Fyctia

— Mec, il se passe vraiment quelque chose de louche…

— Qu’est-ce qu’il y a encore ? je lâche, légèrement fatigué de ne pas avancer.

— Certains dossiers des archives de la comptabilité sont en train d’être déplacés… Des dizaines de cartons s’en vont, je ne sais où… Tu penses qu’on s’est fait griller hier ?

— C’est toi qui m’as motivé pour cette excursion illégale et maintenant tu flippes qu’on se fasse prendre ?

— Oh James, fais pas le mec !

— T’as vu personne dans le couloir, il n’y a absolument aucune caméra dans cette aile excentrée du bâtiment, vraiment je pense qu’on a rien à craindre. En plus, connaissant le caractère colérique de Roy, on ferait déjà nos affaires s’il était au courant !

— Pas faux, mais ça n’explique pas pour quelles raisons, il y a tant de déménagement dans cette mairie aujourd’hui.

— Sacha, arrête ta mission détective et va vendre du rêve à ta petite comptable préférée !

Comme réponse, il fait bouger en rythme ses sourcils, comme un acteur pervers de série de seconde zone. C’est lui tout craché ! Décidément pas prêt à réellement travaillé cette après midi, je le vois sortir de notre bureau, sûrement lancé pour rejoindre sa nouvelle lubie. De mon côté, je m’efforce de finir au plus vite les dossiers qui sont en cours, afin de pouvoir partir à la gaufrerie de Rose le plus tôt possible.

***

Quatre heures plus tard, c’est lessivé que j’actionne la fermeture des stores du magasin. On peut dire que cette journée aura été intense du début à la fin. Alors que ma sœur est en train de compter nos invendus du jour et de clôturer notre caisse, je me dépêche de mettre les chaises sur les tables afin de lessiver le sol. En récupérant la serpillère à l’arrière, je m’attarde sur Rose qui gigote toute seule en fredonnant du Wham! avec son bonnet de Père Noël. Toute cette agitation me fait presque oublier que ce mois doit représenter l’espoir, la famille, les retrouvailles. Quand je la regarde, j’oublie Roy, j’oublie que ma carrière est chancelante. La naïveté bienveillante de mon ainée c’est un bol d’air pur et même si ce soir, je suis exténué, j’ai envie de sourire. Dans dix jours, nous réveillonnerons tous ensemble et que je sois directeur de campagne ou non, n’a vraiment aucune importance, ce qui compte c’est qu’ils soient tous heureux.

— Mon petit frère est tête en l’air ce soir ? lance-t-elle, mettant fin à ma rêverie.

— C’est toi qui me déconcentres à chantonner des musiques cul-cul !

— Arrête Jay, je sais que tu les adores !

— N’importe quoi, j’apprécie juste te voir tout sourire comme ça !

— Il n’y a rien à dire, tu es un parfait beau-parleur !

— J’ai suivi les conseils du meilleur, je n’y peux rien !

— C’est vrai que Papa a un vrai don pour nous amadouer. Qu’est-ce que serait notre égo sans vous ? plaisante-t-elle.

— Je me demande bien ! dis-je en commençant à nettoyer le sol.

— Et sinon, au boulot comment ça se passe en ce moment ? T’es plutôt discret depuis la semaine dernière…

Je reconnais bien ma sœur, à toujours vouloir connaître tous les détails de ma vie. Sa curiosité légendaire a besoin d’être assouvie, mais en lui racontant ma situation, j’ai bien peur de l’inquiéter.

— Ça ne s’arrange pas vraiment… J’ai eu des confrontations difficiles avec le maire, mais ça se tassera, ne t’en fais pas.

— Je n’aime pas quand tu me dis de ne pas m’inquiéter. Tu sais qu’on est là pour toi nous aussi, n'est-ce pas ?

— Rosie, je t’assure que c’est rien, c’est pour cette raison que c’est inutile de s’affoler.

— Et la charmante Salomé te court toujours après ?

— J’ai le droit d’invoquer le cinquième amendement pour ne pas m’incriminer ?

— Jay… dit-elle en éclatant de rire. On n’est pas dans une foutue série américaine et tu es belge, arrête tes conneries et raconte-moi tout.

Merde, ma tentative n’a pas fonctionné ce coup-ci, mais j’ai tout de même réussi à lui arracher un rire, il ne m’en faut pas plus pour être ravi. Quand le visage de ma sœur s’illumine de la sorte, je me dis que je ne fais pas trop mal mon boulot. Alors que je réfléchis à ce que je vais bien pouvoir lui partager sur mes récentes aventures, la sonnerie de mon téléphone nous coupe.

— Tu peux regarder qui c’est, sœurette ?

— À vos ordres !

Une fois à l’arrière-boutique, je la vois scruter mon portable puis décrocher. C’est peut-être ma mère ou notre sœur pour qu’elle se le permette.

— Bonsoir Salomé ! Comment vas-tu ? On parlait justement de toi à l’instant avec James, tu tombes à pic !

Oh merde ! Pourquoi a-t-elle pris l’appel ? Décidément, on est vraiment tous sans-gêne dans cette famille !

— Oui bien sûr, je te le passe !

Pendant qu’elle s’approche de moi, je ne peux m’empêcher de la fusiller du regard. Salomé doit être aux anges de savoir qu’elle est un sujet de conversation entre ma sœur et moi. Merci Rose de me mettre dans une telle panade !

— Allo ? dis-je en collant mon téléphone à mon oreille.

— James, allume la télévision de suite ! m’ordonne-t-elle à cent à l’heure.

— Je suis en train de laver le sol de la boutique, je ne suis pas vraiment disponible pour ça.

— Pose ce que tu as dans les mains et dépêche-toi de regarder le direct de Bruges Info TV, je ne rigole pas ! renchérit-elle d’une voix sévère.

Mais putain que se passe-t-il pour qu’elle soit si tendue ? Posant la serpillère contre le comptoir, je me précipite à l’étage pour rejoindre le salon de Rose pour allumer la chaine d’information locale. Instantanément, je comprends pour quelle raison Salomé m’a sommé de regarder la télévision. Sans voix, j’ai besoin d’une seconde pour assimiler ce que je vois.

L’aile droite de la mairie est en feu. Il n’y a pas qu’un début de flammes, avec une légère fumée, non c’est complètement toute la partie Est du bâtiment qui s’embrase, me laissant abasourdie par les images.

— James, t’es toujours là ? ajoute Salomé.

— Oui… C’est bon je regarde...

— Il y a quoi dans cette partie de la mairie ? Il y a des risques que des gens bossaient encore ?

Alors que je suis encore en train d’assimiler difficilement la scène que je vois à l’écran, j’essaie de trouver des réponses à sa question. Je sais au fond de moi qu’à cette heure, il est impossible que quelqu’un soit encore en train de travailler, ce qui me rassure. Sous les flammes, ce sont les bureaux des ressources humaines, de la comptabilité, ainsi que des archives. Putain de merde ! Toutes les preuves contre Roy sont en train de disparaitre sous les flammes… Comme par hasard après que des centaines de cartons de dossiers aient été déplacés dans la journée. Non ce n’est pas possible, je dois faire erreur.

— Je ne pense pas qu’il y ait qui que ce soit dans cette partie.

— Qu’est-ce qui se passe James ? Ta voix me fait flipper...

— Tu as parlé à personne des documents que je t’ai filés ?

— Évidemment que non, abruti !

— Je t’envoie l’adresse de mon appartement, rejoins-moi là-bas dans deux heures… J’espère que j’ai tort, mais je crois que Roy Van Daat est impliqué dans cet incendie…