Fyctia
Comme un roman
La sonnerie de l’interphone du voisin me tire de mon sommeil. Je l’entends résonner. Une fois. Deux fois. Cinq. La sixième est plus longue. Il n’est pas là, ou ne veut pas répondre. Je devine qu’il s’agit de sa mégère, encore. Une femme avec qui il ne vit pas, qui passe à l’improviste les trois quarts du temps, à qui il ouvre sa porte, de temps à autres.
Je sursaute une première fois, lorsque ça sonne chez moi. Mon cœur s’emballe. Je hais les gens. Je hais le bruit. Je hais les gens qui font du bruit. Pour me calmer, je me retourne dans mon lit. Là, sous ma couette, je suis bien. J’ai encore sommeil.
Nouvelle sonnerie. Cette fois, je me lève. J’enfile les premières fringues que je trouve, au pied de mon lit, j’ouvre les volets et me penche par-dessus le balcon. Celui du premier m’empêche de voir clairement le trottoir. Agacée, je sors, je descends les deux étages, j’ouvre la porte de l’immeuble.
Une femme d’un certain âge, pour ne pas dire d’un âge certain apparaît. Je la toise.
— C’est vous qui sonnez ?
— Bonjour, il est là –
— Arrêtez ça. S’il n’ouvre pas, c’est soit qu’il n’est pas là, soit qu’il ne veut pas vous voir, je n’en sais rien et je m’en fous, mais ne sonnez pas chez moi.
— J’ai sonné qu’une fois, miaule-t-elle.
Mon sang ne fait qu’un tour. Angoissée de nature, je gère mal le stress. Personne ne le voit. Seul mon corps le ressent. Je tremble. J’ai mal au crâne. Une boule de flipper danse la java dans mon estomac.
— Deux fois, je rectifie, cinglante.
Elle me fait les yeux doux.
— Laissez-moi monter s’il vous plaît.
— Non. Sonnez encore une fois chez moi, et je porte plainte !
Je lui claque la porte au nez, la verrouille. Mon voisin de palier tient à ce que la porte soit toujours fermée à clé. Soi-disant, il entrepose des objets de valeur dans le placard sous l’escalier. Il le dit à tous les occupants. Mon voisin est con, parano, sénile. C’est le seul homme de l’immeuble. La mauviette, de l’immeuble. La commère, de l’immeuble. Dites-lui bonjour, il vous dit le reste. Ne le saluez pas, il vous le dit quand même.
Verrouiller la porte d’entrée signifie bloquer l’ouverture par interphone. Adieu Uber Eats et autres joyeusetés. Je hais ce type, qui parle trop et trop fort. Sa seule existence bousille ma batterie sociale. Je crains de le croiser chaque fois que je m’aventure hors de mon studio.
Arrivée au deuxième étage, j’entends la sonnerie retentir à nouveau. J’ouvre ma porte à la volée, la laisse claquer contre le placard coulissant et décroche l’interphone.
— Rectification, continuez et je descends avec un couteau, croyez-moi, vous n’aurez pas l’occasion de porter plainte !
Je raccroche avec fracas et glisse le long du mur. Mes mains tremblent. Je n’aime pas m’emporter. Et en même temps, j’ai envie qu’elle souffre. Qu’ils souffrent tous. Elle, le voisin, et tous les gens qui ne se rendent pas compte que d’autres les subissent.
On toque à ma porte. Je lorgne le tiroir à couverts, prête à mettre ma menace à exécution. Après tout, n’est-ce pas de la légitime défense contre harcèlement ? Et puis, une ampoule grésille quelque part dans les tréfonds de mon cerveau. Comment est-elle entrée dans l’immeuble, cette poufiasse ?
Je décide de laisser tomber, elle finira bien par se lasser. Je m’étonne tout de même de ne pas l’entendre couiner sur le palier après son cher et tendre. C’est déjà arrivé, ça arrivera encore. Mais pas aujourd’hui. Non, aujourd’hui, c’est une clé dans la serrure que j’entends. Dans. Ma. Putain. De. Serrure. La porte s’ouvre et une tête blonde apparaît dans mon champ de vision, sensiblement identique à la mienne, à une coloration près.
— Qu’est-ce que tu fiches par terre ?
— Qu’est-ce que tu fiches chez moi ?
Depuis que nous avons obtenu notre bac, c’est la première année où nous ne vivons pas ensemble, ma sœur et moi. Et je savoure chaque instant de vie solitaire, comme si c’était le dernier. Anaïs étudie l’art, moi, la psychologie. Elle est mon exact contraire, avenante et manuelle, kiffe les sorties shopping et les soirées. Elle a conservé notre petit appartement en centre-ville, à proximité des festivités nocturnes et pris une nouvelle coloc. Moi ? Je me suis enfuie loin de l’effervescence estudiantine, résultat je me fais emmerder par des vieux pas foutus de décider de l’avenir de leur couple.
— On est jeudi soir, et tu sais ce qu’il y a le jeudi soir ? S’enthousiasme ma frangine en refermant la porte derrière elle.
J’avise d’un œil morne le placard. Peut-être que si je me fous dedans et ferme la porte, Anaïs aura disparu quand je la rouvrirai.
— Probablement un truc où j’ai aucune envie d’aller ? Et où j’irai pas. Maintenant, vas-y et laisse-moi. J’ai des cours à ne pas réviser.
Elle retire ses chaussures et je suis sur le point de feuler. Quelqu’un qui retire ses chaussures signifie intention de rester. Anaïs s’assoit sur le tapis pelucheux qui fait office de descente de lit et sort son téléphone portable d’un très mignon petit sac noir aux poches cousues de fils or et argent. A ses poignets, une armada de bracelets faits main, perles et brésiliens, aux couleurs assorties. Même dans sa période baba cool, ma sœur reste classe.
— Je me suis inscrite sur une nouvelle appli, tu vas kiffer.
J’en doute mais ne réponds pas. A la place, je traîne ma carcasse jusqu’au frigo, en sors deux canettes de soda et attrape mon portable. Elle a décidé de squatter et je n’ai pas envie de cuisiner. Direction la seule application réellement utile en ce monde, après le GPS. Des vibrations se répandent le long de mes doigts. Je ne supporte pas les sonneries, véritables anxiogènes, alors mon portable est toujours en vibreur. J’ouvre la notification. C’est Anaïs.
— Je suis à côté de toi, tu sais.
— Ouvre le lien.
J’ouvre le lien. Pire idée ever. L’écran me signale qu’il est en train d’installer un truc, sans même me demander mon avis. Si les spams investissaient dans des stagiaires et les envoyaient dire « Clique, ça risque rien ! » aux quatre coins du monde, leur chiffre d’affaires ferait un tabac.
— Crush’Stories, lis-je à haute voix. C’est quoi cette merde, encore ?
— L’application où tu vas rencontrer l’homme de ta vie, sœurette. Ou la femme. Je ne sais pas ce que tu préfères.
Les deux.
— Ni l’un ni l’autre ! Je ne vais pas m’inscrire à tes substituts de prostitution, lâche-moi avec ça !
— T’y vas fort. Les applis de rencontres, c’est légal, c’est pas de la prostitution !
— Tu mets une photo et t’essaies de te vendre pour obtenir des faveurs amoureuses…
— … C’est ce que je dis, c’est pas de la prostitu – oh et puis zut. Cette appli là est cool. Ça a spécifiquement été créé pour les gens comme toi, flippés par la vie en société et le cerveau toujours fourré dans des mondes qui n’existent pas !
Je tente un regard assassin. Elle décapsule sa canette et me la tend pour trinquer, tout sourire.
— C’est comme un roman, écrit à plusieurs, dont tu es un personnage.
29 commentaires
Alexenrose
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Il y a 4 ans
Sissy Batzy
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Il y a 4 ans
Marie M DESSYLES
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Il y a 4 ans
Eleonora_Stofferis
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Roxy427
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Isabelle-Marie d'Angèle
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Il y a 4 ans