Fyctia

Je rejoins mon frère en bas, traînant ma grosse valise derrière moi. Mes parents arborent un air grave.

— Nami, as-tu réussi à modifier l'apparence de la Couleur de Kael ?

J'acquiesce, encore trop surprise par mon rêve pour dire quoi que se soit. Père nous rappelle les dernières consignes et Kael et moi nous dirigeons vers l'écurie. Nous chargeons nos sacs et, la gorge nouée, le cœur battant la chamade et un dernier regard vers le palais, nous nous élançons vers les abysses.

Ça sera différent de la maison. Plus de course poursuite dans les couloirs. Plus d'heures passées à la bibliothèque. Plus de promenades matinales.

Peu à peu, l'Académie Abyssale apparaît devant nous. Placée entre deux montagnes sous-marines, dans un espace assez large pour rentrer un bâtiment de la taille du palais, l'école majestueuse s'élève.

Sombre, mystérieuse, grandiose, immense.

L'extérieur est vide de toute chaleur, l'entrée, inaccueillante. Des tours montent aussi haut que les montagnes, les pointes dépassant légèrement. Autour du château, le peu de plantes qu'il y a, peine à survivre. Ce n'est qu'un enchevêtrement de plantes, luttant pour survivre, pour gagner, prendre le dessus sur les autres.

Est-ce ça qui nous attend, nous aussi ? Se battre contre les autres pour être le meilleur ?

Aux fenêtres, de faibles lueurs redonnent de la vie à l'école. On aurait pu la croire à l'abandon, tellement les plantes sous-marines qui grimpent sur les murs sont nombreuses.

La pierre noire qui compose le bâtiment le rend plus lugubre que jamais.

Nos montures avancent doucement vers l'académie et au fur à mesure qu'on se rapproche, l'école grandit. Au fur et à mesure, elle semble prendre de la hauteur, comme pour nous faire comprendre que nous sommes insignifiants. Qui a eu l'idée d'un endroit à l'allure si sombre ? Qui a pu penser qu'un bâtiment pareil pourrait inviter des jeunes à intégrer l'Académie Abyssale ? Ce château est le contraire de ceux que j'ai pu découvrir en lisant des histoires de princes et princesses. J'avais imaginé l'Académie comme étant plus accueillante, des rangées de plantes soigneusement coupées et des couleurs tout autour, nous faisant penser que nous sommes ailleurs. Bien que nous nous soyons souvent approchés de l'académie, Kael et moi, nous ne l'avons jamais vu d'aussi proche. De loin, elle ne paraissait pas si... Morte. Si sombre. Si austère.

Devant les portes en ébène, nous descendons des hippocampes et les laissons aux soins des hippock- ceux qui s'occupent de nos animaux, de les nourrir, les brosser, les maintenir en santé -, puis nous entrons dans l'école.

Je suis immédiatement choquée par le contraste entre le dedans et le dehors. Le jour et la nuit.

Tandis qu'à l'extérieur tout est sombre et peu attirant, ne ressemblant qu'à un tas de ruines et en rien à une école, l'intérieur est un tout autre monde.

Des tapis luxueux sont dépliés au sol sur un carrelage marbré noir et blanc brillant et ciré. Au mur, des dizaines de tableaux sont accrochés où l'on peut y lire différents noms. Si on en croit les légendes, certains sont les membres du personnel de l'établissement scolaire et d'autres, des membres de la famille royale. Parmi eux, je parviens à trouver celui du Roi Lumière, de mes parents et de mon grand-père.

Le premier est ancien et représente le même homme que j'ai rencontré dans mon rêve, dans le souvenir. Le Roi Lumière. Grand, les cheveux gris clair déjà de son jeune âge, des sourcils broussailleux qui lui donnent un air strict, mais sa bouche étirée en un petit sourire le fait paraître plus amical. Son cadre tombe en miette, la toile se décolle, preuve de l'âge avancé de cette peinture.

Je n'ai jamais connu mon grand-père. Mère et Père me disent qu'il est mort en héros: Arcanum aurait lancé une attaque, et au prix de sa vie, Grand-père aurait protégé son peuple. De lui, je n'ai que des portraits et des descriptions, et ce tableau ne peut que me faire imaginer ce qu'aurait été ma vie s'il avait encore été là aujourd'hui. Aurions-nous été proches ? Aurait-il été là pour moi en ce jour ? M'aurait-il raconter différentes histoires pour me bercer ?

De lui, je tiens mes cheveux blond clair et mon sourire éclatant.

À côté, Père et Mère sont accrochés. Au moment où le portrait a été confectionné, elle était enceinte de moi. Ils ont tous les deux la mine fière, leurs mains posées sur le ventre de Mère.

Quand ce matin ils nous ont annoncé, à Kael et moi, qu'il n'était pas mon frère, j'ai visionné, dans ma tête, tous les tableaux d'avant ma naissance, espérant en trouver un qui montrerais Mère enceinte de Kael ou bien lui, petit, avec mes parents. Bien entendu, il n'y en avait pas un seul...

Je souris, je ne sais pas trop pourquoi et je me concentre sur le reste de la salle. Grande, chaleureuse, je suis tout de suite à l'aise ici. Un feu magique repose dans une alcôve non loin de moi, me transmettant une impression de chaleur et de bien-être.

Au fond, deux escaliers en colimaçon se séparent, montant probablement vers les salles de cours et les dortoirs.

Devant moi, plusieurs dizaines d'adolescents se tiennent debout, discutant avec animation avec leurs amis. Ils ont tous l'air d'avoir le même âge que Kael. La plupart me dépassent d'une tête et je ne peux m'empêcher d'avoir peur. Je suis plus jeune qu'eux. Vais-je réussir à m'adapter ? À me faire des amis ?

L'angoisse me prend à la gorge, des scénarios tous plus déplaisants les uns que les autres me traversent l'esprit.