DianeVM Critérium Le Baisodrome

Le Baisodrome

La peau, vaste étendue de nacre et de velours. Le plus grand organe du corps. Composé de milliards de cellules qui se desquament plus vite qu’un morpion fuirait la maison de Maman.

La peau. D’une robustesse tout à fait exceptionnelle, toujours prête à se cicatriser, endurer, fléchir, s’étirer, laisser place à toutes ces frasques et toute cette goinfrerie animale dont l’humain est capable. Elle s’étire pour porter la vie en elle, s’étire pour laisser place à la graisse abdominale et au foie stéatosé, grandit avec ces corps qui se drapent d’elle comme d’une hermine mitée, marque fidèlement le passage des années, des habitudes et des névroses, ne se lasse jamais de son propriétaire et subit une infinité d’agressions chimiques, alimentaires, cosmétiques et tabagiques sans jamais rechigner, sans jamais déserter.

La peau salie, huileuse, en sueur, crasseuse, puante et poilue qui se frotte à celle du voisin sans une ombre de bienséance à l’horizon.

La peau des critards du baisodrome.

Quelqu’un a accroché des posters de paysages aux murs. Un sentier de forêt, un lac vu de haut, un glacier. C’est incongru, mais a le mérite d’offrir un répit au regard.

L’ambiance est tout à fait celle à laquelle on s’attendrait dans un endroit pareil. Les lumières sont rouges, tamisées, sinistres. Elles dévoilent plus qu’elles ne masquent les ombres qui dansent dans le creux des reins qui s’agitent et des jambes qui se plient. Franz n’est pas sensible aux ambiances : il est sensible aux détails, et cette pièce en offre largement plus qu’il ne le souhaiterait.

Par terre il y a des coussins et des couvertures. Et des corps qui s’imbriquent.

A sa droite un membre flaccide est pris en bouche par une jeune femme dont les cheveux blonds, épais et raides, tombent lourdement dans sa nuque, attachés par un élastique violet. La queue de cheval tressaute à chaque fois que sa tête bute contre le pubis du critard, lequel est visiblement trop bourré pour ressentir autre chose que la salive qui lui dégouline le long des couilles. Il parle à son voisin, un black massif qui pilonne une critarde à la chevelure abondante, noire et bouclée, par derrière et ne semble plus avoir de neurones disponibles pour écouter. Franz regarde le nez de la petite, fasciné : un nez long et fin, d’une délicatesse sans pareille, totalement incongru dans pareille situation.

Quel gâchis.

Quelque part dans un coin, une forme féminine est allongée sans bouger ; deux mâles à moitié nus lui tiennent la tête et lui font inhaler du poppers tandis qu’ils tripotent sa chatte. Elle n’a pas l’air consentante, d’ailleurs elle n’a pas l’air capable de donner ou retirer un consentement sous quelque forme que ce soit ; demain elle se réveillera sans aucun souvenir, mais avec la désagréable sensation qu’un train lui est passé dessus.

Franz sait qu’il y a des mots pour ça. Un mot, plus précisément. Il se refuse à le penser.

C’est leur entière responsabilité, à toutes ces bêtes humaines incapables de la moindre retenue, de la moindre décence, incapables de se comporter en citoyens – non, en médecins – dignes de ce titre.

Un courant d’air balaie la pièce, Franz cherche la fenêtre ouverte mais ne la trouve pas, le souffle glacé semble provenir des murs, des interstices, du plafond même, malgré tout on suffoque, on suffoque et congèle en même temps, la chaleur qui monte a la tête, teinte les joues en rouge et vibre comme un diapason dans les tempes est contrariée par le froid qui saisit les membres, la nuque, le bas du dos et qui crispe, qui force au repli et à l’autoflagellation, car que faire d’autre pour un fanatique hygiéniste du contrôle absolu que de s’autoflageller en un lieu de stupre pareil, un lieu plus laid et malade que n’importe lequel de ses fantasmes les plus pervers, un lieu qui va entrer en lui comme une perle noire dans une huitre, encapsuler toute cette perversion et l’enfouir dans son être de façon irréversible, inextricable, et Franz sait qu’il y a des choses que l’on ne peut oublier une fois qu’on les a vues, celles-ci en font partie, il en a honte, ça le rebute, pourtant il regarde, il fixe, il ne peut s’empêcher de fixer sans détourner les yeux et il amasse les détails les uns après les autres et les range consciencieusement dans les étagères maniaques de sa tour de mémoire ; le procédé est définitif, aucune chance de lui échapper ; il se souviendra de tout, toute sa vie et jusqu’au bout en sera teinté de dégoût.

La peau qui se frotte contre la peau. Les organes nus, exhibés, crus, poilus, laiteux, humides, tendus, collants, poisseux, odorants, présents, si présents, impossibles à ignorer.

Il entend des râles, et dans l’obscurité ces râles pourraient passer pour des plaintes, rauques et étirées. Une longue lamentation obscène.

L’éclairage n’est pas suffisant pour détailler les traits de tous les corps présents, mais en un rapide tour d’horizon, il constate – avec un soulagement mêlé de déception – qu’Alois n’en fait pas partie.

Alois. Où est-il ?


Tu as aimé ce chapitre ?

1

0

0 commentaire

Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.