Fyctia
Chapitre 4 - La pixie
Harry
Flavie gare son scooter à l’angle de la rue à côté de mon vélo. Avec son carénage en plastique rose, rafistolé par de grosses bandes d’adhésifs marron, son engin ne passe pas inaperçu.
Elle me rejoint et rapproche une troisième chaise de notre table en terrasse pour y poser son casque.
— Qu’est-ce qui t’arrive ? demande-t-elle en remontant ses lunettes de soleil au sommet de son crâne.
Elle se penche vers moi pour me faire la bise avant que j’aie le temps de répondre. Elle sent le cuir chaud et le tabac froid.
— J’ai passé une journée de malade, poursuit-elle. Franchement, les gens sont des tarés !
C’est rigolo car quand elle s’agace, son accent marseillais lui remonte par le nez comme de la moutarde trop forte.
— On nous avait dit que tout avait changé avec le covid, mais c’est de la foutaise ! Les gens sont pires qu’avant, méchants, stupides, c’est flippant ! T’es d’accord ?
Je la laisse me raconter son histoire d’automobiliste qui lui a fait une queue de poisson, puis celle du bus qui se rabat sans regarder sur sa droite, puis celle des piétons fêlés qui traversent n’importe comment.
Flavie est arrivée sur Paris il y a cinq ans pour son stage de fin d’études et n’est jamais repartie vers le Sud. Depuis qu’elle s’est installée ici, elle s’obstine à circuler en scooter, alors qu’elle flippe pour sa vie en permanence. Mais d’après elle, c’est toujours mieux que le métro.
Le bon côté de son obstination à conduire son deux roues, c’est ce qui nous a permis de nous rencontrer. J’ai voilé la roue avant de mon vélo dans l’accident, mais j’ai gagné une amie. De celles qui comptent pour la vie.
Flavie avale d’une traite la moitié d’un coca light et s’allume une cigarette, puis me regarde avec amitié en soufflant une volute opaque au-dessus de nous.
— Excuse, j’étais en stress. Je suis là pour toi maintenant. Qu’est-ce qui t’arrive ?
— Comme d’hab, je reviens de chez Will. Son appart pue, tout autant que lui.
— Si c’est comme d’habitude, tu devrais pas t’en préoccuper. Après tout, il s’en sort à peu près depuis trois ans. Même si c’est pas l’idéal, il continue de manger et il bosse assez pour ne pas se faire virer, non ?
J’aimerais être aussi positif qu’elle, arrêter de m’en faire, car effectivement, passée la première phase d’inquiétude après la rupture, j’ai également constaté que son état pathétique restait stable.
— C’est long quand même… Trois ans de dépression pour une relation amoureuse plus courte que ça.
Flavie se concentre sur le mégot de sa clope.
— Il t’a déjà dit qu’il ne voulait pas consulter de psy, je ne vois pas ce que tu peux faire.
Je me cale au fond de ma chaise et plie les bras sur mon torse.
— J’ai peut-être une idée mais j’en suis pas très fier. Je voudrais avoir ton avis.
— Je suis tout ouïe !
— Il vit dans l’appartement de nos parents, techniquement c’est aussi à moitié le mien depuis leur décès. Je viens d’avoir l’idée de faire intervenir quelqu’un pour tout ranger et nettoyer, en prétextant que je fais ça pour le vendre et récupérer ma part d’héritage.
— C’est violent…
— Je veux provoquer un électrochoc !
— Mais c’est quoi l’urgence ? s’inquiète-t-elle.
Aussitôt, un énorme sourire me remonte jusqu’aux oreilles.
— J’ai eu une réponse de la boite de prod…
— C’est pas vrai ? s’exclame-t-elle. Tu as eu le job pour l’Azerbaï quelque chose ?
— L’Azerbaïdjan, oui ! Je suis tellement heureux, putain !
C’est pour ça que j’ai appris à piloter des drones pour filmer des paysages hors du commun sur des territoires inaccessibles. Et non pour surveiller des hangars ou des chantiers de construction….
Flavie nous commande deux coupes de champagne et s’allume une nouvelle cigarette.
— Tu pars quand ? me questionne-t-elle.
— A priori le départ est prévu dans trois semaines, peut-être un mois. Il leur manque encore quelques autorisations de tournage. Mais pour moi, c’est mort… Je ne me vois pas laisser Will tout seul, sans être sûr de pouvoir le joindre et de pouvoir être joint à n’importe quel moment. C’est pour ça que j’ai eu cette idée de l’électrochoc, c’est ma dernière chance.
Le soleil passe entre les deux immeubles face à nous et nous aveugle un instant. Flavie repositionne ses lunettes noires sur son nez.
— Ce qu’il faut à ton frère, c’est une manic pixie dream girl, déclare Flavie sans appel.
— Une quoi ?
Elle sort son téléphone et me lit une définition « C’est un personnage féminin fantaisiste et déluré qui sauve le héros sensible de son apitoiement en lui redonnant goût à la vie ».
Je fronce les sourcils ne sachant pas trop où elle veut en venir.
— Il lui faut un lutin aux cheveux roses qui va l’entraîner dans mille aventures, poursuit-elle, et puis une fois qu’il va mieux, la pixie s’éclipse et Will reprend le cours normal de sa vie, la dépression en moins.
— Tu as eu un nouvel accident, et tu ne m’as rien dit pour ne pas m’inquiéter, c’est ça ? Ta tête a cogné le rebord du trottoir et t’as perdu la raison ?
Flavie se met à rire en secouant le menton.
— Je vais bien ! La manic pixie dream girl, c’est un personnage qu’on retrouve dans plusieurs films avec un schéma un peu similaire : un mec qui ne trouve plus d’intérêt à la vie rencontre une fille qui lui redonne espoir en lui faisant manger des gaufres à la barbe à papa à la place du dîner. La pixie, c’est une nana fantasque, qui est censée montrer au héros que la vie est pleine de surprises. Mais bon après elle disparaît et le héros trouve une vraie meuf normale.
— Mais c’est horrible ! Ça ne peut pas se finir bien entre eux ?
— Non, c’est interdit de se mettre en couple durable avec une fofolle, personne ne fait ça ! T’as pas vu (500) jours ensemble avec Joseph Gordon-Levitt et Zooey Deschanel ? C’est le pitch !
Je reste pensif un moment.
— Hey, Harry, je déconnais hein ! C’est juste pour te donner une idée aussi tordue que celle de faire croire à ton frère que tu veux le foutre à la rue en vendant votre appartement.
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Morgane Rigan
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Maryline PIAUD
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Il y a 2 ans