Fyctia
45. Victoria
Mercredi 12 juin
Après quinze jours de partiels intenses, ma chambre est encore plus en bazar que d’habitude. Je m’envoie un coup de pied virtuel aux fesses et commence à la ranger. Le linge sale, d’abord. Puis mes carnets, mes milliers de feuilles de notes et ma pile de livres sur les différentes époques de l’histoire de l’art.
L’ouragan de la fin d’année universitaire, qui vient seulement de me relâcher, est plutôt bien tombé. Grâce à sa puissance, je n’ai pas trop eu le loisir de penser à Sebastian depuis notre dernière rencontre dans Central Park. Je ne regrette pas cette discussion et les tendres étreintes que nous avons partagées, même si cela reste douloureux. Il me manque.
Nous échangeons quelques messages, de temps en temps. Oh, trois fois rien. Le sujet d’un partiel, la difficulté d’un autre, ses progrès sur ses tableaux en cours. Mon nouvel article pour New York Art Life. Je n’ai pas pu avancer comme je le souhaitais ces dernières semaines, je compte y remédier en ce début de vacances. Tiens, dès maintenant, si ma chambre voulait bien se ranger toute seule.
Assise par terre, je tente de classer mes bouquins avec logique. Ceux qui ne me serviront plus l’année prochaine, ceux que j’aimerais garder sous la main pour cet été, ceux que j’ai oublié de rendre à la bibliothèque. Oups. Je suis vraiment mal organisée. Pas étonnant que Sebastian n’envisage pas une relation avec moi.
Je lève les yeux au ciel, dépitée par mes propres réflexions qui déforment la réalité. Ce n’est pas ça qu’il m’a donné comme raisons. Même mon âge n’influe pas sur cet aspect de ma personnalité : je ne pense pas devenir moins bordélique comme par magie dans quelques années. Il ne veut pas perturber ses enfants, c’est tout à fait compréhensible. Et je doute d'être prête à assumer un rôle de belle-mère.
Statu quo, donc.
***
Vendredi 14 juin
— Vous allez trop me manquer !
— Tu vas nous manquer aussi, choupette, déclare Ava en serrant Brooke contre elle.
Aujourd’hui, elle fait une entorse à la règle « pas de contacts rapprochés ». Brooke part pour Los Angeles afin de rejoindre son frère et de profiter de lui cet été après l’accident qui a bouleversé sa vie. Nous ne nous verrons pas avant fin août. Elle m’enlace encore une fois. Elle s'inquiète pour moi. Ava et elle m’ont surveillée étroitement ces derniers jours pour s’assurer que je ne sombre pas dans la dépression la plus totale. Elles exagèrent, j’arrive à relativiser ce qu’il s’est passé avec Sebastian. À peu près. De temps en temps.
Bref.
— File, tu vas rater ton avion ! lui ordonné-je. Ton Uber est déjà en bas.
Je n’aime pas les aurevoirs.
— OK, OK. Je vous appelle à mon arrivée.
— T’as intérêt ! intervient Ava. Et embrasse Aaron pour nous !
— Promis, ce sera fait. Bon, j’y vais. Et vous devez vous préparer pour le vernissage.
— Oui ! On t’aime, bichette, mais va-t’en, là.
Nous nous esclaffons devant l’ordre d’Ava. Notre amie nous envoie un dernier baiser volant et s’engouffre dans l’ascenseur avec ses deux valises — elle a refusé ma proposition de l’aider à atteindre la rue. Elle n’aime pas les aurevoirs, elle non plus.
Elle a raison, d’ailleurs, nous sommes un peu à la bourre. Nous nous rendons à un vernissage au Metropolitan Museum of Art, pour l’exposition d’une ancienne élève de Columbia. Nous avons ainsi pu bénéficier d’invitations. Ava m’a assuré qu’elle ne risquerait rien si elle portait son masque et si nous ne restions pas longtemps. Bien que je ne sois pas tranquille, je n’ai pas le cœur à l’empêcher d’y aller. Elle ne profite que rarement de ce genre d’occasions.
Elle m’interpelle avant que je ne rejoigne ma chambre.
— Tu changes pas d’avis au dernier moment, OK ? Tu mets la robe dont on a parlé ?
— Oui ! Tu fais une fixation dessus, c’est fou !
— Désolée, c’est que c’est si rare de te voir tout apprêtée.
Je lève les yeux au ciel, ne réplique rien et me rends dans ma salle de bains. Afin de faire plaisir à mon amie, je m’applique : maquillage, coiffure, parfum, robe prune volantée à pois blancs. J’ai l’impression d’être déguisée ; or, je dois avouer que ce n’est pas si désagréable que ça. Récemment, j’étais plutôt en mode « à quoi bon » — pas du tout à cause d’un peintre bien connu. La pensée furtive qu’il pourrait être présent ce soir me traverse de nouveau, je l’écarte. Il a tendance à fuir les événements mondains, il n’y a aucune chance qu’il vienne. Ou aucun risque. Question de perspective.
— Qu’est-ce que tu fous, Vee ? On va être en retard ! m’interpelle Ava depuis le salon.
— C’est ta faute, aussi, tu m’as sommée de me faire jolie, pour une fois.
— Tu es tout le temps jolie, mais je pense que ça peut être sympa aussi de changer du noir et de tes gros godillots.
Je lève les yeux au ciel et daigne enfin la rejoindre. Son visage pâle s’illumine.
— Wow bichette, tu es superbe !
— Merci, Ava. Tu es belle, toi aussi.
Son compliment me va droit au cœur et le mien est sincère. Elle a lâché ses cheveux blonds et porte un tailleur-pantalon qui tombe à la perfection sur son corps mince.
— C’est faux, mais merci quand même.
— Non c’est vrai ! Ton costume te va très bien ainsi que le smoky eye. Ça fait ressortir tes yeux bleus.
Elle hoche la tête et me presse la main.
— Bon, il faut vraiment qu’on y aille.
L’inquiétude me cueille soudain.
— T’es sûre que c’est pas trop risqué pour toi ? Il y aura pas mal de monde dans une salle fermée. Avec les germes et tutti quanti…
— Je t’assure que ça va aller, c’est l’été, je suis beaucoup moins sensible qu’en hiver. Il ne devrait pas non plus y avoir une foule très dense, et je vais porter mon meilleur masque, promis, maman !
Je m’esclaffe, lui adresse en même temps un geste obscène et me dirige vers la porte.
— N’importe quoi !
— Avoue que tu m’aimes aussi pour ma gouaille, insiste-t-elle.
Nous poursuivons notre discussion dans l’ascenseur.
— Alors, d’une, je n’ai jamais dit que je t’aimais, et deux, si c’était le cas, ce ne serait certainement pas pour ça.
— Menteuse, juge-t-elle en m’envoyant un baiser.
Nous gloussons comme deux idiotes. Dans la rue prise d’assaut par les New-Yorkais heureux d’être en weekend, je reste vigilante avec mes hauts talons compensés, que je n’ai pas l’habitude de porter. Nous trouvons vite un taxi, qui nous conduit au Met dans le double du temps normal, vendredi soir oblige.
— Ouf, enfin, j’en pouvais plus.
— Moi non plus, car une rabat-joie assise à côté de moi ne cessait de soupirer.
J’émets un grognement comme seule protestation et lui attrape le bras. Nous pénétrons dans l’enceinte du musée, dont les colonnes majestueuses sont encore plus belles au soleil couchant, et rejoignons la salle du vernissage. Plus que les toiles exposées, le bar à cocktails nous enchante. Nous savourons nos boissons lorsque Ava me touche le poignet et murmure :
— Euh, bichette, reste cool, il est là.
— Quoi ? Qui ? demandé-je avant de l’apercevoir. Oh.
Mes jambes se liquéfient alors, un filet de sueur dégringole dans mon dos.
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