Fyctia

La terreur s'empare de moi quand il me fixe de ses pupilles noir d'encre, le pourtour vert de son regard, enflammé par l'avidité du mal.

La frayeur.

La terreur.

La panique.

L'effroi.

L'épouvante.

L'horreur.

L'affolement.

Aucun de ses mots n'est assez puissant pour expliquer ce que je ressens. Mon frère a l'air posséder par le Mal en personne, il semble vouloir détruire tout sur son passage. Il ressemble aux descriptions des Monochromes que les adultes nous font, en exagérant afin de nous faire peur et qu'on se méfie. Il sort tout droit des plus profondes abysses.

Grand Dragon, faites revenir la lumière éblouissante en lui, je vous en conjure.

Mais rien ne vient. À mes côtés, je vois Mère, Père et le garde lutter aussi pour inspirer. Les secondes défilent, je vois flou, Kael disparaît de mon champ de vision, remplaçait par des points noirs qui dansent devant moi.

Rien ne vient. Aucune aide. Nous allons mourir ici, tuer par la Couleur de Kael. Nous allons finir notre vie dans la salle du trône, toute la famille royale exterminée d'un seul coup.

Mes jambes cèdent sous moi et j'atterris face contre terre. Dans un ultime espoir que Kael se réveille, je hurle. Dans une ultime inspiration, je crie, vidant l'air de mes poumons.

Et la lumière revient. La force exercée sur ma gorge s'en va. L'obscurité se dissipe peu à peu, remplacée par la lumière. Comme dans mon rêve, Kael met sa main devant ses yeux, les adultes de même, mais je ne suis pas gênée par l'éclat aveuglant, contrairement aux autres.

Kael tombe au sol, inconscient. Je me précipite vers lui, mais à mi-chemin, le peu d'obscurité n'étant pas encore chassée me fonce dessus. Une traînée noire opaque arrive droit sur moi, pénétrant dans mon corps. Tout en moi se débat, mon cerveau se brouille, mes muscles ne répondent plus, mon cœur s'agite, accélérant la cadence de battements. Le sang pulse à mes oreilles, je peux l'entendre couler dans mes veines, projeter avec force par mon cœur. Pour la je ne sais combien de fois de la journée, je me retrouve à genoux, la douleur me vrille le crâne. J'ai l'impression que mon cerveau est passé dans une tornade sous-marine, croquée par un requin, électrocuté par une méduse et finalement tué par le Monochrome Noir.

Je tente de me calmer, de faire partir cette noirceur qui me torture, mais rien n'y fait et c'est le noir. Enfin,... Ce n'est pas noir. C'est... Lumineux. Lumineux, mais vide. Comme si j'étais dans les éclats du soleil. Comme si sa blancheur m'accueillait. C'est lumineux, mais apaisant. Le tumulte se finit, la quiétude et la paix prennent possession de moi. Cet endroit, je ne voudrais jamais le quitter. Je ne sais pas où je suis, mais je sais que je ne veux pas en partir, que j'aimerai pouvoir y retourner quand je le veux.

Quand je reviens à moi, mes parents sont penchés sur moi. Ma mère a pleuré, je le sais à ses yeux rouges et à sa main posée sur sa bouche, comme pour retenir un cri. Mon père est à côté de ma tête, il fait les cent pas et se tient la tête entre les mains. Le garde est, quant à lui, debout à mes côtés, prêt à intervenir avec sa Couleur Bleue si besoin.

Je m'assois et remarque immédiatement Kael, assis près des trônes. Il a l'air bouleversé et je sais qu'il y a quelque chose qui s'est passé.

— Kael, je murmure.

Il lève la tête et me regarde terrifié avant de hocher la tête de gauche à droite. A-t-il peur de moi ou de lui-même ? A-t-il peur que je le blesse ou qu'il me blesse ? Se souvient-il de ce qui s'est passé ?

— Kael, je l'appelle à nouveau.

Mais encore une fois, j'obtiens un nouveau signe de tête négatif.

Je me sens mal. Depuis quand mon frère, celui avec qui je m'entends super bien, celui avec lequel j'ai un lien unique, celui qui m'a promis que malgré notre lien de sang inexistant, on resterait fraternel, me lâche-t-il, m'ignore-t-il ? Depuis quand mon frère n'accourt pas à mon chevet, inquiet pour moi, à tout faire pour que j'aille mieux ? Depuis quand mon frère n'a-t-il pas une repartie cinglante, une blague, une anecdote, à lâcher, même si ce n'est pas le moment ? Depuis quand mon frère est-il si loin de moi ?

Tout se brise en moi. J'ai peur d'avoir fait quelque chose de mal, peur que quelque chose se soit passé pendant que j'étais dans l'endroit lumineux et qu'il m'en veuille.

— Que... Que s'est-il passé ? je demande sur le même ton, tentant de ravaler les larmes qui reviennent à la charge.

Décidément, c'est une journée à finir par terre et de pleurs !

— Tu ... Tu as repoussé l'obscurité avec.... Une lumière vive. Tan... Tandis que la noirceur jaillissait de... De ton frère, la lumière sortait de... Toi. Tout à l'heure, des larmes... Dorées roulaient sur tes joues, bégaye Mère.

— Qu... Quoi ?

Je ne suis pas sûr de bien comprendre... Les gouttes dorées ne proviennent pas du Dragon, mais de... Moi ? C'est moi qui ai arrêté Kael ? C'est moi qui ai provoqué la lumière ? Tout ça, c'est.... Moi ? Ce n'est pas le Dragon ? Pourtant, il est notre protecteur et je lui ai demandé de l'aide. Je pensais qu'il venait nous aider, car nous croyons en lui, car nous lui jurons allégeance et croyance ! Je croyais que tout ça, c'était de son fait ! Mère peut-elle se tromper ? Peut-être qu'avec le stress de voir son fils dévoiler sa Couleur, elle a mal vu ce qu'il s'est passé ?

Mais le visage grave de Père et la mine inquiète du garde se tenant entre Kael et moi m'indique qu'elle n'a pas rêvé.

— Nami, la Couleur de ton frère s'est révélée, comme tu le sais. Ce à quoi tu as assisté, c'est le processus lorsqu'une Couleur apparaît et prend possession du corps de son propriétaire, lui permettant d'utiliser la Couleur qui lui est attribuée. Chaque processus est différent selon la Couleur de la personne. Mais la tienne aussi s'est révélée, à cause de celle de Kael, dans un but de protection. Vos Couleurs sont opposées. Totalement opposées, dit Père d'une voix à peine audible.

Je ne l'ai jamais vu autant bouleversé. Et je n'ose pas prendre la parole pour lui demander nos Couleurs.

— Princesse, vous êtes une Atlante de Lumière et Prince Kael est un Atlante Noir, déclare d'une voix sèche et froide le garde Bleu.