Fyctia
Comme chercher une aiguille
— Quelqu’un est allé en clinique hier ?
— Quelqu’un est allé en stat’ ce matin ?
— Quelqu’un va en neuro demain ?
Ma petite bande me connait. Ils savent que je ne suis pas friande des soirées beuveries, mais que j’accepte les sorties au cinéma, à la patinoire ou au restaurant. Ils m’acceptent comme je suis et c’est le point fort de notre promo. J’aime moins étudier la psychologie qu’être dans une filière où les gens ont une manière de penser différente. Quand je nous regarde, je nous trouve moins compliqués dans nos relations qu’Anaïs et sa bande. Moins de coups de gueule, de longues discussions sur les réseaux sociaux, pas mal de compréhension et une attention particulière portée aux coups de mou. Nous ne sommes pas les meilleurs amis du monde, et après nos études, nous nous séparerons sans doute, chacun dans notre direction.
Mais pour l’instant, nous sommes là, dans l’amphi C, nos pc ouverts, prêts à ne pas prendre de notes et vaquer à nos occupations. Rattrapage des cours séchés, jeux en ligne, flâne sur les réseaux sociaux, à chacun sa manière de passer le temps.
Parce qu’être étudiant, c’est un peu comme chercher une aiguille dans une botte de foin. L’aiguille comme objectif, la botte de foin, comme un méli-mélo de possibilités diverses et variées, de parcours de formation et de débouchés professionnels, de centres d’intérêts et de passions. Je n’ai aucune foutue idée de ce que j’ai envie de faire après la fac, mais je sais ce que je ne veux pas. Et c’est déjà pas si mal.
Cette fois, je fais mine de prendre des notes et m’intéresser au cours, revigorée par ma barre Milka. Tout va bien, jusqu’au moment où la prof lance une vidéo et je décide que je n’aurai jamais d’enfant. Le ventre rond qui bouge à l’écran est une ignominie. On voit clairement la trace d’un petit pied se former sous la peau. Je pose ma friandise. A mes côtés, Malik grimace.
— J’ai pas payé pour ça, putain.
— Z’auriez pu dire que c’était un cours d’épouvante, j’aurais pris du popcorn ! lance Aleena.
J’ai une pensée pour ma mère, qui a dû voir quatre mains et pieds déformer son ventre et je me jure d’arrêter d’oublier de prendre ma pilule. Quelle horreur. Je trouve déjà ça moche, une femme enceinte, mais je n’aurais pas imaginé qu’on voyait le gremlins bouger depuis l’extérieur. Je ne déteste pas les enfants, ni l’idée d’en avoir. Mais les bébés, ce n’est pas mon truc. Surtout les nouveaux nés. Je ne sais jamais quoi répondre aux gens qui envoient les photos des nourrissons qu’ils viennent de propulser dans un monde impitoyable. Parce qu’un bébé aussi, c’est moche. Et ils se ressemblent tous. Chaque fois que je reçois un MMS m’annonçant une naissance, j’ai envie de présenter mes sincères condoléances.
— Combien il a de bosses le chameau ?
A côté d’Aleena, Styve et Henry font un pictionary. On s’occupe comme on peut, dans cet amphi.
— Cha – meau, deux syllabes, deux bosses, propose Aleena.
— Te moque pas, quand j’étais petit je pensais que le dromadaire avait trois bosses, intervient Malik.
J’arque un sourcil et compte sur mes doigts à voix basse.
— Dro – ma – dai -re, t’en as fait quoi de la quatrième ?
— Mes couilles sur ton front !
— Ça fait quand même que deux bosses.
— Deux petites bosses, corrige Styve.
Un stylo frôle mon nez, dégomme une canette de coca et atterrit contre le mur, au bout de notre rangée, pile au moment où la prof coupe la vidéo. Je fais mine de prendre des notes, imitée par Aleena. Nous feignons d’être studieuses et laissons les mecs assumer leurs conneries. La présence n'est pas obligatoire aux cours magistraux. Mais nous y allons pour être ensemble. En troisième année, on nous demande de choisir une spécialité qui nous introduira au master. Aleena a choisi la psychologie du développement, Henry et Styve la clinique, Malik, la sociale, et moi, la psychopathologie du sportif.
Mes expériences sportives se limitent à une dizaine d’années de danse, les séances shoppings orchestrées par ma frangine, et mes tentatives désespérées pour éviter de la croiser dans la fac. Sauf que, j’ai les cheveux roses.
— Aub’, j’suis là ! me crie-t-elle depuis la pelouse.
J’ai vu, mais ça ne m’intéresse pas. Sauf que, la réalité n’est pas aussi simple que messenger. Je ne peux pas juste me balader avec une pancarte et brandir un « Vu à 11h45 ». Même si l’idée me parait cocasse et que je suis à deux doigts d’aller acheter craie et ardoise. Je traine donc la patte jusqu’au cercle de hippies colorés avec lequel traine ma sœur et je m’inquiète que son appartement ne devienne un aquarium maintenant que je n’y suis plus.
— Aub’ parce qu’elle est belle comme l’aube ?
Je m’arrête et estime opportun de faire demi-tour.
— Y avait pas assez d’étoiles dans le ciel pour les mettre dans ses yeux, alors on s’est dit qu’attendre le matin, ça pourrait être pas mal.
Je regarde ma sœur. Anaïs a toujours eu une répartie tranchante, lorsqu’il s’agit de me protéger. Elle sait que je ne suis pas à l’aise avec les gens, surtout les mecs lourdingues, et que je fais l’effort de traverser la pelouse et ses squatteurs divisés en groupes pour venir la saluer. Je n’en montre rien, mais ça fait bizarre de me lever le matin et ne pas batailler pour un coin de salle de bain. J’aime vivre seule, mais notre routine à deux me manque.
Ses longs cheveux teints en blond chatouillent les brins d’herbe. Autour d’elle aujourd’hui, quasiment que des mecs. Son t-shirt ample tombe sur une épaule et laisse voir une brassière simple mais sexy. Peu importe combien de fois je l’observe, je la trouve toujours canon. Nous arborons les mêmes traits, j’ai conscience d’être jolie, mais le charisme et le charme naturel d’Anaïs me rabaissent au rang de pot de Nutella reconverti en verre, à côté d’une flûte en cristal.
— Tu vas où, t’as fini ? me demande-t-elle.
— Ouais. J’ai un cours cet aprèm’ mais je pense pas y aller.
— T’es en quoi ? m’interroge le maître en jeux de mots.
— Psycho.
— Ah ouais, la filière de branleurs !
— Au moins, on branle des trucs un peu conséquents, nous.
Un bras entoure mes épaules. Lourd, le bras. Je tourne la tête, sur le point de feuler. C’est Malik. Je feule quand même. Distanciation sociale, bon sang ! Il a fallu je ne sais combien de morts pour que ces mots prennent un sens pour le commun des mortels, pour moi, ils ont toujours été cultes ! Je tolère les câlins des animaux, uniquement. Et il se trouve que Malik a un chat. Je salue ma sœur et le boulet qui lui sert de pote, et suis le mien jusqu’à chez lui.
16 commentaires
Sissy Batzy
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Il y a 4 ans
Ode 30
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Il y a 4 ans
Isabelle-Marie d'Angèle
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Il y a 4 ans
Emy J. Thys
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Il y a 4 ans
A l'Encre de mon Sang
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Il y a 4 ans
Roxy427
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Il y a 4 ans
Emy J. Thys
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Il y a 4 ans