Fyctia
Vendredi 11 déc. - James - 1/2
En me levant ce matin, j’ai eu la douce impression que cette semaine a été à la fois interminable comme super rapide. Ces deux sensations contradictoires n’ont qu’une raison : Salomé Roussel. Cette femme insaisissable, que j’ai vu pratiquement tous les jours, sait y faire pour qu’on se rappelle d’elle. Lundi, à mon réveil, je pensais encore qu’elle n’avait rien de solide, que son enquête allait prendre l’eau très vite, et en quelques jours, j’ai renoncé à ma loyauté aveugle pour l’aider dans ses investigations. Jouer sur les deux tableaux me rend inconfortable, mais pour le moment, je suis obligé d’avoir cette double vie si je veux que mon avenir et ma conscience puissent cohabiter sereinement.
Je ne sais pas si c’est ce mois de décembre qui chamboule tout mon quotidien, mais depuis que Salomé s’est pointée à la mairie, ma vie semble défiler à cent à l’heure, et devant mon bureau à cet instant, j’aimerais appuyer sur pause. C’est dangereux pour moi de ne pas avoir de temps pour me poser les bonnes questions. Pour l'avoir déjà expérimenté par le passé, je sais de quoi je suis capable lorsque je prends une décision à la hâte. La dernière fois que j’ai agit de cette manière, j’ai dit au revoir à ma sélection pour les Jeux Olympiques de PyeongChang, j’ai délaissé ma petite amie de l’époque, Victoire, car seule ma famille comptait. C’est dans ma nature, je ne pouvais pas laisser mon père dans cette chambre d’hôpital alors que je profitais avec Vic dans les plus belles patinoires d’Europe.
Quand je repense aux frissons que m’a transmis Salomé sur la glace hier soir, j’ai besoin de prendre du recul pour digérer ces sensations. Pourtant j’ai beau repasser cette scène dans ma tête dans tous les sens, je suis incapable d’expliquer ce que j’ai ressenti. La femme que j’ai délibérément challengé hier, semble n’avoir que le travail à la bouche. Si elle a accepté de prendre un risque sur mon terrain de jeu, c’était simplement pour me montrer qu’elle ne perd jamais la partie. Je n’ai pas douté une seconde de ce paramètre, j’avais juste besoin de savoir ce qui pouvait jaillir lorsqu’elle ne me cuisine pas sur son enquête. À aucun moment, je n’ai pensé qu’elle pourrait provoquer en moi ce type de réaction. Après Victoire, j’ai appris à compartimenter ma vie. La famille passe toujours en premier, ensuite vient ma carrière, puis mes relations. Ce qui est pratique, c’est que Sacha représente mon travail et ma vie sociale en même temps.
Rares sont les fois, où je me laisse entraîner dans les bras d’une femme en lui laissant l’opportunité de m'atteindre. Lorsque j’entreprends quelque chose, j'y vais toujours à fond, mais si je laisse la gente féminine me séduire, je finis inlassablement par me détourner de mon objectif premier. Il faudrait que je me coupe en deux, car c'est un fait : en vingt-quatre heures, je ne peux être un bon amant, un employé irremplaçable et un soutien solide pour mes parents ou mes sœurs.
Ça, c'est la théorie, sauf qu’hier, je me suis pris un coup de jus que je n’avais pas anticipé. Si je veux être un pilier inébranlable pour les miens, je ne peux pas en plus consacrer toute mon énergie à une autre femme, c’est ce que l’accident de mon père m’a appris. Certains jours, je suis conscient de la nostalgie qui me gagne, pas celle de Victoire qui éveillait mon insouciance ou ma naïveté, non, je suis plutôt en manque de tendresse, de dimanches matins remplis de caresses, de parfum féminin qui empiète sur ma lessive au savon de Marseille... Heureusement, ces petites mélancolies furtives restent occasionnelles. Mon cerveau sait les balayer en se rappelant que j’ai une famille qui a besoin que je prenne le relai.
La sonnerie de mon téléphone me sort de ma rêverie. Ce n’est qu’un mail du propriétaire de mon appartement, mais cela me permet d’envoyer valser mes rêveries. Parmi tous mes petits défauts, mon côté tête en l’air n’a jamais réussi à vraiment disparaître, et il est fréquent que je me laisse emporter par mes pensées. Ce matin, occupé à préparer son accréditation pour la soirée caritative de vendredi prochain, Salomé s’est doucement immiscée dans mon esprit, et ça, j’aimerais que cela s’arrête, car je sais que ça va m’apporter plus de problèmes que je n’en ai déjà.
Finalisant son dossier, j’imprime le document à faire tamponner par Nicolas. Contrairement aux derniers jours, je ne suis pas tendu en me dirigeant vers le bureau de mon supérieur. J’ai, en quelque sorte, encaissé la déception qu’a provoqué Roy. Bien que je sois certain de ne pas vouloir voir mon nom associé à un tel scandale, et même si Salomé ne détient pas de preuves encore suffisamment tangibles pour le faire éclater, j'ai compris que le maire n'était pas celui que je croyais, plus encore, une part de moi me souffle qu'elle a raison de se battre pour ces gosses. Alors que j’arrive devant sa porte, je suis surpris d’y trouver Roy en plus de Nicolas.
— Bonjour à tous !
— James, j’espère que tu vas bien ! T’as du nouveau pour moi ? m’interroge le maire, sans attendre.
— J’ai pu négocier une accréditation à la collecte de fonds de la semaine prochaine contre l’avortement de l’enquête de mademoiselle Roussel. Je venais faire tamponner les documents par Nicolas.
— Je te fais ça de suite ! me confirme mon supérieur, alors que je lui tends les pages imprimées.
— Non, hors de question ! lance Roy pour s’interposer.
Interloqués, Nicolas et moi nous retournons vers lui, pris d’une incompréhension phénoménale. Même si cet accord avec Salomé n’est qu’une couverture, j’ai initialement proposé cette accréditation pour la détourner de son enquête. Les chances qu’elle accepte étaient vraiment minces, mais ça aurait pu se passer de cette manière. L’objectif restait de sauver le cul de Van Daat, néanmoins quand je le vois mettre son veto à la signature de ces documents, je reste sans voix. C’est quoi son putain de problème ? Il veut que Salomé continue de creuser ? Car personnellement, je sais qu’elle n’attend que ça.
— Pardon ? je demande.
— On ne négocie pas avec les terroristes !
Non mais je rêve ! Il se prend pour le président des États-Unis ou peut-être pour Pablo Escobar… Dans tous les cas, son attitude m’exaspère.
— Avec tout mon respect, vous n’êtes pas l’acteur vedette dans un blockbuster américain ! Ce deal c’est du gagnant-gagnant, Roy. Vos affaires louches restent enfouies, et cette journaliste récupère un dossier intéressant !
— Je t’ai dit de trouver un moyen de faire taire cette journaliste, de frapper un grand coup, mais je remarque que tu as choisi de te prosterner à ses pieds comme un débutant ! me répond-il, avec un regard noir qui ne m’avait pas manqué.
Quel connard !
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