Fyctia
Chapitre 19 - Poa
Après l’ascension dans les hauteurs, Jude Klock guida Poa vers les plus grands des trois bâtiments à colonnades qui surplombaient l’île. Les statues, l’escalier en marbre, l’architecture sophistiquée et massive, chaque composante de l’édifice forçait le respect. Face à cet héritage monumental surgit du néant, Poa s’était sentit petite et sans racine. Loin du Nord, elle n’avait pas d’histoire.
- Hâte-toi, les bâtisseurs de ce temple sont morts depuis longtemps. Les lieux sont à nous à présent, rappela Jude Klock qui avait détecté son changement d’humeur.
A l’intérieur du bâtiment : des laboratoires éclairés à la matière blanche, des murs en pierre, du marbre blanc veiné de gris, des paillasses, des machines inconnues, des frigos, des ordinateurs, des d’équipement high-tech et, dans les couloirs de l’aile Est, un petit groupe de scientifiques en blouse blanche visiblement sur le pied de guerre. Ils s’étaient amassés en tas sous un panneau à demi calciné et fumant. Malgré son état déplorable, Poa put lire l’inscription : « laboratoire de biologie évolutive ».
- En plein jour, tu te rends compte ! A 17h18 précisément, affirmait un moustachu à lunettes.
- Nous, on n’a rien vu. Et ceux qui étaient présent, eux, n’ont rien pu faire ! expliquait une fille blonde taillée comme une nageuse.
- Quatre hommes masqués, assurait une voix derrière elle.
- Mais non, ils étaient trois à dit le professeur Gimenez, se récria une jeune fille dont les cheveux étaient tressés savamment.
Avant de se précipiter dans la mêlée, le dos raide et les poings serrés, Jude Klock contempla le labo saccagé. Poa le vit évaluer les dégâts d’un seul regard et blêmir. Sur les murs : des injures et des menaces pyrogravées. De la magie de feu. C’était, en tout cas ce que suggéraient l’odeur de brulé résiduelle et les écritures noir charbon gribouillées à même la pierre : « Les ombres et la biologie nous tuerons tous », « Nous sommes la colère de Dieu », « A mort les mutants, à mort les biologistes », « Ne vous entêtez pas ou vous en subirez les conséquences ».
Poa promena son regard, quelques secondes encore, sur les équipements détruits, les néons arrachés de leur socle, les vitrines éclatées et les débris de verre éparpillés sur le sol. Revenu de sa surprise, Jude Klock se lança dans une discussion animée avec le directeur de recherche de l’unité biologie, le professeur Odhiambo. Encore sous le choc, le scientifique raconta l’intrusion d’un groupuscule qu’il qualifia sans détour de « terroriste », puis il décrivit le sac du laboratoire.
- Heureusement, il n’y avait pas eu de victime.
Puis, il ajouta tout aussi fébrile :
- Ils ont dit que si on les forçait à revenir : cette fois, il y aurait des morts. Des fanatiques, je le jure ! Probablement, l’ordre du flux, ou peut-être la secte Anahjiji Saana, qui peut savoir.
A cet instant, Poa entendit derrière elle des bruits de cavalcade, quelqu’un arriva en trombe. C’était le grand intendant, celui que Poa avait aperçu un peu plus tôt sur le tarmac. En passant devant elle, Barbe bleue l’observa de biais, avec un œil rond comme celui d’un pigeon, ou du moins l’idée que Poa se faisait d’un œil de pigeon. A son arrivée, la cacophonie à un peine endiguée reprit de plus belle.
Poa étouffa un bâillement, accueilli par une multitude de regards offusqués.
- Pardon, j’ai voyagé pendant des heures, murmura Poa honteuse.
Aussitôt, la discussion prit une tournure tout à fait inattendu. Très praticopratique, l’intendant, qui venait justement réorganiser les logements pour la nuit, laissa tomber la nouvelle : compte tenu de la l’état d’urgence, personne n’était autorisé à dormir dans l’internat du pôle scientifique.
La conversation reprit bon train.
Plan B, dortoirs improvisés, hébergement d’urgence, au terme d’une très, très, très longue discussion, tous furent relogés. Les blouses blanches, l’intendant et Jude Klock se félicitèrent ravis d’en avoir finis. Poa bailla de nouveau. Elle sentit une fois de plus la multitude de regard se braquer sur elle.
- Et elle, on en fait quoi ? demanda l’intendant embarrassé.
Un nouveau conciliabule débuta. Les avis étaient partagés, on débattit mollement. Enfin, Jude Klock proposa une solution que tout le monde s’empressa d’accepter. Puisque les lieux n’étaient pas sûrs, Poa, qui devait initialement résider à l’internat, logerait dans la maison troglodyte avec les magiciens du Nord. Point final.
- Je suis volontaire pour l’accompagner. Elle ne connait ni le funiculaire, ni les lieux. Et puis, ce n’est pas prudent de se promener seule aujourd’hui, se proposa immédiatement la jeune fille aux cheveux tressés.
Poa trouva son empressement un peu louche, mais se garda bien d’en faire la remarque. Car, la fille ne semblait pas vraiment dangereuse, même s’il était clair aux yeux de Poa, qu’elle agissait par intérêt.
- Ilinda, se présenta-t-elle aussitôt.
- Poa, répondit l’orpheline sur la défensive.
La méfiance de Poa n’échappa pas à Ilinda qui ne put s’empêcher, malgré les circonstances, de rire un peu.
- Je me comporte de façon bizarre. Désolée. Je t’expliquerai tout à l’heure. Pas devant eux. Mais je te préviens, tu vas me trouver un peu bête.
La jeune fille entraina alors Poa dans les couloirs, les coursives et les allées du technopôle. Arrivée, sur une immense esplanade qui surplombait le campus magique et toute l’île, Ilinda essoufflée actionna une commande holographique. Un wagon, jaillit de nulle part.Il n’arriva ni du ciel, ni du sol, et se matérialisa simplement, là où quelques secondes avant il n’y avait rien. Cette activité magique provoqua de nouvelles ondulations sous la peau de Poa.
Ilinda programma le funiculaire magique pour un aller simple vers le campus. « Arrêt Champs de Mars-BU. Attention, départ dans 30 secondes. », déclama une voix mélodieuse à l’intérieur du compartiment. Sous l’action de la matière blanche, le compartiment s’éleva après une violente secousse. Déséquilibrée Poa manqua de s’étaler et se rattrapa de justesse à la poignée de sa valise. Le temps que le funiculaire prenne de la vitesse, les engrenages magiques grincèrent quelques secondes. Puis, avec un doux ronron, le wagon fila dans la demie obscurité.
Poa, sur le qui-vive, ne lâchait pas Ilinda des yeux.
- Repos soldat, plaisanta la fille.
- Tu m’expliques ton empressement à vouloir m’accompagner ? l’interrogea Poa, tendue.
- Simple, mon motif tient en trois lettres : M.A.X. Je kiffe Marnin, voilà t’es contente ! avoua Ilinda en rougissant légèrement.
- Et alors ? Je ne vois pas le rapport, décréta Poa.
- Max Marnin, quand même ! C’est le gars de seconde année qui encadre tes petits copains du Nord. Ce mec est une légende ! Tu vas voir : il est à tomber, sourit Ilinda aux anges.
Poa ne fit même pas l’effort de répondre. Elle laissa le silence retombé dans le wagon, le temps nécessaire à ses neurones pour assimiler cette information.
- Champs Mars-BU, terminus tout le monde descend, annonça la voix préenregistrée.
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