Fyctia
Chap 16 - Ma petite entreprise
— Tu as un chauffeur privé ? Souffle-t-elle à son oreille alors qu'ils viennent de monter dans une berline sombre qui stationnait au pied de l'immeuble.
— C'est un service offert par la société de production rétorque Sacha en bouclant sa ceinture.
— Ah...
Elle n'a pas la moindre idée de ce qu'il raconte mais ne veut pas se ridiculiser.
— Et on va où ?
— Aux studios, répond-il comme une évidence avant de se plonger dans une liasse de papiers qu'il annote frénétiquement.
Il a l'air si sérieux derrière ses lunettes, qu'il est difficile de lui donner un âge. Quelques années de plus qu'elle, probablement. Mais elle lui trouve les traits encore juvéniles, attendrissants, comme les dernières traces de l'enfance. Elle cligne des yeux, comme pour superposer deux images, celle d'un Sacha décontracté et trempé de sueur, naturel, avec celle de maintenant. La mèche figée, le col de sa chemise sous son pull en cachemire, la montre hors de prix. Elle s'attarde sur ses longs cils, ses lèvres, cherche à saisir la couleur de ses yeux. Bleu-gris. Bleu-vert. Aussi insaisissable que celle de l'océan.
Fais gaffe, tu as un peu de bave... Et puis enlève tes yeux de là, je t'interdis de tomber sous le charme de ce crétin, c'est compris ?
Crétin... C'était un peu fort. Mais c'est vrai qu'il avait un côté agaçant avec ses airs de dominer le monde et de donneur d'ordre. Son empathie semble proche de zéro et rien qu'à le regarder elle a des frissons tant il est glacial.
Brrr... Il y a la clim ou quoi ?
La voiture slalome dans les rues encombrées de la capitale et elle se laisse aller dans le confortable siège de cuir. Depuis deux jours, elle vit comme dans un rêve, rien ne semble réel. Pour la première fois de sa vie, elle goûte à une vie insouciante et agréable. Cela ne durerait pas, elle le savait, mais rêver un peu n'avait jamais tué personne.
Alors qu'ils ralentissent et approchent de leur destination, Sacha range le dossier sur lequel il travaille dans son sac à dos et nonchalamment, la détaille de la tête aux pieds.
— C'est amusant, les vêtements de Lou ne rendent vraiment pas pareils sur toi...
Gênée, Margaux se tortille. Elle avait enfilé un jean, une chemise noire et un long manteau beige, la tenue la plus classique qu'elle ait déniché à la va vite dans le dressing.
— Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
— Rien... Si ce n'est que sur elle tout paraissait toujours vulgaire. Il faut vraiment que tu te trouves autre chose à mettre, c'est perturbant pour moi de te voir porter les vêtements de ma sœur...
Comme si j'avais le choix ? songe-t-elle, amère, alors que la voiture entre dans une zone industrielle et longe une série d'entrepôts. Le chauffeur s'arrête devant une extension, moderne, assemblage de verre et de métal habillé de verdure. L'entrée du bâtiment contraste avec l'environnement austère et triste, comme une oasis au milieu du désert.
— Merci Mehdi, salue Sacha en quittant le véhicule.
— Bonne journée, Monsieur, lui répond le chauffeur d'un signe de tête.
Margaux l'imite et remercie à son tour en descendant de la berline. Sacha ne lui prête aucune attention et s'éloigne déjà d'un pas rapide et assuré. Elle court pour le rattraper et passe la porte d'entrée sur ses talons. Deux vigiles, impressionnants de carrure la dévisagent avec insistance et elle recule de deux pas.
— Elle est avec moi, se contente d'énoncer Sacha qui la devance déjà de dix mètres.
Les deux gorilles acquiescent et elle se précipite pour le rejoindre, concentrant difficilement ses pas sur les siens, le regard perdu dans l'immense hall, ouvert sur le ciel et semblable à une gare, avec sa cafétéria, ses écrans lumineux et sa borne d'accueil. Des hôtesses, tailleur bleu et foulard rose, les saluent poliment, tout le monde autour d'eux lèvent les yeux sur leur passage.
C'est quoi cet endroit ? Tu crois qu'on va travailler ici ? La classe !
Sacha fend la foule, imperturbable, levant la main ou hochant la tête de temps à autre pour répondre à quelqu'un, puis s'élance à l'assaut d'un imposant escalier métallique qui mène à une série de bureaux. Derrière lui, Margaux lutte pour suivre la cadence et essoufflée, finit par le rejoindre devant une porte vitrée où il toque avant d'entrée.
— Bonjour Mélanie, tout est prêt ?
La femme assise derrière le bureau repose le croissant qu'elle s'apprêtait à croquer et soupire. Noyée dans un pull-over difforme, les cheveux noués sur la tête dans un chouchou à fleurs, elle a des cernes comme des valises et l'air visiblement agacé. Son bureau déborde de dossiers et d'objets en tous genres, des photos de famille et de vacances égayent son mur, il y a un parc en bois et des jouets dans un coin.
— Tout est là, grogne-t-elle, en lui tendant des documents.
— Comment vont vos enfants ? S'enquière-t-il tout en compulsant les feuillets.
— Est-ce que j'ai l'air d'avoir bien dormi ? Bougonne-t-elle. Gaspard fait ses dents et Domitille des terreurs nocturnes. La vie de maman quoi...
— Parfait ! Déclare-t-il en lui rendant le dossier. Margaux ? Mélanie aura besoin de quelques informations pour ta convention de stage. Une fois que tu l'auras signée, tu pourras rejoindre Poppy.
— Et qui est Poppy ? Demande la jeune fille, complètement perdue.
— Poppy c'est …
— Moi ! S'exclame une pétillante et dynamique quadra qui venait d'entrer dans le bureau.
Ses formes sont aussi généreuses que son sourire couleur cerise, joliment dessinées dans une robe façon pin-up, qui ne cache rien de ses atouts. Une frange roulée et un chignon élaboré peaufinent son look rétro. Elle tend à Sacha un gobelet de café avant d'épousseter une poussière imaginaire sur son manteau.
— Poppy est notre régisseuse en chef, explique-t-il.
— Poppy pour Popins. Mary Poppins... justifie-t-elle en souriant. C'est que je suis un peu leur nounou... Surtout la sienne, insiste-t-elle avec un clin d'oeil au jeune homme.
Sacha lève les yeux au ciel, l'air faussement irrité.
— J'ai du travail. Margaux, contente-toi de suivre Poppy comme une ombre, c'est le meilleur moyen de comprendre comment fonctionne les studios, ajoute-t-il.
— Tu vas voir, ici on ne voit pas les journées passer, renchérit la jeune femme.
Incapable de savoir si elle devait protester, rire, pleurer ou se réjouir de la situation qui clairement lui échappait, Margaux se sent ridicule. Ridiculement tarte.
Que faisait-elle ici exactement ? Qu'attendait-il d'elle ?
La panique l'envahit soudain et elle regarde Sacha quitter le bureau comme un chiot qui voit partir sa mère et retient un gémissement de désespoir.
Je ne vois pas ce qui t'inquiète ! Tu as tout ce que tu voulais ! Un salaire et un endroit cool où travailler ! Relax ! La journée ne fait que commencer...
16 commentaires
Tayssir
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Il y a 2 ans
MoonLany
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Il y a 2 ans
Gottesmann Pascal
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Il y a 2 ans
Rose Foxx
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Il y a 2 ans
NELI JO
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Il y a 2 ans
Anna Wendell - Élodie Faiderbe
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Il y a 2 ans
RomyMancini
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Il y a 2 ans
Thanks
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Il y a 2 ans
Caroline Guerini
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Il y a 2 ans
Shaddie.M Lynss
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Il y a 2 ans