quand même la pousser à bout ?
L'incrédulité a un effet comique sur son visage. Le haussement de sourcils crée des vagues sur son front tandis que la peau de son crâne semble tirée vers l'arrière.
- C'est mignon de vous inquiéter pour ma santé.
- C'est pas votre santé qui m'inquiète, c'est son casier judiciaire. Je tiens à ce qu'il reste vierge !
Et il m'expulse de sa salle, sans douceur mais sans violence non plus, tout en marmonnant quelque chose impliquant ma santé mentale, un âne, et ma mère.
1 commentaire
SupNova
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Il y a 5 ans