Marie Andree Columbia Blues 13. Sebastian

13. Sebastian

Le moment se révèle moins gênant que ce que je craignais.


Je suis navré pour la maladie d’Ava. Toutefois, sa force de caractère évidente allège mon désarroi. Nous réussissons même à en rire. Victoria nous prend pour des fous, cela dit. Elle est encore ébranlée par ce qu’il vient de se passer, alors que ça se voyait que ce n’était pas la première fois qu’elle devait aider son amie dans ce genre de situation. En outre, elle considère que la chute de tension est de sa faute. Cela me contrarie qu’elle place tant de responsabilités sur ses jeunes épaules.


Nous arrivons vite au pied de leur immeuble. Victoria jaillit de la voiture avant que Frank n’ait eu le temps de faire le tour pour lui ouvrir la porte. J’ai bien noté sa réaction, tout à l’heure, lorsqu’elle a appris que j’avais un chauffeur. Je me suis senti un peu honteux : je n’aime pas passer pour le riche qui n’accomplit rien par lui-même. C’est l’image qu’elle gardera de moi, à présent.


Je soupire et sors également tandis qu’Ava quitte ma voiture avec précaution.


— Encore désolée et merci beaucoup, déclare-t-elle.

— Je vous accompagne jusqu’à votre appartement.

— Oh non ! Je vais mieux, je t’assure. Rentre chez toi, il est tard.


C’est vrai. Dire que j’étais crevé quand je suis arrivé à Columbia tout à l’heure.


— Ce n’est pas négociable, précisé-je néanmoins.


À mon grand étonnement, Victoria n’ajoute pas ses propres protestations à celles de la malade. Elle me jauge, la tête penchée d’un côté. Ava lève ses yeux au ciel et se met en route. Son amie marche à son niveau, prête à la soutenir si besoin. Nous pénétrons dans un hall d’entrée impersonnel — un mur peint en couleur ou une ou deux toiles accrochées ne seraient pas superflus —, puis dans l’ascenseur. Nous échangeons des regards furtifs avec Victoria. Ses iris, qui brillent plus qu’à l’accoutumée, reflètent sa lassitude. À cause de l’agitation de la soirée, des cheveux s’échappent de sa queue de cheval et se coincent dans sa nuque. Suis-je un monstre de la trouver belle en cet instant, alors que son amie s’appuie contre elle pour ne pas tomber après un malaise ?


Je me force surtout à ne pas contempler ses jolies jambes dévoilées par un short en velours noir et des collants assortis. Depuis quand les Drs Martens sont sexy ? Mince, je suis une véritable ordure.


Le ding de l’ascenseur m’extirpe de mes pensées coupables. Quatrième étage. Une dizaine de pas dans un couloir trop sombre et nous voici devant chez elles. Je pourrais les laisser maintenant, je le sais. Quelque chose me retient toutefois. Mon inquiétude se mue en curiosité. Victoria ouvre la porte, Ava me remercie de nouveau et pénètre dans l’appartement. Depuis le seuil, je la vois qui s’assoit sur un fauteuil, de l’autre côté de la pièce. Une immense toile abstraite la surplombe. Leur salon présente un beau volume, une cuisine aux équipements dernier cri se dévoile sur la gauche. Victoria se racle la gorge, je reporte mon attention sur elle.


— Hum, tu veux boire quelque chose, peut-être, ou…

— Non merci, je vais y aller. Je ne désire pas retenir Frank plus longtemps.

— Oh, bien sûr ! Tu le remercieras encore.

— OK. J’aimerais avoir des nouvelles d’Ava. Peux-tu me donner ton numéro ?


Je tente de garder un ton neutre tandis que je formule ma demande. Je ne souhaite pas qu’elle pense que c’est une technique de drague. Ce n’est vraiment pas le cas. Je ne me vois pas attendre une semaine avant de savoir si Ava va mieux ou pas. Victoria met une poignée de secondes pour réagir.


— Bien sûr. Je te le dicte et tu m’appelles direct, comme ça le tien s’enregistre chez moi. Je t’enverrai un message demain.


J’acquiesce, elle récite les chiffres, je pianote sur mon écran. Lorsque je relève la tête, je me fige, prisonnier de l’aura magnétique de son regard. La lumière de l’entrée se reflète dans la monture cuivrée de ses lunettes. Nous nous contemplons sans rien dire. Je crois que ce qui est le plus curieux, c’est que ce silence n’est pas gênant. Il est doux, plutôt. Je me souviens toutefois de quelque chose dont je souhaitais lui parler depuis notre trajet en voiture.


— Victoria, hum, j’ai entendu ce que tu as dit à Ava tout à l’heure, comme quoi son malaise était de ton fait, car tu ne lui avais pas rappelé qu’elle devait boire. Tu ne peux pas t’en vouloir pour ça, ce n’est absolument pas de ta faute.


Elle grimace. Tant pis si elle trouve que ce n’est pas mes affaires. Cela me semblait important.


— Je sais, mais… j’essaie juste de faciliter son quotidien, à mon niveau, avoue-t-elle dans un murmure. C’est le moins que je puisse faire.

— Je suis certain que tu y parviens, ta présence doit l’aider. N’oublie pas de profiter de ta vie, toi aussi.


Je retiens mon souffle : j’ai sûrement dépassé les bornes. Elle hoche la tête, ses lèvres esquissent un timide sourire. Les miennes l’imitent.


— J’y penserai, merci. Et merci pour ce soir, Monsieur Harper.


Il y a vraiment quelque chose qui ne tourne pas rond chez moi : je trouve cette façon de me nommer charmante. Je crois qu’il faut que je suive les conseils de Nicholas et essaie de rencontrer quelqu’un. De mon âge, si possible.


— Pas de problème, finis-je par déclarer. Je t’en prie, par contre, appelle-moi Sebastian.

— OK. Merci encore.


Nous nous souhaitons une bonne soirée, j’adresse un au revoir à Ava, toujours sur le fauteuil. Une timide coloration est revenue sur ses joues, ce qui ne suffit pas à me rassurer. Je fais volte-face, sur une impulsion. Victoria était en train de fermer la porte. Je pose une main sur le battant.


— Attends. Promets-moi que tu me donneras des nouvelles d’Ava.

— Promis.

— Et que tu m’appelleras Sebastian, à l’avenir.

— D’accord, d’accord, accepte-t-elle dans un petit rire.


Elle secoue sa jolie tête brune, l’air navré. Pourquoi n’ai-je pas envie de la laisser ?

— Allez, cours libérer ce pauvre Frank.


Je grimace. Sa remarque me fait redescendre sur terre. Elle a raison, pourtant. Je suis un adulte respectable qui possède même son propre chauffeur.


— Oui, j’y vais. Occupe-toi bien de ton amie.

— Oh, c’est prévu. Elle va me détester rapidement, d’ailleurs.


Je m’esclaffe et prends enfin congé. Arrivé au bas de l’immeuble, je laisse échapper un long soupir. Quelle curieuse soirée ! Frank m’accueille avec un grommellement et repart à la charge après s’être inséré dans le trafic, toujours très dense à cette heure.


— Elle avait pas l’air bien, votre élève. Fallait l’accompagner à l’hôpital.

— Elle connaît sa maladie, ce n’était qu’une chute de tension. D’après elle, ce n’était pas nécessaire de déranger un service d’urgences pour ça.


Le silence retombe entre nous, seulement troublé par la sirène d’une ambulance.

De retour chez moi, je lance une playlist de blues particulièrement mélancolique et me sers un verre de whisky. Mes pensées se bousculent. La maladie d’Ava et sa force ; la détresse de Victoria et sa détermination à l’aider. Malgré la fatigue, je travaille jusque tard dans la nuit sur le tableau qui porte son nom.

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98 commentaires

Cara Loventi

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Il y a un mois

Il est parfait cet homme 😍

Marie Andree

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Il y a un mois

Oui ! 😁💕

Eleanor Peterson

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Il y a 2 mois

Excellente façon d’avoir le numéro ! Il est doué celui-ci, l’air de rien.

Marie Andree

-

Il y a 2 mois

C'est juste pour avoir des nouvelles d'Ava 🤣

WildFlower

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Il y a 2 mois

Il a son numéro, maintenant 😏

Marie Andree

-

Il y a 2 mois

C'est ça ! 😁

Jill Cara

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Il y a 2 mois

Leur relation avance bien. C'est très mignon et Green flag !

Marie Andree

-

Il y a 2 mois

Ah ah tant mieux si c'est green flag ! 😁

Lily_D

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Il y a 2 mois

Non attend Victoria ! ~~ ♡♡ Vivement la suite

Marie Andree

-

Il y a 2 mois

😁😘
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