Fyctia

Le jeudi en fin d’après-midi, après être passée voir Enzo à l’Hôpital à la sortie du travail, Lisa rentre chez elle et s’assoit avec le téléphone de son fils en main.

Alors par quoi commencer ?

Il a reçu quelques notifications WhatsApp. Elle ouvre les échanges qui viennent d’amis qu’elle ne connaît pas mais tout cela lui semble très anodin. Elle remonte jusqu’aux derniers messages échangés avec Chris et Léa la nuit en question. Elle a la gorge nouée.

Elle voit beaucoup de notifications sur Reddit qu’elle n’avait pas encore ouvert. Elle ne connaît pas cette application mais comprend que ce sont plutôt des communautés qu’il suit. Il semble abonné à des forums sur la cybersécurité, être toujours dans des fils d’actualité sur l’Université. Elle se sent dépassée et tout cela lui semble très superficiel. Mais elle ne voit rien susceptible de traumatiser son fils.

Elle ouvre ChatGPT mais n’y comprend pas grand-chose. Elle essaye ensuite Discord et est choquée par les propos orduriers et violents qu’elle découvre dans les fils de discussion ! Surtout que cela semble être avec de parfaits inconnus. Elle met un petit moment à comprendre que ce sont les commentaires échangés entre les différents protagonistes de jeux vidéos de combat en ligne. Elle est attristée par un tel débordement de testostérone de tous ces apprentis guerriers. Mais elle doute que ce soit cela qui est traumatisé Enzo surtout qu’il ne semble pas être le dernier pour insulter les autres.

Elle avait déjà regardé sa messagerie professionnelle et sa messagerie personnelle mais n’avait rien repéré. Par acquis de conscience, elle ouvre chaque mail mais rien ne l’interpelle. Peut-être espérait-elle secrètement trouver la trace d’une petite amie ?

Déterminée, elle ouvre chaque application l’une après l’autre. Des jeux, ses comptes bancaires mais elle n’a pas les accès, des applications pour écouter de la musique, …

Sans compter toutes les applications qu’il a mises dans la section « professionnel » : authenticator, MyBank, shadline… Elle n’y comprend rien et ça tombe bien, elle n’y a pas accès ! Mais elle se dit qu’il n’y a pas de raison que son traumatisme puisse venir de là.

Après 2 heures à investiguer son téléphone, elle a compté : près de 120 applications ! Comment en sommes-nous arrivés à un tel excès ?

Lisa est épuisée mais elle veut finir le geste et il ne reste qu’une ultime application qu’elle ne comprend pas bien : Proton. Elle voit sur internet que c’est une messagerie sécurisée. Pas de chance, elle n’a pas le mot de passe. Mais pour le coup ça l’intrigue et elle se demande pourquoi il a eu besoin d’installer une messagerie sécurisée en dehors du champ professionnel.

Elle se rappelle alors avoir vu l’application Bitwarden un peu plus tôt : un gestionnaire de mot de passe. Même si elle est nulle en informatique, elle se souvient bien de la leçon de morale que lui avait faite Enzo il y a quelques années. C’est une des rares fois où ils s’étaient sérieusement disputés et cela l’avait beaucoup contrarié pendant plusieurs jours.

Tout ça parce que mon mot de passe était Enzo2022 ! Même si je lui ai promis que je le changeais tous les ans, il m’a traité d’inconsciente. Et il m’avait demandé d’installer ce Bitwarden. Je m’étais retrouvé comme une poule devant un couteau ! Nous avions finalement trouvé un compromis pour que j’utilise un mot de passe plus compliqué qui soit les initiales des mots d’une phrase facile à retenir. Je me sentais plus à l’aise.

Nous avions validé « J’ai fini mes études à l’université de Linz en 1995 », ce qui donne « JfméàldLe1 ». C’est une phrase facile à retenir pour moi et je suis tellement fière de ce mot de passe que je ne l’ai jamais changé. Surtout ne lui dites pas !

Mais bien sûr, il faut un mot de passe pour rentrer dans Bitwarden. « Un mot de passe pour les gouverner tous, s’il ne faut en retenir qu’un c’est celui-là », je l’entends encore me crier dessus. Rien que d’y repenser, j’en ai les larmes aux yeux.

Et d’ailleurs, peut-être a-t-il gardé la même logique de mot de passe que la mienne, lui qui a fait ses études à l’Université de Linz aussi ? Ce ne serait pas très sophistiqué mais en même temps, qui à part moi peut le savoir ?

J’hésite, j’essaye ou pas ? Je crains que ça bloque tout. Mais je me dis que même Bitwarden doit autoriser plusieurs tentatives. Je n’essaie qu’une fois sinon je demanderai à la Police de le débloquer en espérant que Martha obtienne le précieux courrier.

Allons-y : « « JfméàldLe2 ». Car il a terminé ses études en 2022.

Yes ! C’est ma première grosse victoire informatique en 45 ans d’existence ! Grisé par mon succès, je réussis même relativement facilement à entrer dans Proton !

Je vois quelques messages qui proviennent tous de pseudos étranges. J’en ouvre quelques-uns mais je ne comprends rien. Ce sont des phrases en style télégraphique. Je remonte à la date fatidique et je vois enfin un expéditeur qui semble avoir une adresse mail classique « manwin1973@gmail.com ».

J’ouvre le message : « Enzo, retrouvons-nous en fin d’après-midi au Starbucks de Pasching, comme ça tu ne seras plus très loin d’Ansfelden. Signé Manfred Winkler »

Manfred Winkler ! Son père ???